Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 20-TCI-277

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur les blessures subies par un homme de 19 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 21 octobre 2020, le Service de police de Toronto (SPT) a avisé l’UES d’une blessure subie par le plaignant et donné le rapport qui suit.

Le 21 octobre 2020, vers 0 h 29, une unité du Groupe d’intervention contre les bandes criminalisées et les armes à feu (UGIBC) du SPT a exécuté un mandat de perquisition dans un appartement d’un immeuble du Donway West. Quand ils ont enfoncé la porte, des coups de feu ont retenti. Les agents du SPT ont battu en retraite dans le corridor et se sont mis à l’abri jusqu’à ce que la fusillade s’arrête.

Les membres du Groupe d’intervention d’urgence (GIU) se sont alors précipités dans l’appartement et ont arrêté les occupants. Comme personne ne semblait blessé, les suspects – cinq hommes adultes et trois adolescents – ont tous été transportés au poste de la 41e division. Un des adultes – le plaignant – s’est plaint de douleurs à la mâchoire.

Le plaignant a été conduit à l’hôpital où il a été déterminé à 10 h qu’il avait une fracture de la mandibule (mâchoire). Il a été libéré de l’hôpital et ramené à la 41e division.

Comme le SPT a d’abord conclu qu’il n’y avait pas de blessés graves, il avait demandé à son service des sciences judiciaires de se rendre sur les lieux.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 0

Plaignant :

Homme de 19 ans, n’a pas participé à une entrevue [1]

Témoins civils (TC)

TC A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées
AT no 2 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées
AT no 3 Notes examinées, entrevue jugée non nécessaire
AT no 4 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées
AT no 5 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées
AT no 6 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées
AT no 7 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées
AT no 8 Notes examinées, entrevue jugée non nécessaire

Agents impliqués (AI)

AI no 1 N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.
AI no 2 N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.


Éléments de preuve

Les lieux

Cet incident s’est produit quand des agents ont forcé la porte d’un appartement au 7e étage d’un immeuble de Donway West. Lorsqu’ils sont entrés dans l’appartement, des coups de feu ont été tirés en direction de la porte. Les agents ont d’abord battu en retraite, puis ont finalement fait sortir les occupants un par un dans le corridor. Après avoir fait sortir tous les occupants de l’appartement, les agents sont entrés pour effectuer leur fouille. La scène a par la suite été examinée par le service des sciences judiciaires du SPT.

Éléments obtenus auprès du service de police

L’UES a obtenu et examiné les documents et éléments suivants que lui a remis, sur demande, le SPT.
  • Ordonnance de mise en liberté – le plaignant;
  • Copie du mandat de perquisition de l’appartement;
  • Notes de l’AT no 3;
  • Notes de l’AT no 7;
  • Notes de l’AT no 1;
  • Notes de l’AT no 4;
  • Notes de l’AT no 5;
  • Notes de l’AT no 8;
  • Notes de l’AT no 2;
  • Notes de l’AT no 6;
  • Photos des lieux.

Description de l’incident

La séquence d’événements suivante découle des éléments de preuve recueillis par l’UES, notamment des entrevues avec des agents du GIU qui étaient présents au moment de l’arrestation ainsi qu’avec un témoin civil. L’AI no 1 et l’AI no 2 n’ont pas consenti à participer à une entrevue avec l’UES ni autorisé la communication de leurs notes, comme c’était leur droit.

Le 21 octobre 2020, vers 1 h 45 du matin, les membres d’une équipe d’agents du GIU – l’équipe 2 – se sont regroupés devant un appartement au 7e étage d’un immeuble de Donway West. Ils étaient là pour faciliter l’exécution d’un mandat de perquisition que l’UGIBC du SPT avait obtenu. La personne visée par le mandat était recherchée pour une infraction relative aux armes à feu commise une semaine auparavant, et les policiers allaient fouiller l’appartement pour saisir une arme à feu liée à leur enquête en cours. Il était prévu que le GIU entrerait en force dans l’appartement, arrêterait les occupants, puis partirait pour permettre aux agents de l’UGIBC de procéder à la fouille.

L’AT no 1, qui était chargé de diriger l’entrée des agents dans l’appartement, a crié à plusieurs reprises [Traduction] : « Police de Toronto, occupants de [numéro de l’appartement], mettez-vous à terre » tandis que l’AI no 2 cognait la porte avec un bélier pour l’ouvrir de force. Une fois la porte ouverte, un dispositif de distraction a été déployé dans l’appartement. L’AT no 1 est alors entré dans un long couloir étroit depuis la porte d’entrée. L’agent était armé d’un fusil C8.

L’AT no 1 et les agents qui le suivaient ont fait quelques pas dans l’appartement quand des coups de feu ont retenti. Les coups de feu – une demi-douzaine environ – ont frappé les murs du couloir et le cadre de la porte d’une chambre située au bout du couloir. L’équipe d’agents a décidé de battre en retraite.

Une fois à l’extérieur de l’appartement, les membres de l’équipe du GIU ont évalué la situation, ont vérifié que personne n’était blessé et se sont regroupés. L’AT no 1 s’est accroupi par terre, à gauche de la porte. L’AT no 2 s’est placé debout au-dessus de lui. L’AT no 6 et l’AT no 3 se sont placés à droite de la porte. Ils pointaient leurs armes à feu sur le couloir et la chambre au fond.

L’appartement appartenait à une femme. Au moment de l’arrivée des agents, des amis de sa fille occupaient une chambre située au fond du couloir principal, en face de la porte d’entrée. Le plaignant, l’homme visé par le mandat et plusieurs autres personnes étaient dans la chambre.

De sa position près de la porte d’entrée, l’AT no 1 a crié aux occupants de laisser tomber leurs armes et de marcher à reculons vers l’entrée, les mains en l’air. Un par un, les occupants de l’appartement – huit au total – ont commencé à sortir en se dirigeant vers les agents. Quand ils atteignaient le seuil de la porte ouverte, les AI no 1 et AI no 2 –dont le rôle dans l’opération était de prendre la garde des personnes arrêtées dans l’appartement puis de les transférer aux agents de l’UGIBC du SPT – les saisissaient un à un et les menottaient.

Pendant ce temps, l’AT no 4 et l’AT no 5 sont entrés dans l’appartement voisin et sont allés sur le balcon. Ce balcon était séparé de celui de l’appartement visé par une cloison vitrée. L’AT no 4 a brisé la cloison vitrée et est entré sur le balcon de l’appartement visé. L’AT no 4 a trouvé et saisi une arme de poing semi-automatique noire par terre, sous la fenêtre de la chambre où les occupants de l’appartement s’étaient rassemblés quand l’équipe du GIU est entrée dans l’appartement.

À sa sortie de l’appartement, le plaignant a été plaqué à terre par l’AI no 1 et/ou l’AI no 2. Une lutte d’une certaine durée s’est ensuivie, après quoi le plaignant a été menotté et placé sous la garde des agents de l’UGIBC.

Les agents du GIU sont entrés dans l’appartement vers 2 h 10 du matin et sont repartis peu après, après avoir vérifié que l’appartement ne présentait plus de danger et qu’il n’y avait plus personne à l’intérieur.

Après son arrestation, le plaignant a été conduit à l’hôpital où, apparemment, on lui a diagnostiqué une fracture de la mâchoire.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel -- Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :
a) soit à titre de particulier
b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
d) soit en raison de ses fonctions
est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du directeur

Le 22 octobre 2020, le plaignant aurait subi une blessure grave au cours de son arrestation par des membres de l’équipe du GIU du SPT. Deux membres de cette équipe – l’AI no 1 et l’AI no 2 – ont été désignés agents impliqués aux fins de l’enquête de l’UES. Après avoir évalué le dossier de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI no 1 et l’AI no 2 aient commis une infraction criminelle en lien avec l’arrestation et la blessure du plaignant.

En vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel, les policiers sont exonérés de toute responsabilité criminelle lorsqu’ils ont recours à la force dans l’exécution de leurs fonctions, pour autant que cette force n’excède pas ce qui est raisonnablement nécessaire à l’accomplissement de ce qu’il leur est enjoint ou permis de faire en vertu de la loi. Au moment où le plaignant a été placé sous garde, les membres du GIU qui étaient entrés dans l’appartement du 7e étage avaient été la cible de coups de feu tirés par un ou plusieurs occupants de la chambre au bout du couloir. Le plaignant était l’un de ces occupants. Compte tenu de la gravité et de la volatilité de la situation dans laquelle se trouvaient les agents, je ne peux pas raisonnablement conclure que l’AI no 1 et l’AI no 2 n’avaient pas de motif légitime d’arrêter le plaignant pour un certain nombre de voies de fait et d’infractions liées aux armes.

Par la suite, il n’y a pas suffisamment de preuves pour suggérer que l’AI 1 no ou l’AI no 2 aient eu recours à une force excessive pour placer le plaignant sous garde. On dispose de peu de détails sur l’arrestation du plaignant, si ce n’est qu’il a été plaqué à terre et qu’une lutte s’est ensuivie avant qu’il ne soit menotté. Ni l’un ni l’autre des deux agents impliqués, pas plus que le plaignant, n’ont fait de déclaration à l’UES. Quant aux autres agents du GIU qui étaient à proximité, leur attention portait naturellement sur ce qui se passait à l’intérieur de l’appartement et ce qu’ils pouvaient observer depuis l’embrasure de la porte. Même si certains ont pu entendre le bruit d’une lutte derrière eux, ils ont présumé qu’il s’agissait d’une lutte entre les agents qui procédaient à l’arrestation (AI no 1 et/ou AI no 2) et le plaignant, et aucun d’eux ne s’est retourné pour voir ce qui se passait. Étant donné ce manque de preuves concernant la nature et l’intensité de la force utilisée et le fait que les membres du GIU faisaient face à une situation très tendue puisqu’ils venaient d’être la cible de coups de feu et avaient de bonnes raisons de craindre une reprise de ces tirs, je ne suis pas en mesure de conclure que le fait de plaquer à terre le plaignant était en soi inutile et illégal. Au contraire, je suis convaincu que les agents avaient le droit de plaquer à terre les individus rapidement dès leur sortie de l’appartement pour les neutraliser immédiatement dans une position désavantageuse afin de s’assurer qu’ils n’étaient pas armés.

En conséquence, même s’il se peut que le plaignant ait subi sa fracture à la mâchoire au cours d’une altercation physique avec l’AI no 1 et/ou l’AI no 2, la preuve ne permet pas de croire raisonnablement que les agents impliqués ont agi autrement que légalement tout au long de leur intervention. Il n’y a donc pas lieu de déposer des accusations criminelles dans cette affaire, et le dossier est clos.


Date : 27 avril 2021

Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Le plaignant a refusé de participer à une entrevue avec l’UES ou d’autoriser la divulgation de son dossier médical. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.