Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 20-PFD-314

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave (y compris une allégation d’agression sexuelle).

On doit englober dans les «â€‰blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de «â€‰blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES concernant le décès de Gary Brohman.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 19 novembre 2020, à 14 h 6, la Police provinciale de l’Ontario (la Police provinciale) a avisé l’UES du décès de M. Brohman, âgé de 60 ans, à la suite d’un échange de coups de feu avec le constable de la Police provinciale Marc Hovingh. Le constable Hovingh a également été tué dans l’incident.

La Police provinciale a signalé que des agents de la Police provinciale ont été dépêchés à une propriété située sur Hindman Trail à Gore Bay, sur l’île Manitoulin. Le propriétaire des lieux a signalé qu’un homme (M. Brohman) se trouvait à l’intérieur de l’une des roulottes de la propriété et qu’il n’avait pas l’autorisation d’y être.

Selon la Police provinciale, le constable Hovingh et l’AT no 1 sont arrivés sur les lieux et ont parlé avec le propriétaire alors que M. Brohman se trouvait à l’intérieur de la roulotte. Selon ce qui a été rapporté, le constable Hovingh a jeté un coup d’œil à l’intérieur de la roulotte et c’est à ce moment que M. Brohman a fait feu sur lui. Le constable Hovingh a riposté en tirant de trois à cinq balles. L’AT no 1 n’a pas utilisé son arme à feu.

Une équipe d’intervention d’urgence de la Police provinciale est arrivée et a trouvé M. Brohman dans la roulotte, gravement blessé par balle. M. Brohman et le constable Hovingh ont été transportés à l’hôpital Mindemoya, où le décès du constable Hovingh a rapidement été constaté. On a également constaté le décès de M. Brohman par la suite. On ne peut pas établir avec certitude si M. Brohman a été blessé par le constable Hovingh ou s’il s’est lui-même infligé une blessure par balle.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 3

Trois enquêteurs de l’UES et deux enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES ont été dépêchés sur les lieux. Un autre enquêteur spécialiste des sciences judiciaires a été assigné à l’examen post-mortem réalisé à Toronto le samedi 21 novembre 2020 à 9 h.

La Police provinciale a communiqué avec le service de police du Grand Sudbury (SPGS) et lui a demandé de réaliser une enquête parallèle au nom de la Police provinciale.

On a communiqué avec la police Anishnaabe de l’United Chiefs and Councils of Manitoulin (UCCM) pour obtenir la coopération de ses agents qui étaient présents sur les lieux de l’incident. La police Anishnaabe de l’UCCM a autorisé la Police provinciale à transmettre les notes du TC no 4 [1] à l’UES.

Plaignant :

Homme de 60 ans, décédé

Remarque : Un plaignant est une personne qui, à la suite d’une interaction avec la police, a subi une blessure grave, est décédée ou allègue avoir été victime d’une agression sexuelle.]

Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue
TC no 2 A participé à une entrevue
TC no 3 N’a pas participé à une entrevue (plus proche parent)
TC no 4 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 A participé à une entrevue
AT no 4 A participé à une entrevue


Éléments de preuve

Les lieux

Hindman Trail est un chemin non entretenu qui traverse la forêt à l’est de la ville de Gore Bay. Il commence à l’est de la route Concession no 14, qui est également appelée route Scotland et route East Bluff Road. Hindman Trail était en piètre état en raison des récentes pluies et de la circulation des véhicules de chasseurs qui se rendaient à des camps de chasse situés dans les environs.

Le TC no 1 possède des terres utilisées pour la chasse ainsi qu’un camp de chasse construit dans la forêt sur ces terres. Du côté sud de Hindman Trail se trouve un camp de chasse appartenant à un autre groupe de chasseurs. Du côté nord de Hindman Trail, sur la propriété du TC no 1, M. Brohman avait embauché quelqu’un pour créer un chemin au moyen d’un bouteur dans la forêt. À environ 100 mètres dans la forêt, M. Brohman avait placé une roulotte dans laquelle il vivait. Le chemin menant à la roulotte était en très mauvais état et seuls des véhicules à quatre roues motrices pouvaient y circuler. La camionnette de M. Brohman se trouvait à côté de sa roulotte.

Figure 1 – Le chemin menant à la roulotte de M. Brohman.

Figure 1 – Le chemin menant à la roulotte de M. Brohman.


Figure 2 – La roulotte et la camionnette de M. Brohman.

Figure 2 – La roulotte et la camionnette de M. Brohman.


À l’intersection de la route Scotland (route Concession no 14) et de Hindman Trail se trouvaient un véhicule tout-terrain et une camionnette blanche qui ont été utilisés pour transporter M. Brohman et le constable Hovingh depuis les lieux de l’incident jusqu’aux ambulances qui attendaient. Il y avait des dépôts de sang sur les deux véhicules.

Un civil a communiqué avec la Police provinciale le 19 novembre 2020 pour faire part de ses préoccupations selon lesquelles la propriété pourrait être piégée au moyen de bombes tuyau et de bombes de propane. Cela a retardé considérablement l’arrivée des enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES et du SPGS sur les lieux.

Le 21 novembre 2020, des enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES et du SPGS ont réalisé un examen restreint des lieux. Ils étaient accompagnés par un technicien des explosifs du SPGS, puisque du matériel ayant pu servir à fabriquer des bombes avait effectivement été identifié sur la propriété.

Cinq douilles de balle tirée au moyen d’un pistolet 9 mm, possiblement celui du constable Hovingh, et trois douilles de balle tirée pour fusil de calibre 12 (cartouches à plombs no 00) ont été trouvées à l’intérieur de la roulotte. Les murs de la roulotte étaient endommagés, ce qui correspond aux dommages qu’aurait pu causer un fusil utilisé à l’intérieur. Le plancher de la roulotte, près de la porte avant (la porte la plus près du dispositif d’attelage de la roulotte), était couvert de sang.


Figure 3 — Deux douilles trouvées à l’intérieur de la roulotte.

Figure 3 — Deux douilles trouvées à l’intérieur de la roulotte.


Figure 4 – Une partie des dommages relevés à l’intérieur de la roulotte.

Figure 4 – Une partie des dommages relevés à l’intérieur de la roulotte.


À la suite de l’examen restreint de l’intérieur de la roulotte, le technicien des explosifs a interdit l’accès aux lieux compte tenu de la probabilité que l’on trouve d’autres engins explosifs improvisés sur la propriété.

La Police provinciale et des agents de l’Unité de désamorçage des explosifs du SPGS ont continué d’examiner les lieux et ont trouvé de nombreux engins explosifs improvisés ainsi que des produits chimiques pouvant servir à fabriquer des explosifs et des matériaux inflammables. Pendant leur examen de la roulotte, les agents de l’Unité de désamorçage des explosifs ont trouvé de nombreuses armes à feu. Une autre douille de balle tirée de 9 mm a été trouvée pendant la recherche d’explosifs [2]. Un certificat des Forces armées canadiennes a été trouvé à l’intérieur de la roulotte; ce certificat atteste que M. Brohman a suivi un cours de sapeur en 1977.


Figure 5 – Une arme à feu récupérée sur les lieux.

Figure 5 – Une arme à feu récupérée sur les lieux.

La roulotte de M. Brohman a été dégagée, puis remorquée jusqu’à une fourrière sécurisée à Barrie. L’UES et les enquêteurs des sciences judiciaires du SPGS ont terminé leur examen de la roulotte le 5 décembre 2020.

Les données des armes à impulsions que portaient l’AT no 1 et le constable Hovingh ont été téléchargées par l’UES. L’UES a également effectué une vérification des pistolets du constable Hovingh et de l’AT no 1. Elle a déterminé que le pistolet du constable Hovingh contenait 11 cartouches, soit 7 cartouches de moins que la capacité maximale de son pistolet Glock modèle 17M.


Figure 6 – Le pistolet du constable Hovingh.

Figure 6 – Le pistolet du constable Hovingh.

Éléments de preuves médicolégaux


Données téléchargées des armes à impulsions


L’arme à impulsions du constable Hovingh avait fait l’objet d’un essai à 8 h 3, le 19 novembre 2020. Elle n’a pas été armée par la suite.

L’arme à impulsions de l’AT no 1 a été armée et a fait l’objet d’un essai à 6 h 55, le 19 novembre 2020. Elle a été armée à 10 h 58, pendant 60 secondes. Elle a été armée de nouveau à 11 h 3, pendant 136 secondes.

Enregistrements de communications

L’enregistrement commence par l’AT no 1 qui demande, à 11 h 1 : [TRADUCTION] « Coups tirés, coups tirés, j’ai besoin d’aide maintenant! »

L’AT no 1 signale que le constable Hovingh est toujours à l’intérieur de la roulotte et qu’il ne connaît pas l’état du sujet (M. Brohman). Il précise que le constable Hovingh était dans la roulotte lorsque l’accusé a tiré des coups de feu.

Quelqu’un demande à l’AT no 1 si les coups de feu provenaient de l’intérieur de la roulotte, ce à quoi l’AT no 1 répond : [TRADUCTION] « Nous sommes entrés pour aider cet homme et il a sorti une arme à feu qui était dissimulée. Hovingh et l’accusé étaient tous les deux dans la roulotte. »

Des agents du service de police Anishnaabe de l’UCCM signalent qu’ils se trouvent près d’un véhicule de la Police provinciale stationné sur le chemin [le véhicule de l’AT no 1, stationné au bout de Hindman Trail] et qu’ils avancent sur le chemin. Rapidement, ils signalent qu’ils s’approchent d’un autre véhicule de la Police provinciale stationné [le véhicule du constable Hovingh, stationné sur Hindman Trail à l’entrée de la propriété].

Un grand nombre d’agents se présentent sur les lieux.

Le TC no 4, un agent du service de police Anishnaabe de l’UCCM, affirme que lui et l’AT no 1 ont une vue restreinte de la roulotte et qu’ils devraient se rendre à un endroit plus dégagé pour mieux la voir.

Un membre de l’équipe d’intervention d’urgence de la Police provinciale déclare qu’il est sur les lieux. Il signale que l’agent qui était d’abord avec le constable Hovingh [l’AT no 1] est maintenant avec lui. Il affirme également que les deux agents [le constable Hovingh et l’AT no 1] se trouvaient dans la roulotte lorsque l’homme a tiré. Le membre de l’équipe d’intervention d’urgence dit que l’un des agents [l’AT no 1] est sorti de la roulotte et que l’autre [le constable Hovingh] se trouve toujours à l’intérieur.

Lorsque les membres de l’équipe d’intervention d’urgence de la Police provinciale entrent dans la roulotte, ils demandent que l’on envoie immédiatement des ambulanciers sur les lieux. Ils signalent que M. Brohman a été atteint par balle à la tête et que le constable Hovingh respire, mais qu’il est inconscient.

Un agent de la Police provinciale à la retraite, qui chassait au camp se trouvant de l’autre côté de la route, appelle au centre des communications pour indiquer que tous les chasseurs du camp quitteraient le secteur au cas où il serait nécessaire de dépêcher une unité canine sur les lieux. L’agent de la Police provinciale à la retraite dit que le suspect a été identifié [par le constable Hovingh] la veille. Il explique que l’incident a commencé la veille, lorsque les propriétaires des lieux ont demandé à la police d’intervenir auprès d’un squatteur. Le constable Hovingh s’est présenté sur les lieux pendant la journée, mais n’a trouvé personne.

À 11 h 15, le service d’ambulance communique avec la Police provinciale pour l’informer qu’il reçoit des signalements concernant un agent atteint par balle. Le téléphoniste de la Police provinciale répond que de multiples agents de la Police provinciale sont en route. Le service d’ambulance transfère l’appel d’une femme à la Police provinciale.

La femme signale qu’un agent de la Police provinciale [l’AT no 1] est avec elle, mais que l’autre agent a été atteint par balle et qu’ils ne savent pas dans quel état il est. La femme parle ensuite [au TC no 2], lui disant : [TRADUCTION] « Ne va pas là-dedans. Qu’est-ce que cet agent veut que tu fasses? Pourquoi est-ce qu’il vous laisse entrer? » La femme dit qu’elle parlait au TC no 1 et au TC no 2. Elle rapporte que le TC no 2 et le TC no 1 retournent dans la roulotte avec l’AT no 1 pour voir dans quel état se trouve l’autre agent. Elle ajoute : [TRADUCTION] « Les gars ont chargé leurs armes et sont retournés à l’intérieur avec l’agent, devant l’agent, qui porte une foutue veste pare-balles! »

La femme déclare avoir fait des recherches sur l’homme [M. Brohman] et elle a découvert qu’il avait été propriétaire d’une entreprise de matériel tactique. Elle a également découvert que l’homme, qu’elle a identifié comme étant Gary Brohman, a été arrêté pour trafic de stupéfiants en 2004. Des publications sur le compte Facebook de M. Brohman indiquent qu’il a été membre des Forces armées canadiennes. Elle signale également que le compte Facebook de M. Brohman laisse croire qu’il déteste la police, et qu’il a déclaré ou laissé entendre sur ce compte qu’il était prêt à tirer sur des agents.

En réponse à un commentaire du TC no 2, la femme dit que : [TRADUCTION] « Son partenaire vient de se faire tirer dessus. Évidemment qu’il est perturbé. » La femme déclare que l’AT no 1] est sous le choc et marmonne. Le TC no 2 lui avait dit que l’agent [l’AT no 1] ne savait pas quoi faire.

Le TC no 2 prend le téléphone et parle au téléphoniste de la Police provinciale. Il rapporte qu’il était à une distance de six pieds [au moment des coups de feu] et qu’il a tout vu. Il dit que [le constable Hovingh] a été touché à l’intérieur de la roulotte et qu’il appelait son partenaire pour qu’il le rejoigne. Le constable Hovingh était couché près de la porte de la roulotte et le suspect se trouvait dans la pièce arrière de celle-ci lorsque les coups de feu ont été tirés.

À 15 h 53, un homme communique avec la Police provinciale pour avertir qu’il est possible que M. Brohman ait piégé la propriété au moyen de bombes tuyau et de bombes de propane.

Éléments obtenus auprès du Service de police

L’UES a examiné les éléments suivants fournis par la Police provinciale :
  • copie des enregistrements des communications pertinentes du 19 novembre 2020;
  • copie du rapport du système de répartition assistée par ordinateur;
  • liste des interventions antérieures de la Police provinciale impliquant M. Gary Brohman;
  • photos des lieux;
  • rapport du Centre d’information de la police canadienne concernant M. Brohman;
  • bulletin de la Section de la protection des officiers de justice et des enquêtes de la Police provinciale concernant M. Brohman;
  • rapport d’incident du Service de police de Nipissing Ouest daté de 2009 concernant une allégation, par M. Brohman, de torture commise par un chirurgien pendant une chirurgie;
  • notes de l’AT no 1, de l’AT no 3, de l’AT no 4 et du TC no 4;
  • dossiers de formation de la Police provinciale pour l’AT no 1 et le constable Hovingh;
  • politique de la Police provinciale concernant les armes à impulsions.

L’AT no 2 a avisé l’UES qu’il n’avait pris aucune note concernant cet incident.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a également obtenu des photos prises par un témoin civil.

Description de l’incident

Les principaux événements en question sont relativement clairs et ont été établis en fonction des éléments de preuve recueillis par l’UES, qui comprennent des déclarations d’un agent de police, l’AT no 1, et de deux civils, qui ont été témoins de différentes parties de l’incident, ainsi que des constatations tirées d’une expertise judiciaire des lieux et des éléments de preuve qui y ont été récupérés.

Les coups de feu ont été tirés dans la roulotte de M. Brohman vers 11 h, le 19 novembre 2020. Le constable Hovingh est entré dans la roulotte dans le but d’arrêter M. Brohman pour méfait. Peu après l’entrée de l’agent dans la roulotte, M. Brohman a pris un fusil à pompe et a tiré trois fois en direction du constable Hovingh. Le constable Hovingh, même s’il avait été touché, a pu dégainer son arme et riposter, tirant en direction de M. Hovingh à sept reprises.

M. Brohman avait illégalement installé une roulotte d’une longueur d’environ 6,9 mètres sur un terrain appartenant au TC no 1 situé à une certaine distance de Hindman Trail, au nord est de Gore Bay. Le TC no 1 avait trouvé la roulotte le matin du 18 novembre 2020 lorsqu’il a remarqué que quelqu’un avait créé un chemin au moyen d’un bouteur sur sa propriété; ce chemin allait de Hindman Trail jusqu’à la roulotte. Le soir du 18 novembre 2020, le TC no 1 s’était présenté à la roulotte pour confronter M. Brohman. M. Brohman a prétendu qu’il avait un droit sur la propriété, et le TC no 1 lui a demandé de quitter les lieux et d’emporter sa roulotte avec lui. Ne voulant pas que la situation dégénère davantage, le TC no 1 et le TC no 2 ont quitté la propriété, précisant qu’ils reviendraient le lendemain.

Vers 10 h le 19 novembre 2020, le constable Hovingh, qui s’était présenté sur les lieux avec le TC no 1 la veille en après-midi et avait trouvé la roulotte vide, est retourné sur les lieux. Il était avec l’AT no 1. Après avoir effectué des vérifications et constaté que le TC no 1 était effectivement le propriétaire du terrain et que M. Brohman s’y trouvait sans permission, le constable Hovingh était venu s’assurer que M. Brohman quitterait les lieux avec sa roulotte. M. Brohman a ouvert la porte de sa roulotte aux agents et, lorsque ces derniers lui ont dit qu’il devait quitter les lieux, il a encore une fois affirmé qu’il avait légalement le droit de s’y trouver.

Le TC no 1 et le TC no 2 sont arrivés sur leurs véhicules tout-terrain tandis que les agents parlaient à M. Brohman. Le TC no 1 s’est approché et a réitéré que M. Brohman devait quitter les lieux immédiatement. Lorsque M. Brohman a dit qu’il n’avait nulle part où aller, le TC no 1 lui a offert de l’aider en emmenant de l’équipement lourd pour transporter la roulotte hors du terrain et il a accepté de donner à M. Brohman jusqu’à midi le lendemain pour quitter les lieux. M. Brohman était d’accord avec cet arrangement.

Tandis que les agents, le TC no 1 et le TC no 2 s’éloignaient de la roulotte, le constable Hovingh a constaté la présence d’environ 20 bombonnes de propane. Trouvant cela suspect, le constable Hovingh s’est rendu au nord de la roulotte avec le TC no 1 et a remarqué une autre clairière servant à cultiver de la marijuana; la plupart des plants avaient été récoltés. Le constable Hovingh a communiqué avec l’AT no 1 et lui a demandé de le rejoindre. L’AT no 1, qui marchait avec le TC no 2, a fait demi-tour pour examiner la zone. Il a estimé qu’une quantité de marijuana d’une valeur de 100 000 dollars avait été cultivée à cet endroit. Le TC no 1 a clairement indiqué qu’il ne voulait plus attendre au lendemain pour que M. Brohman parte; il voulait que ce dernier quitte sa propriété immédiatement. Les agents étaient d’accord.

Le constable Hovingh et l’AT no 1 sont revenus à la porte de la roulotte et ont demandé à M. Brohman de sortir. M. Brohman a ignoré les agents pendant un certain temps. Lorsqu’il a répondu, M. Brohman a rappelé aux agents qu’il avait jusqu’au lendemain pour quitter les lieux et il leur a demandé de partir. Les agents lui ont expliqué que les circonstances avaient changé et qu’ils devaient lui parler. Comme M. Brohman refusait toujours d’ouvrir la porte, laquelle était verrouillée, le constable Hovingh s’est dirigé vers la camionnette de M. Brohman, qui était stationnée près de la porte avant, il a pris une pelle qui se trouvait dans la boîte arrière de la camionnette et l’a utilisée pour tenter d’ouvrir la porte. Le TC no 1 a alors remis une hache aux agents et ils sont parvenus à forcer l’ouverture de la porte.

L’AT no 1, son arme à impulsions à la main, est entré dans la roulotte. Depuis l’avant de la roulotte, il s’est adressé à M. Brohman, qui se trouvait à une distance de quatre à six mètres de lui, dans la chambre à l’arrière de la roulotte. Il a ordonné plusieurs fois à M. Brohman de lui montrer ses mains et lui a demandé de sortir de la roulotte et de quitter la propriété. M. Brohman a refusé. Il a dit qu’il n’avait nulle part où aller et qu’on lui avait donné 24 heures pour quitter les lieux. M. Brohman a également demandé à l’agent de désactiver son « Taser » et il a marmonné des mots ressemblant à : [TRADUCTION] « Va-t’en. Je ne vais pas subir ça encore une fois. »

Puisque l’AT no 1 ne semblait pas en mesure de convaincre M. Brohman de coopérer, le constable Hovingh, qui se trouvait à l’extérieur de la roulotte, près de la porte, a demandé à prendre la place de son collègue. Il est entré dans la roulotte devant l’AT no 1, qui était maintenant près du seuil de la porte. Lorsque le constable Hovingh a fait quelques pas vers lui, M. Brohman s’est tourné vers le coin de la chambre. Lorsqu’il s’est retourné, il tenait un fusil qu’il pointait en direction du constable Hovingh.

M. Brohman a tiré trois fois avec son fusil. Le constable Hovingh a rapidement riposté, tirant sept coups rapides avec son pistolet semi-automatique 9 mm.

L’AT no 1, le TC no 1 et le TC no 2 se sont éloignés de la roulotte pour se mettre à couvert; l’AT no 1 dans les bois et les deux autres personnes derrière la camionnette de M. Brohman. L’AT no 1 a signalé par radio que des coups de feu avaient été tirés et que de l’aide était requise immédiatement. Suivant les instructions de son père, le TC no 2 a quitté les lieux avec son véhicule tout-terrain pour se rendre à leur camp de chasse, puis il est revenu sur les lieux avec des armes à feu. Il a donné un fusil à son père, qui l’a pointé en direction de la roulotte dans l’éventualité où M. Brohman en sortirait. Le TC no 1 s’inquiétait pour la sécurité des chasseurs se trouvant dans les environs si M. Brohman arrivait à s’échapper avec une arme.

Les premiers agents qui sont arrivés sur les lieux après les coups de feu faisaient partie du service de police Anishnaabe de l’UCCM. Ils ont pris la place du TC no 1 derrière la camionnette et ont participé à la surveillance de la roulotte en attendant l’arrivée des agents de l’équipe d’intervention d’urgence de la Police provinciale.

Les agents de l’équipe d’intervention d’urgence sont arrivés et sont entrés dans la roulotte, puis des ambulanciers ont commencé à dispenser les premiers soins au constable Hovingh et à M. Brohman. L’agent blessé respirait, mais il était inconscient. Les deux personnes ont été emmenées d’urgence à l’hôpital, où leur décès a été constaté.


Cause du décès


M. Brohman a subi des blessures par balle au côté gauche de la tête (qui étaient nécessairement mortelles), à la joue droite et à l’avant-bras gauche (cette balle est ensuite entrée du côté gauche de son torse et elle a atteint son poumon). À la lumière de l’autopsie, le médecin légiste est d’avis que le décès de M. Brohman est attribuable à des blessures par balle à la tête et au torse.

Le constable Hovingh a reçu deux balles dans la cuisse gauche. À la lumière de l’autopsie, le médecin légiste est d’avis que le décès du constable Hovingh est attribuable à des blessures à la cuisse gauche causées par des balles de fusil.

Dispositions législatives pertinentes

Article 34 du Code criminel -- Défense -- emploi ou menace d’emploi de la force

34 (1) N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :
a) croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne
b) commet l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger -- ou de défendre ou de protéger une autre personne -- contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force
c) agit de façon raisonnable dans les circonstances 
(2) Pour décider si la personne a agi de façon raisonnable dans les circonstances, le tribunal tient compte des faits pertinents dans la situation personnelle de la personne et celle des autres parties, de même que des faits pertinents de l’acte, ce qui comprend notamment les facteurs suivants :
a) la nature de la force ou de la menace
b) la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel
c) le rôle joué par la personne lors de l’incident
d) la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme
e) la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause
f) la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace;
1. f.1) l’historique des interactions ou communications entre les parties en cause
g) la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force
h) la question de savoir si la personne a agi en réaction à un emploi ou à une menace d’emploi de la force qu’elle savait légitime

Analyse et décision du directeur

Le 19 novembre 2020, Gary Brohman est décédé dans un échange de coups de feu avec un agent de la Police provinciale — le constable Marc Hovingh. Le constable est également décédé lors de cet incident. Malgré le fait que le constable Hovingh ait succombé à ses blessures, l’UES a mené une enquête, puisqu’un décès attribuable aux actions d’un agent de police est survenu lors de cet incident. Le constable Hovingh était, théoriquement, l’agent impliqué pour les besoins de cette enquête. Après avoir évalué les éléments de preuve fournis, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que le constable Hovingh a commis une infraction criminelle en lien avec le décès de M. Brohman.

Au Canada, le droit de la légitime défense est établi à l’article 34 du Code criminel. Cet article justifie une conduite visant à contrer une attaque que l’on peut raisonnablement appréhender, qu’il s’agisse d’une attaque réelle ou d’une menace, si la conduite elle-même est raisonnable dans les circonstances. Pour décider si la personne a agi de façon raisonnable dans les circonstances, il faut tenir compte de la nature de la menace ou de la force employée, de la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel et de la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme. À mon avis, la force employée par le constable Hovingh, c’est-à-dire les coups de feu répétés en direction de M. Brohman, était tout à fait justifiée aux termes de l’article 34.

Lorsque le constable Hovingh est entré dans la roulotte, il a été confronté immédiatement par M. Brohman, qui se trouvait à une distance de quatre ou cinq mètres et qui tirait avec son fusil dans sa direction. Il avait donc le droit de recourir lui aussi à la force létale. La vie de l’agent était manifestement en danger à ce moment-là, comme l’a confirmé son décès subséquent causé par des blessures par balle à la jambe. En outre, seule une arme à feu offrait l’effet incapacitant rapide et immédiat qui était nécessaire pour que le constable ait la moindre chance de survie. Le retrait ou le repli n’étaient pas des options envisageables pour le constable Hovingh. L’agent a été pris par surprise lorsque M. Brohman s’est tourné vers lui avec un fusil et a fait feu. Dans les circonstances, il semblerait que l’agent n’a eu que quelques secondes pour réagir et il était peut-être déjà blessé au moment où il a dégainé son arme et a commencé à tirer.

Les coups de feu du constable Hovingh constituent également une réaction raisonnable pour protéger la vie et la sécurité de son partenaire, l’AT no 1, et des témoins civils, le TC no 1 et le TC no 2, qui se trouvaient tous près de la roulotte lorsque les coups ont été tirés. Confronté à une personne armée qui tirait dans sa direction, le constable Hovingh n’a pu que conclure que la vie de toutes les personnes présentes serait en danger imminent si M. Brohman était laissé sans surveillance et réussissait à sortir de la roulotte, en particulier parce que l’AT no 1 se trouvait près du seuil de la porte de la roulotte au moment du premier coup de feu de M. Brohman. M. Brohman devait savoir que son arrestation était inévitable, et il a agi comme s’il n’avait plus rien à perdre. Il est donc entièrement plausible que les actions du constable Hovingh aient permis d’éviter ce qui aurait très bien pu être un risque continu pour la vie et la sécurité des autres personnes qui se trouvaient sur les lieux.

Il n’est pas nécessaire de déterminer si les agents avaient des motifs légitimes de se trouver à l’intérieur de la roulotte au moment des coups de feu. Dans R. c. Feeney, [1997] 2 RCS 13, la Cour suprême du Canada a jugé qu’en général, les agents de police ne sont pas autorisés à entrer par la force dans une maison d’habitation pour y effectuer une arrestation sans mandat [3]. D’une part, il est évident que le constable Hovingh et l’AT no 1 sont entrés de force dans une roulotte où résidait M. Brohman sans autorisation légale ou sans que les circonstances le justifient. D’autre part, M. Brohman avait installé sa roulotte sans autorisation sur un terrain appartenant au TC no 1; il était un intrus sur cette propriété, et les agents avaient des raisons de croire qu’il cultivait de la marijuana illégalement. Quoi qu’il en soit, M. Brohman n’a eu en aucun cas le droit d’avoir recours à une force létale à l’endroit des agents. Lorsqu’il l’a fait, les agents avaient le droit de se défendre, peu importe la nature de leur intervention à l’intérieur de la roulotte [4].

Finalement, il convient de mentionner ce qui s’est passé après les coups de feu et, plus particulièrement, le temps qui s’est écoulé avant que la police, puis les ambulanciers entrent dans la roulotte. Même si les coups de feu ont été tirés vers 11 h, ce n’est qu’à 12 h 30 environ, soit après l’arrivée des membres de l’équipe d’intervention d’urgence, que la police a pu entrer dans la roulotte. Je ne peux pas reprocher aux agents qui se trouvaient sur les lieux d’avoir attendu l’arrivée des membres de l’équipe d’intervention d’urgence. Même si l’AT no 1 et les autres agents qui sont arrivés par la suite savaient que le constable Hovingh avait été blessé, ils ignoraient dans quel état se trouvait M. Brohman. À leur connaissance, il aurait très bien pu attendre dans la roulotte et être toujours en mesure d’infliger des blessures graves ou de tuer. D’ailleurs, il est important de noter que l’analyse judiciaire des lieux effectuée après l’incident a mené à la découverte de dizaines d’engins explosifs improvisés et de matériaux inflammables sur la propriété ainsi que de nombreuses armes à feu dans la roulotte. De plus, un témoin civil qui savait que des coups de feu avaient été tirés, a communiqué avec le service de police vers 15 h 30 pour signaler qu’il soupçonnait que la propriété pouvait être piégée au moyen de bombes tuyau et de bombes de propane. Dans ces circonstances, je suis d’avis que la décision d’attendre l’arrivée de l’équipe d’intervention d’urgence — dont les membres ont une formation et des ressources spécialisées — était tout à fait prudente.

En conclusion, je suis convaincu, à la lumière de ce qui précède, que le constable Hovingh a agi d’une manière conforme à la loi tout au long de son intervention auprès de M. Brohman, et qu’il avait le droit d’employer la force létale qui a causé la mort de M. Brohman puisqu’il avait lui-même subi des blessures par balle qui se sont avérées mortelles. Le dossier est clos.


Date : 22 mars 2021

Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Le TC no 4 est un agent du service de police Anishnaabe de l’UCCM, ainsi, l’UES n’a pas le pouvoir de l’obliger à coopérer à ses enquêtes. Pour les besoins de l’enquête, le TC no 4 a été traité comme un témoin civil, ce qui signifie qu’il a coopéré volontairement à l’enquête. [Retour au texte]
  • 2) Une septième douille de balle tirée de 9 mm a été trouvée plus tard tandis que l’on traitait les articles récupérés sur les lieux. [Retour au texte]
  • 3) Le Parlement a subséquemment enchâssé dans la loi les principes de la décision Feeney en adoptant les articles 529 à 529.5 du Code criminel. [Retour au texte]
  • 4) Après avoir examiné l’article 35 du Code criminel, lequel établit les limites d’un emploi justifié de la force pour protéger sa propriété, je suis d’avis que la défense de M. Brohman n’était pas justifiée. J’arrive à cette conclusion pour diverses raisons, notamment parce que si M. Brohman croyait, au moment des coups de feu, qu’il avait le droit de se trouver sur le terrain, cette croyance n’aurait pas été fondée sur des motifs raisonnables. [Retour au texte]

Note:

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