Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 20-OCI-287

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur les blessures subies par un homme de 27 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 29 octobre 2020, à 13 h, le Service de police de Thunder Bay (SPTB) a avisé l’UES de la blessure du plaignant et donné le rapport qui suit.

Le 28 octobre 2020, à 22 h 59, des agents du SPTB se sont rendus à la taverne Westfort, 1408, rue Brown, à Thunder Bay, pour une bagarre entre plusieurs personnes dans le bar. À l’arrivée des policiers, la première bagarre avait pris fin, mais une deuxième a commencé. Le plaignant a fait tomber l’agent impliqué (AI) à terre et est lui-même tombé. L’agent témoin (AT) a participé à l’arrestation du plaignant, tout en aidant l’AI. Le plaignant a subi des lacérations aux fesses et a été transporté au Centre régional des sciences de la santé de Thunder Bay (CCSB). Les agents du SPTB qui étaient à l’hôpital ont avisé le SPTB par la suite que le plaignant avait été admis au service chirurgical en raison de la profondeur des lacérations.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 0

Plaignant :

Homme de 27 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés

Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue
TC no 2 A participé à une entrevue
TC no 3 A participé à une entrevue

Agents témoins

AT A participé à une entrevue

Agent impliqué

AI N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué. Ses notes ont été reçues et examinées.


Éléments de preuve

Les lieux

L’incident s’est déroulé dans le bar de la taverne Westfort, située au 1408, rue Brown, à Thunder Bay.

La scène n’a pas été examinée par un spécialiste des sciences judiciaires; néanmoins, l’incident a été capturé par une caméra de vidéosurveillance et par des vidéos de téléphones cellulaires de clients de la taverne.

Le bar est un établissement typique, avec des tables et des chaises pour les clients.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies


Vidéo de téléphone cellulaire no 1

Le SPTB a remis à l’UES une vidéo prise avec un téléphone cellulaire. Les images étaient en couleur, mais sans fonction audio. Sur la vidéo, d’une durée d’environ neuf minutes et 38 secondes, on voit le plaignant en train d’agresser un homme inconnu au fond du bar, près d’une table de billard. Cette agression a probablement eu lieu avant l’arrivée de la police. On peut voir des clients du bar séparer le plaignant de l’homme inconnu. Ce dernier reste étendu par terre tandis que des gens se rassemblent autour de lui. La vidéo prend fin peu après.


Vidéo de téléphone cellulaire no 2

Le TC no 1 a fourni à l’UES une copie d’une vidéo prise avec un téléphone cellulaire. Cette vidéo dure environ une minute et 35 secondes. Les images sont en couleur et l’enregistrement a une fonction audio. La personne qui a filmé cette vidéo était instable, ce qui complique l’analyse des événements importants qui ont été filmés. On entend des bruits de verre brisé et des cris, suggérant une bagarre. On entend aussi des commentaires du genre [traduction] « Bon Dieu », « Qu’est-ce qu’ils foutent ? » « Les flics sont là » et « Quelle connerie ». Le reste de la vidéo n’a pas de valeur probante pour l’enquête.


Enregistrements de vidéosurveillance de la taverne Westfort

Le SPTB a fourni à l’UES une copie des enregistrements de vidéosurveillance. Les vidéos sont en noir et blanc, sans fonction audio. Diverses caméras ont capturé certaines parties de l’incident, mais l’une des caméras a enregistré des éléments plus pertinents pour l’enquête. Le champ de vision de cette caméra couvrait une grande partie de la zone du bar où l’incident s’est produit.

À 22 h 53, la vidéo commence avec un homme (maintenant connu pour être le plaignant) qui fait les cent pas près d’une porte de sortie derrière un jeu vidéo de basket-ball. Le plaignant semble agité; il fait des va-et-vient et donne des coups de pied dans la porte de temps à autre.

Une femme (que l’on pense être la TC no 2) est debout près du bar et semble parler avec plusieurs clients. Peu après, la TC no 2 avance vers le bar et est debout entre deux hommes. Un des hommes éloigne la TC no 2 du bar; la TC no 2 le repousse en appuyant sur son visage. Une lutte s’ensuit entre la TC no 2 et cet homme.

D’autres clients convergent vers l’homme qui lutte avec la TC no 2 et commencent à l’agresser. Sur d’autres images vidéo, on voit le plaignant traverser la salle en courant et bousculer l’homme, renversant des bouteilles et des articles de bar au passage. Le plaignant plaque l’homme à terre et la TC no 2 et d’autres clients commencent à donner des coups de pied à l’homme.

À 22 h 55 min 13 s, l’AT et l’AI entrent dans la taverne et tentent de séparer les combattants.

Sur des images vidéo, on voit des hommes attaquer l’AT. Des objets (vraisemblablement des bouteilles de bière) sont lancés sur les agents et l’un des hommes tire sur la veste de police de l’AT pour la lui retirer en la faisant passer par-dessus sa tête. L’AT parvient à se libérer et à repousser les hommes. L’AI semble séparer les combattants restants qui agressent l’homme. On voit le plaignant saisir l’AI par ce qui semble une prise d’étranglement et le faire tomber par terre, en renversant une table et des chaises. L’AT met un genou à terre pour essayer d’aider l’AI, mais deux hommes lui sautent sur le dos. L’AT repousse les hommes et les fait tomber par terre. L’AT se relève tandis que des clients semblent aider l’AI à se relever. D’autres clients interviennent pour écarter le plaignant de l’AI.

À 22 h 55 min 59 s, des images vidéo ont capturé le plaignant qui sort de la taverne par la porte à côté du jeu vidéo de basket-ball. Le plaignant semble être blessé à ce moment-là, car on peut voir de grandes taches de sang à l’arrière et sur la jambe gauche de son pantalon. Sur le reste de la vidéo, on voit l’AT et l’AI sortir de la taverne en suivant le plaignant.

La vidéo prend fin à 22 h 56 min 59 s

Éléments obtenus auprès du service de police

Sur demande, l’UES a obtenu les documents suivants du SPTB qu’elle a examinés :
  • Notes de l’AI;
  • Rapport d’incident supplémentaire;
  • Copie de l’enregistrement de vidéosurveillance de la taverne Westfort;
  • Copie de la vidéo no 1 prise avec un téléphone cellulaire. 

Éléments obtenus auprès d’autres sources :

L’UES a examiné les dossiers suivants obtenus auprès de sources autres que la police :
  • Dossiers médicaux – TBHSC;
  • Copie d’une photographie récente du plaignant;
  • Copie d’une photographie récente du TC no 1; et
  • Copie de la vidéo no 2 d’un téléphone cellulaire.

Description de l’incident

Les événements importants en question ressortent clairement des éléments de preuve recueillis par l’UES, grâce aux vidéos de téléphones cellulaires et de caméras de surveillance qui ont capturé des parties de l’incident, ainsi qu’aux entretiens avec le plaignant, l’AT (l’autre agent qui a procédé à l’arrestation) et un certain nombre de témoins civils. L’AI n’a pas consenti à participer à une entrevue avec l’UES, comme c’était son droit. Il a cependant autorisé la communication de ses notes sur l’incident.

Le 28 octobre 2020, juste avant 23 h, l’AT et l’AI sont arrivés à la taverne Westfort, au 1408, rue Brown, à Thunder Bay. On leur avait demandé de venir enquêter sur des troubles au bar. En entrant dans la salle, les agents se sont retrouvés au milieu d’une bagarre. Le plaignant était l’une des personnes impliquées. Un peu plus tôt, remarquant que la TC no 2 se disputait avec un client au bar, le plaignant avait plaqué à terre le client en question.

Les agents ont ordonné aux bagarreurs d’arrêter le grabuge, puis sont intervenus physiquement pour les séparer. Des bouteilles ont été lancées sur les agents et l’AT a été agressé par plusieurs hommes, et l’un d’entre eux lui a retiré sa veste en la faisant passer par-dessus la tête. Au même moment, alors que l’AI tentait de libérer un homme qui était agressé par un plusieurs autres clients, le plaignant lui a fait une prise d’étranglement et l’a fait tomber par terre. Le plaignant s’est placé au-dessus de l’AI et a commencé à le frapper. L’AI a réagi en donnant plusieurs coups de poing et a appelé son partenaire à l’aide. L’AT, qui était lui-même engagé dans une lutte avec d’autres hommes, s’est approché de son partenaire et a frappé le plaignant à la tête. L’AI est alors parvenu à se dégager de dessous le plaignant.

Après sa confrontation avec l’AI, le plaignant est sorti du bar. Les agents l’ont suivi et l’ont arrêté sans autre incident. D’autres agents ont commencé à arriver sur les lieux.

Remarquant que la jambe gauche du plaignant saignait abondamment, l’AT a appliqué un bandage compressif et une ambulance a été appelée. Le plaignant a été conduit à l’hôpital où il a été constaté qu’il avait plusieurs lacérations.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel -- Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :
a) soit à titre de particulier
b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
d) soit en raison de ses fonctions
est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du directeur

Le 28 octobre 2020, le plaignant a été arrêté par des agents du SPTB puis emmené à l’hôpital où on lui a diagnostiqué des lacérations à la jambe gauche et à la fesse droite. L’un des agents AI qui ont procédé à l’arrestation – l’AI – a été identifié comme étant l’agent impliqué aux fins de l’enquête de l’UES. Après avoir évalué les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI ait commis une infraction criminelle en lien avec l’arrestation et les blessures du plaignant.

En vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel, les agents de police sont exonérés de toute responsabilité criminelle lorsqu’ils ont recours à la force dans l’exécution de leurs fonctions, pour autant que cette force n’excède pas ce qui est raisonnablement nécessaire à l’accomplissement de ce qu’il leur est enjoint ou permis de faire en vertu de la loi. Il ne fait aucun doute que l’arrestation du plaignant par les agents était légale. Étant donné ce qu’ils avaient vu et vécu personnellement, ils avaient des motifs de placer le plaignant sous garde pour voies de fait.

Par la suite, je suis convaincu que les deux agents se sont simplement défendus et entraidés lorsqu’ils ont été confrontés et attaqués par un groupe déchaîné de clients du bar. Le plaignant était un homme de forte taille qui avait visiblement le dessus par rapport à l’AI. Il avait mis l’AI à terre avec force quand celui-ci venait en aide à un homme attaqué, et une fois l’AI à terre, l’avait frappé. Allongé par terre, l’AI a donné des coups de poing au plaignant, mais sans parvenir à contrer l’attaque. L’AT, pour venir en aide à son partenaire alors qu’il était lui-même encore impliqué dans une altercation avec d’autres hommes, a réussi à s’approcher du plaignant et à lui donner un coup à la tête. Ce coup a été efficace dans la mesure où il a permis à l’AI de se libérer du plaignant, lequel a alors quitté le bar. Une fois dehors, il semble que le plaignant, maintenant pleinement conscient qu’il avait affaire à des policiers, a collaboré et s’est laissé menotter sans problème. Au vu de ce qui précède, je ne peux pas raisonnablement conclure que la force utilisée par les agents, qui était proportionnelle à celle à laquelle ils étaient confrontés, était excessive dans les circonstances.

On ne sait pas exactement quand le plaignant a subi les lacérations pour lesquelles il a été soigné à l’hôpital. Comme il y avait du verre brisé par terre à cause des bouteilles de bière qui avaient été jetées, il est probable que le plaignant ait subi ces blessures au moins en partie par inadvertance quand il s’est retrouvé sur le plancher dans sa lutte avec les agents. Il se peut aussi que le plaignant, qui avait été impliqué dans une altercation physique avec des clients du bar avant l’arrivée des agents, ait déjà été blessé au moment de sa lutte avec l’AI et l’AT. Quoi qu’il en soit, il n’y a aucune preuve que les agents ont frappé ou poignardé le plaignant à un moment quelconque ou que leur conduite était autre que légale pendant leur interaction avec lui. Il n’y a donc pas lieu de déposer des accusations criminelles dans cette affaire, et le dossier est clos.


Date : 6 avril 2021

Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.