Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 20-OCI-235

Attention :

Cette page affiche un contenu graphique pouvant choquer, offenser et déranger.

Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Le rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur les blessures subies par un homme de 33 ans (plaignant).

L’enquête

Notification de l’UES
 

Le 24 septembre 2020, à 9 h 55, le Service de police de Kingston a avisé l’UES que le plaignant avait été admis à l’hôpital à la suite de son arrestation.

Le service de police a signalé que, le 23 septembre 2020, à 4 h, des agents s’étaient rendus à une résidence sur la rue Ford parce que des personnes avaient été poignardées. Le plaignant avait, semble-t il, poignardé quatre hommes. Les victimes avaient réussi à s’enfuir de la résidence, et le plaignant, dont la consommation de méthamphétamine était connue, s’état barricadé dans son logement. Un siège de 12 heures s’est ensuivi, et des gaz lacrymogènes ont été lancés dans le logement. Le plaignant a fini par être arrêté, après le déploiement d’une arme à impulsions. Les drogues que le plaignant a consommées durant la confrontation n’ont pas été déterminées. Il a été admis à l’Hôpital général de Kingston, même si le motif exact de l’admission n’était pas connu par le Service de police de Kingston. Il semblerait que le plaignant était inconscient à l’unité de soins intensifs, sous la garde d’agents du même service de police.

Le Service de police de Kingston a précisé que le plaignant avait peut être subi une fracture d’une côte.

L’équipe
 

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés :     3

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés :     1

Le 24 septembre 2020, l’enquêteur principal de l’UES a communiqué avec le Service de police de Kingston, qui a indiqué que les lieux n’étaient plus préservés.

L’arme à impulsions qui avait été déployée durant l’incident avait été mise en lieu sûr par le service de police. Le 24 septembre 2020, un enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES s’est rendu au poste du Service de police de Kingston et a téléchargé les données de déploiement de l’arme à impulsions.

Le plaignant est demeuré sous sédatif jusqu’au 5 octobre 2020, ce qui a retardé l’obtention du consentement pour la divulgation de son dossier médical à l’UES, qui voulait vérifier les blessures subies. Le 5 octobre 2020, l’UES a appris que le plaignant était réveillé et qu’il avait été remis sous garde au Centre de détention de Quinte. L’UES a demandé l’aide du centre de détention pour faire signer par le plaignant le formulaire de consentement pour la divulgation de son dossier médical, et le centre de détention a accédé à cette demande. Le 8 octobre 2020, l’Hôpital général de Kingston a confirmé les blessures du plaignant.

Le 9 octobre 2020, l’UES a demandé la liste des agents en cause. Le Service de police de Kingston s’est alors engagé a transmettre l’information à l’UES pour le 13 octobre 2020. Pourtant, les agents témoins n’ont été désignés que le 23 octobre 2020, et les notes des agents témoins ont été reçues par l’UES le 3 novembre 2020. Le délai pour la désignation des agents témoins et la réception de leurs notes a aussi retardé l’entrevue des agents. La première entrevue avec un agent témoin a en effet eu lieu le 4 novembre 2020.

D’autres demandes de renseignements ont été envoyées au Service de police de Kingston le 8 décembre 2020. Une bonne part de ce qui avait été demandé n’a pas été reçu par l’UES avant le 29 décembre 2020. Le délai de réception a aussi entraîné un délai pour l’établissement du rapport. Il a aussi été difficile de joindre les victimes du plaignant, ce qui a retardé encore davantage la clôture de l’enquête.

Plaignant :


Homme de 33 ans; a participé à une entrevue



Témoins civils
 

TC no 1     A participé à une entrevue
TC no 2     A participé à une entrevue
TC no 3     A participé à une entrevue
 

Agents témoins
 

AT no 1     A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AT no 2     Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 3     A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AT no 4     A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AT no 5     Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 6     Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 7     Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 8     A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AT no 9     Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire



Agents impliqués
 

AI no 1     A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AI no 2     A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AI no 3     A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AI no 4     A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AI no 5     A participé à une entrevue; notes reçues et examinées



Éléments de preuve

Les lieux
 

Les lieux n’ont pas été préservés en attendant la notification de l’incident à l’UES. Par conséquent, il n’y a pas eu d’enquêteurs de l’UES qui se sont rendus à la résidence de la rue Ford.

Éléments de preuve matériels
 

Appareil d’enregistrement vidéo de l’Unité d’intervention d’urgence

L’Unité d’intervention d’urgence a déployé un appareil d’enregistrement vidéo dans la résidence à 7 h 32 Trois enregistrements vidéo de l’appareil ont été examinés.

Il y a eu très peu de son ou de bruit à proximité de l’appareil pendant les deux premières heures.

À 9 h 30, il s’est produit un branle-bas et on a enregistré des cris dans la résidence.

À 9 h 42, un coup a retenti et on a entendu le plaignant tenir des propos incohérents.

À 10 h 10, il y a eu des bruits secs, et le plaignant s’est mis à tousser et à avoir des haut-le-cœur

On a entendu d’autres coups durant le reste de l’enregistrement, mais il était impossible de déterminer si les bruits provenaient de l’équipement que la police utilisait ou du plaignant qui détruisait des objets.

On pouvait voir deux chiens aller et venir dans la résidence.

À 10 h 51, on a entendu toutes sortes de bruits et le plaignant a crié : [Traduction] « Merde! ». Il était difficile de préciser si les bruits provenaient du déchargement d’armes de la police ou du plaignant qui détruisait des objets.

À 10 h 52, un homme, avec du sang ou des tatouages du côté gauche de la poitrine, a reculé dans une entrée de porte près de l’appareil. Il avait dans sa main droite ce qui semblait être un grand couteau. On a ensuite entendu de nombreux bruits de cognement.

À 11 h 10, un agent a demandé au plaignant s’il voulait sortir, les mains en l’air. Le plaignant a répondu : [Traduction] « Non ». L’agent a alors dit au plaignant qu’ils allaient utiliser plus de gaz.

À 11 h 12, le plaignant s’est penché et a ramassé un moule à cuisson, qui était sur le plancher, puis il l’a lancé dans le couloir. Il avait toujours un couteau dans la main droite.

L’agent a demandé plusieurs fois au plaignant s’il allait sortir, et celui-ci a répondu à plusieurs reprises : [Traduction] « Jamais ». Le plaignant a parlé d’être tué par la police, et un agent lui a répondu qu’ils ne le tueraient pas. Le plaignant a continué de dire qu’il ne sortirait jamais de la résidence.

À 11 h 25, d’autres bruits forts se sont produits et le plaignant a recommencé à avoir des haut-le-cœur. Il a crié : [Traduction] « Je suis en train de mourir ». Un agent a annoncé très fort qu’ils allaient entrer pour porter secours au plaignant et lui a dit : [Traduction] « Vous devez renoncer ». À nouveau, le plaignant a répondu dit : [Traduction] « Jamais ».

À 11 h 30, on a enregistré beaucoup de bruit, qui donnait à penser que des agents étaient entrés. Le plaignant s’est mis à hurler de douleur.

À 11 h 37, on a entendu le son d’une pulvérisation de gaz, sans qu’on voie la source [vraisemblablement un bidon de gaz].

Le plaignant a continué de dire en marmonnant que la police allait lui faire du mal. À 12 h 20, un agent a répondu : [Traduction] « La dernière fois, on ne vous a pas fait mal quand vous êtes sorti ». Le plaignant alternait entre pleurer et déblatérer. Ses changements de ton donnaient parfois l’impression qu’il y avait plus d’une personne dans la résidence.

À 13 h 20, on a entendu un bruit de métal frappant du métal, puis un sifflement [1].

À 13 h 22, un agent a crié : [Traduction] « Il a des ciseaux dans la main ».

À 13 h 23, un agent a fait remarquer qu’une bouteille de propane avait été défoncée. L’agent a dit : [Traduction] « On ne peut pas utiliser d’arme à impulsions ». L’agent a signalé que le plaignant s’était enfermé dans une chambre à coucher. À ce moment-là, les agents étaient entrés dans la partie avant de la résidence.

À 13 h 27, les agents ont ordonné à plusieurs reprises au plaignant de lâcher son couteau. La vidéo montre le plaignant marchant dans la résidence. On ne voit pas de couteau dans sa main droite à ce moment-là, mais on ne voit pas clairement sa main gauche.

À 14 h 10, un agent a signalé que le plaignant tenait un moule en métal dans la main gauche. L’agent a dit : [Traduction] « Couteau dans la main, cigarette dans la bouche ». Il a dit de nouveau : [Traduction] « Couteau confirmé dans la main gauche », puis a ajouté : [Traduction] « maintenant dans la main droite ». Les agents ont discuté de la situation et l’un d’eux a dit que le couteau ressemblait à un couteau de chasse.

À 14 h 21, un agent a mentionné : [Traduction] « Couteau dans la main, couteau dans la main ».

À 14 h 25, un agent a indiqué que le plaignant saignait dans le haut de la poitrine, du côté gauche.

À 14 h 26, un agent a parlé à un autre agent et lui a dit : [Traduction] « Ça va être glissant et dégueulasse », puis : [Traduction] « Mon gars, tu vas même pas y aller. Regarde toute cette merde ».

À 14 h 48, les agents ont discuté de leur fatigue et déploré la perspective d’avoir à nettoyer les lieux.

À 14 h 49, un agent a dit : [Traduction] « Espèce de gros épais d’imbécile ». On ne savait pas de qui il parlait. Un autre agent a lancé un avertissement en disant que l’appareil d’enregistrement était encore dans la résidence. Un agent a dit à l’un des autres agents de jeter l’appareil par la fenêtre. On a alors jeté l’appareil dehors.

Les agents ont dit au plaignant : [Traduction] « C’est fini ». Ils lui ont dit que le moment était venu de quitter les lieux et lui ont demandé de sortir et de montrer ses mains.

À 15 h 28, des agents ont crié au plaignant de jeter le couteau par la fenêtre d’en arrière.

À 15 h 37, un agent a demandé à plusieurs reprises à un chien [vraisemblablement le chien policier] de venir vers lui.

À 15 h 47, il a été question d’utiliser des échelles.

À 16 h 16, un moteur diesel bruyant [probablement celui du véhicule blindé de la Police provinciale] s’est approché de l’appareil d’enregistrement et a couvert tout autre son.

À 16 h 26, des agents étaient dehors sur la pelouse et répétaient au plaignant de rester par terre. Le plaignant marmonnait des propos incohérents. À 16 h 36, un agent a mentionné que les jambes du plaignant avaient été entravées.

À 16 h 49, l’enregistrement a pris fin.
       

Registres de décharge des armes à impulsions

L’AI no 4 a dit à l’UES qu’il avait déchargé son arme à impulsions deux fois durant l’incident.

Le 24 septembre 2020, les données de l’arme à impulsions désignée comme celle ayant été déchargée pendant l’arrestation du plaignant ont été téléchargées par un enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES. Les données ne contenaient aucun fichier du 23 septembre 2020. L’arme à impulsions avait été branchée à un ordinateur du Service de police de Kingston avant l’arrivée de l’enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES. Lorsque l’UES a demandé si le service de police avait téléchargé les données de l’appareil, celui-ci a répondu que l’agent no 1, qui était membre de l’ l’Unité d’intervention d’urgence et de l’unité de formation du Service de police de Kingston, était celui qui avait branché l’arme à impulsions à un ordinateur.

Le 1er mars 2021, l’agent no 1 a informé l’UES que l’arme à impulsions que transportait l’AI no 4 avait fait l’objet d’une défaillance majeure ayant causé une « erreur de synchronisation ». Lorsque l’agent no 1 a branché l’arme à impulsions à son ordinateur, l’horloge interne de l’arme a été corrigée.

L’agent no 1 a ajouté que les enregistrements de données pour le 23 septembre 2020 étaient datés du 15 septembre 2020. Selon l’agent no 1, les données internes indiquaient que l’AI no 4 avait déchargé l’arme à impulsions pour la première fois le 15 septembre 2020 à 14 h 1, et la deuxième fois à 15 h 29, mais en réalité, le déchargement avait eu lieu juste avant que le plaignant ne soit placé sous garde, soit à 16 h 26.

Figure one
Figure 1 – L’arme à impulsions de l’AI no 4

Enregistrements des communications de la police
 

Le 23 septembre 2020, une femme a téléphoné d’un logement dans une résidence de la rue Ford pour signaler qu’un homme, dans un autre logement du même immeuble, était drogué et avait poignardé son petit ami dans la poitrine. Elle a indiqué que l’homme [Traduction] « poignardait tout le monde ».

Un autre appel au 911 a été reçu d’un homme du deuxième logement, qui disait qu’un autre homme l’avait poignardé. L'homme a mentionné que le coupable était dans la cuisine et tenait un couteau, et il a identifié le coupable comme étant le plaignant. Il a ajouté que le plaignant avait également poignardé ses deux frères.

Un agent s’apprêtant à intervenir a suggéré que le centre de répartition avise l’Unité d’intervention d’urgence, car la dernière fois qu’ils avaient eu affaire au plaignant, la confrontation avait été assez mémorable.

Deux agents ont signalé que les blessés étaient dans une chambre à coucher et étaient en train de retirer un climatiseur de la fenêtre pour s’échapper de la résidence, après quoi le plaignant serait le seul occupant du logement.

Un agent a indiqué peu de temps après que les trois victimes étaient à l’extérieur de la résidence et n’avaient subi que de légères blessures. Le suspect (plaignant) était dans la résidence et en possession d’un couteau.

Un agent a signalé que le suspect jetait des assiettes et des bols par la fenêtre arrière.

Il a ensuite été question de la présence d’armes à feu dans la résidence. On croyait qu’elles étaient munies d’un verrou, mais les agents ont discuté de la possibilité que le plaignant pointe une arme à feu sur des agents.

Un agent a signalé que la mère du plaignant était sur les lieux et avait essayé de lui parler, mais qu’elle était trop émotive pour continuer.

L’équipe mobile d’intervention rapide en situation de crise du Service de police de Kingston (équipe d’intervention en cas de crise de santé mentale) a été dépêchée sur les lieux. Des agents ont signalé que le plaignant refusait de négocier et continuait de jeter des objets par la fenêtre.

Des agents ont discuté d’un plan consistant à lancer du gaz lacrymogène dans la partie arrière de la résidence pour essayer d’amener le plaignant à se déplacer vers l’avant.

À plusieurs reprises, du gaz CS (2-chlorobenzalmalononitrile) et du gaz poivré (capsicine oléorésineuse) ont été déployés dans la résidence. On a mentionné à maintes reprises que des cartouches n’avaient pas fonctionné. Un pulvérisateur de gaz a semblé être efficace, car le plaignant s’est mis à tousser en marchant et avait de la difficulté à voir, mais il refusait toujours de se rendre. Pour leur part, les agents ne voulaient pas pénétrer dans la résidence avant que le plaignant ne lâche le couteau qu’il tenait.

À un moment donné, le plaignant avait apparemment les mains vides, et les agents de l’Unité d’intervention d’urgence ont été autorisés à défoncer la porte d’entrée. Ils ont commencé à demander au plaignant de sortir. Un agent a signalé que celui-ci semblait être dans la cuisine.

Un agent a dit qu’il y avait une odeur de propane, et on a convenu que la présence de propane empêchait de décharger des armes à impulsions. Le plaignant a été observé de nouveau un couteau dans la main, avec lequel il frappait la table de la cuisine.

On a indiqué que le plaignant lançait des couteaux et des casseroles aux agents qui étaient entrés dans la résidence et qu’il leur demandait de reculer. Quelqu’un a également précisé que la bouteille de propane qui avait été endommagée dans le logement était une petite cartouche de camping et que le service d’incendie avait indiqué que le propane d’un contenant de cette taille se dissiperait rapidement étant donné que les vitres des fenêtres de la résidence avaient été cassées.

D’autres cartouches et projectiles de gaz CS ont été lancés dans la résidence. Les agents ont continué de signaler que le plaignant tenait un couteau. Les agents de l’Unité d’intervention d’urgence étaient sur le seuil de l’entrée principale et le plaignant était apparemment dans une chambre à coucher. On a vu qu’il saignait dans le haut de la poitrine, du côté gauche, et il continuait de jeter des couteaux vers les agents.

Un agent a indiqué qu’un chien policier avait été envoyé dans la résidence, mais avait de la difficulté à passer par-dessus un congélateur. L’agent essayait de récupérer le chien.

Plus tard, des agents du Service de police de Kingston ont décidé de déployer le véhicule blindé de la Police provinciale dans la rue Ford.

Un agent a lancé : [Traduction] « L’homme est par terre, allez-y, allez-y ». Les agents ont ensuite déclaré qu’ils avaient un homme sous garde, à 16 h 26 (heure fournie par le centre de répartition).

Éléments obtenus auprès du Service de police
 

Sur demande, l’UES a obtenu et examiné les documents et éléments suivants du Service de police de Kingston :

  •  les enregistrements des communications;
  •  le rapport du système de répartition assisté par ordinateur;
  •  les enregistrements audio et vidéo d’un appareil de l’Unité d’intervention d’urgence installé dans la résidence;
  •  la liste des membres de l’Unité d’intervention d’urgence;
  •  la politique du Service de police de Kingston relative aux personnes armées barricadées;
  •  les notes de tous les agents témoins désignés;
  •  les notes de tous les agents impliqués désignés;
  •  le registre de service des agents en uniforme;
  •  le rapport d’incident général pour le plaignant;
  •  les notes au dossier relatives à l’appareil d’enregistrement vidéo de l’Unité d’intervention d’urgence.

Éléments obtenus auprès d’autres sources


L’UES a obtenu et examiné les documents et éléments suivants de sources non policières :

  •  le dossier médical de l’Hôpital général de Kingston.

Description de l’incident

Le déroulement des événements pertinents ressort du poids des éléments de preuve réunis par l’UES, notamment les entrevues avec le plaignant, les cinq agents impliqués et plusieurs agents témoins et témoins civils ayant observé au moins une partie de l’incident. Vers 4 h, des agents du Service de police de Kingston ont été dépêchés à un immeuble de la rue Ford à la suite d’appels au 911 faits à la police à partir de cet endroit pour signaler que le plaignant semblait être sous l’influence de drogues et avait poignardé plusieurs hommes dans l’immeuble.

Le plaignant avait bel et bien attaqué plusieurs personnes dans la résidence. Il était hébergé dans le logement d’une femme, qui occupait l’étage principal de l’immeuble. Dans la matinée du 23 septembre 2020, après avoir consommé de la méthamphétamine, il est entré en furie. Il a d’abord attaqué l’un des fils de la femme, soit le TC no 3, en le frappant à la tête avec un bas contenant un cadenas. Ce coup a occasionné une fracture de la mâchoire du TC no 3. Entendant le bruit de bagarre, les frères du TC no 3 sont entrés dans la chambre, et le plaignant leur a alors donné des coups avec le couteau de poche qu’il avait en sa possession. L’un des deux frères a été poignardé au coup et à la tête. Les frères ont réussi à sortir le plaignant de la chambre et à s’enfuir en passant par la fenêtre de la chambre, laissant ainsi le plaignant seul dans le logement.

Des agents en uniforme du Service de police de Kingston ont commencé à arriver sur les lieux et ont délimité un périmètre autour de l’immeuble. Comme on savait que le plaignant était seul, armé et dangereux dans le logement, les agents ont décidé d’encercler les lieux en attendant l’arrivée des agents de l’Unité d’intervention d’urgence.

Vers 17 h, l’AI no 5 a pris le commandement des opérations. Les agents de l’Unité d’intervention d’urgence s’étaient déployés sur les lieux et avaient pris position à l’intérieur du périmètre délimité par les agents en uniforme. Différentes tactiques ont été utilisées pour tenter d’amener le plaignant à se rendre sans résistance pour le mettre sous garde, mais le plaignant ne voulait rien entendre. Il criait à l’intérieur de la résidence, il a lancé par les fenêtres des objets, y compris des couteaux, en direction des agents et il a endommagé des biens dans le logement tout en brandissant un couteau.

Des négociateurs spécialement formés sont arrivés et ont tenté de parler avec le plaignant par les fenêtres du logement, qui avaient été fracassées à ce stade, et par téléphone. Lorsqu’il a répondu, le plaignant a déclaré catégoriquement qu’il n’avait nulle intention de se rendre ni de lâcher son couteau. Une travailleuse en santé mentale affiliée à l’équipe d’intervention en cas de crise de santé mentale au Service de police de Kingston s’est aussi approchée de l’immeuble, tout en étant protégée par un agent tenant un bouclier de la police, pour tenter de parler avec le plaignant. Celui-ci a fait la sourde oreille et a continué de lancer des objets par les fenêtres. Craignant pour sa sécurité, la travailleuse en santé mentale s’est éloignée de l’immeuble. À un certain stade, la mère du plaignant a eu l’autorisation de lui parler. Elle n’a toutefois pas eu plus de succès.

Après plusieurs heures, comme les choses n’avançaient pas, l’Unité d’intervention d’urgence a décidé d’adopter une approche plus active. À partir d’environ 11 h 10, plusieurs cartouches de gaz lacrymogène et de gaz poivré ont été lancées dans la résidence, dans l’espoir de faire sortir le plaignant. Une partie des cartouches ont été déployées avec succès, mais ont semblé avoir peu d’effet sur le plaignant, qu’on voyait toujours se déplacer dans la résidence par les fenêtres, avec son couteau à la main.

Un peu après 14 h, l’AT no 5 a approuvé un plan selon lequel un certain nombre d’agents de l’Unité devaient entrer par la porte principale de la résidence et occuper l’espace du devant du logement. Le but était de réduire l’espace dans lequel le plaignant pouvait se déplacer à l’intérieur. Voyant les agents, le plaignant s’est mis à lancer des couteaux et divers objets dans leur direction. Ceux-ci se sont servis de leur bouclier pour faire dévier la plupart des projectiles. L’AI no 4, qui faisait partie de l’équipe chargée de pénétrer dans le logement, a déployé son arme à impulsions vers le plaignant, mais la décharge a été sans effet. Le plaignant a continué à se déplacer de manière frénétique d’une chambre à l’autre à l’arrière du logement, grimpant et traversant des objets et débris qui jonchaient le sol et bloquaient le couloir, y compris un réfrigérateur et d’autres articles ménagers qu’il avait brisés. Les armes ARWEN déployées par l’AI no 3 et l’AI no 1, membres de l’équipe entrée dans le logement, ont aussi été sans effet. Bien qu’un ou deux projectiles aient atteint leur cible, le plaignant est resté solidement debout sur ses deux jambes sans lâcher son couteau. Le chien policier envoyé en direction du plaignant ne l’a pas non plus neutralisé. Celui-ci semblait avoir en fait un effet calmant sur le chien et on l’a même vu le caresser à un certain stade.

Pendant que la confrontation se poursuivait, l’AI no 5 a mis en œuvre un autre plan. Les AI nos 4 et 2, armés respectivement d’une arme à impulsions et d’une arme ARWEN, sont montés dans deux échelles séparées, placées près de l’une des fenêtres fracassées des chambres du logement. Ils devaient déployer leur arme dès qu’ils verraient le plaignant dans la chambre, afin de le neutraliser à distance. Par la suite, les membres de l’équipe à l’avant du logement devaient se précipiter pour mettre le plaignant sous garde.

Juste avant 16 h 30, le plaignant s’est rendu dans la chambre surveillée par les AI nos 4 et 2, perchés sur une échelle, et il a reçu les décharges d’une arme à impulsions et d’une arme ARWEN. L’arme à impulsions l’a fait figer et tomber au sol, puis il a reçu une décharge d’arme ARWEN. L’AI no 2 a communiqué par radio avec l’équipe chargée d’investir le logement pour dire d’entrer dans la chambre, et les agents se sont exécutés.

Après une brève lutte, durant laquelle il semblerait qu’aucun agent n’ait donné de coup, le plaignant a été dépossédé de son couteau, maîtrisé et menotté.

Après son arrestation, le plaignant a été sorti des lieux et conduit à l’hôpital en ambulance. On a diagnostiqué quatre côtes fracturées du côté droit, une fracture du pied gauche, un pneumothorax partiel du côté droit et de nombreuses ecchymoses.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel -- Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :
a) soit à titre de particulier
b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
d) soit en raison de ses fonctions

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du directeur

Le 23 septembre 2020, le plaignant a été arrêté par des agents du Service de police de Kintgston et conduit à l’hôpital, où des blessures graves ont été diagnostiquées. Il avait été mis sous garde dans l’après-midi ce jour-là, après une longue confrontation avec l’Unité d’intervention d’urgence du même service de police. Cinq membres de l’équipe, soit l’AI no 5 (aux commandes de l’opération) et les AI nos 1, 2, 3 et 4 ont été désignés comme agents impliqués pour les besoins de l’enquête de l’UES. D’après mon évaluation des éléments de preuve, il n’existe pas de motifs raisonnables de croire que l’un ou l’autre des AI a commis une infraction criminelle ayant un lien avec l’arrestation et les blessures du plaignant.

En vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel, les agents ne peuvent être reconnus coupables d’avoir fait usage de la force dans l’exercice de leurs fonctions, à condition que cette force ne dépasse pas ce qui est raisonnablement nécessaire pour accomplir quelque chose que la loi les autorise ou les oblige à faire. Les agents qui se sont rendus à l’immeuble de la rue Ford pour arrêter le plaignant étaient dans l’exercice de leurs fonctions légitimes. Ils savaient que le plaignant était armé d’un couteau, qu’il était extrêmement agité et violent et qu’il venait d’attaquer deux occupants du logement, en leur infligeant de graves blessures. Ils avaient des motifs amplement suffisants pour arrêter le plaignant pour différentes infractions, y compris une agression armée.

J’ai la conviction que, par la suite, les AI n’ont pas dépassé l’usage d’une force raisonnable pour parvenir à leurs fins. Sous le commandement de l’AI no 5, l’opération policière, qui a duré une douzaine d’heures, visait manifestement à mettre un terme à la confrontation de manière pacifique. Tous les efforts possibles ont été déployés pour négocier avec le plaignant et l’amener à se rendre à la police. Des négociateurs spécialement formés, une travailleuse en santé mentale professionnelle et même la mère du plaignant ont tenté de persuader le plaignant de lâcher son arme et de sortir du logement. Malheureusement, le plaignant ne voulait rien entendre. Ce n’est que lorsqu’il est apparu évident que les négociations ne mèneraient à rien que l’AI no 5 a décidé d’intervenir plus fermement. Encore une fois, la tactique initiale consistait à déployer du gaz lacrymogène et du gaz poivré à distance dans l’espoir que le plaignant sorte et quitte la position avantageuse qu’il avait à l’intérieur du logement et que sa résistance diminue sous l’effet des gaz. Ce n’est que lorsque cette tactique a aussi échoué et qu’on a constaté que le plaignant semblait insensible aux gaz que les agents ont commencé à se servir des armes à leur disposition susceptibles de causer plus de dommages physiques, notamment un chien policier, des armes ARWEN et des armes à impulsions, de manière à exercer une force physique directe contre le plaignant. Toutefois, à l’exception des dernières décharges d’arme à impulsions et d’arme ARWEN, le plaignant n’a pas semblé ébranlé et on l’a même vu calmer et caresser le chien à un certain moment dans la chambre. Au vu du dossier, étant donné que les agents affrontaient un individu armé et violent pendant une confrontation prolongée, je considère que la force exercée par les agents était en tous points proportionnelle aux impératifs de la situation.

Il reste difficile à déterminer si des blessures subies par le plaignant ont été directement infligées par la police. En fait, il est possible et même probable qu’au moins une partie des blessures soient survenues durant la bagarre avec les résidents qui a précédé l’arrivée de la police ou durant les déplacements frénétiques du plaignant dans la résidence, où on l’avait vu se cogner à des articles ménagers. Quoi qu’il en soit, puisqu’il n’existe pas, au vu du dossier, de motifs raisonnables de croire que les agents impliqués ont agi autrement qu’en toute légalité durant toute la confrontation, il n’y a pas lieu de porter des accusations dans cette affaire.


Date : 6 avril 2021

Signature électronique

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) On croit qu’il s’agissait de la perforation de la bouteille de propane. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.