Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 20-OCI-361

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes; 
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle; 
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne; 
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête; 
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi; 
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment : 
  •  des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi; 
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment : 
  •  les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins; 
  • des renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête. 

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Le présent rapport porte sur l’enquête menée par l’UES concernant les blessures graves subies par une femme de 17 ans (« la plaignante ») lors d’une interaction avec la police.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 30 décembre 2020, à 0 h 5, le Service de police de Hamilton (SPH) a avisé l’UES des blessures subies par la plaignante.

Le SPH a fait savoir que le 29 décembre 2020, à 21 h 31, la plaignante avait communiqué avec lui pour l’aviser de son intention de se faire du mal. Une démarche subséquente de localisation par triangulation du téléphone cellulaire a permis de repérer la plaignante dans le secteur de l’avenue Ferguson Nord et de la rue Barton Est, à Hamilton.

Les agents du SPH se sont rendus sur les lieux et ont trouvé la plaignante debout sur un pont au-dessus de voies ferrées sur l’avenue Ferguson Nord, au nord de la rue Barton Est. La plaignante avait grimpé par-dessus le garde-corps du pont et menaçait de sauter. Les agents ont tenté de communiquer avec la plaignante et de la convaincre de revenir à un endroit sécuritaire.

À 22 h 7, la plaignante a glissé et a commencé à crier à l’aide. Les agents ont alors tenté de tirer la plaignante vers eux de manière à ce qu’elle soit en lieu sûr; toutefois, elle a glissé et est tombée près des voies ferrées.

La plaignante a été emmenée par les services médicaux d’urgence à l’Hôpital général de Hamilton, où l’on a constaté qu’elle avait une fracture du bassin et d’une vertèbre. La plaignante a été admise à l’Hôpital pour y recevoir des traitements. 

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 30 décembre 2020, à 1 h 28

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : 30 décembre 2020, à 2 h 11

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1 
 

Personne concernée (« plaignante ») :

Femme de 17 ans; a participé à une entrevue le 30 décembre; ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés


Témoin civil (TC)

TC A participé à une entrevue le 31 décembre 2020

Agents impliqués (AI)

AI no 1 N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué
AI no 2 N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué


Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue le 11 janvier 2021; ses notes ont été reçues et examinées
AT no 2 A participé à une entrevue le 5 janvier 2021; ses notes ont été reçues et examinées


Éléments de preuve

Les lieux

Le 30 décembre 2020, à 2 h 11, un enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES s’est présenté sur les lieux, qui étaient en voie d’être sécurisés par le SPH.

L’incident s’est produit du côté est de l’avenue Ferguson Nord, à 275 mètres environ au nord de la rue Barton, à Hamilton, au centre d’un pont d’étagement qui passe par-dessus deux voies ferrées se trouvant au niveau du sol. Il faisait sombre dans ce secteur au moment de l’incident. Il y a des réverbères des deux côtés du pont.

L’avenue Ferguson Nord est orientée nord-sud sur toute sa distance entre le centre-ville de Hamilton et la rue Burlington Est. Du côté sud-est de l’avenue Ferguson Nord, près du pont d’étagement, se trouve le stationnement d’un bâtiment où l’on offre des services de soins de santé. Du côté sud-ouest du pont d’étagement se trouve le terrain arrière du Centre de détention de Hamilton Wentworth. Enfin, il y a des résidences du côté nord-ouest du pont et un parc du côté nord-est.

Le pont d’étagement de l’avenue Ferguson Nord comporte une voie pour la circulation dans chaque direction ainsi qu’un trottoir du côté est.

Le trottoir a une largeur de 2,75 à 3 mètres et est bordé par deux garde-corps, l’un servant à séparer le trottoir des voies de circulation des véhicules, et l’autre, à séparer le trottoir du bord extérieur du pont d’étagement. Ce dernier garde-corps est entièrement fait de métal, mesure 1,4 mètre de hauteur et consiste en cinq bandes horizontales espacées de façon égale et en une bande supérieure plus large.

Le garde-corps est monté au centre d’une bande de béton qui semble mesurer environ 25 à 30 centimètres de hauteur et de largeur. Les bandes horizontales sont fixées du côté du trottoir à des poteaux de soutien placés à intervalles réguliers, ce qui laisse à la base du garde-corps un rebord de béton d’environ 15 centimètres de largeur, sur lequel la plaignante était assise.

Une veste faisant partie d’un uniforme du SPH se trouvait sur le trottoir du pont d’étagement, à l’endroit où les agents avaient interagi avec la plaignante. On a déterminé que la veste appartenait à l’un des sergents présents lors de l’incident, et qu’elle avait été enlevée lorsque les agents tentaient de retenir la plaignante et laissée à cet endroit au moment où les agents s’étaient dirigés en courant vers la plaignante après sa chute. La veste a été photographiée dans la position où elle avait été trouvée, puis remise à un membre du SPH.

On a photographié le secteur du pont d’étagement, de même que le secteur des voies ferrées sous le pont, du côté est. On a placé du ruban de périmètre jaune autour d’une roche pour indiquer où se trouvaient les pieds de la plaignante après sa chute sur les voies ferrées.

On a mesuré une hauteur de 10,7 mètres entre le haut du garde-corps et les voies ferrées en dessous, ce qui signifie que la hauteur depuis le bord sur lequel la plaignante était assise, puis duquel elle était suspendue, est d’environ 9,3 mètres.

Figure 1 – Les lieux (pont d’étagement de l’avenue Ferguson Nord)

Figure 1 – Les lieux (pont d’étagement de l’avenue Ferguson Nord)

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies


Enregistrements de communications


L’enregistrement des communications fourni par le SPH le 11 janvier 2021 comprenait des appels téléphoniques avec le centre de communication du SPH, lesquels représentent la source de base de l’information transmise par la radio de police aux agents envoyés pour intervenir suivant l’appel, notamment les appels téléphoniques du travailleur de l’équipe COAST [1], qui a parlé à la plaignante avant l’incident et pendant que cette dernière se trouvait sur le pont d’étagement, avant l’arrivée de l’AI no 1 et au moment où il s’est présenté sur les lieux.

À 21 h 30, le travailleur de l’équipe COAST appelle pour la première fois au centre de communication du SPH au sujet de la plaignante. Le travailleur explique la situation et mentionne que la plaignante a appelé l’équipe COAST trois jours auparavant. Il ajoute que la plaignante se trouverait dans le secteur de l’avenue Victoria Nord et de la rue Shaw pour y rencontrer des agents de police et des ambulanciers paramédicaux.

À 21 h 33, l’AI no 1 et l’AT no 1 sont dépêchés sur les lieux.

À 21 h 42, l’AI no 1 et l’AT no 1, de même qu’une ambulance, arrivent à l’endroit désigné. L’AI no 1 signale que la plaignante n’est pas là. Il dit au répartiteur qu’il a téléphoné à la plaignante, au numéro de son téléphone cellulaire, mais qu’elle n’a pas répondu. L’AI no 1 ajoute que l’ambulance quittera les lieux pendant que la police tente de trouver la plaignante. Il demande que l’on tente une localisation par triangulation du téléphone cellulaire de la plaignante.

À 21 h 43, un communicateur du SPH appelle à un numéro de téléphone externe et demande quel est le fournisseur du numéro de téléphone cellulaire de la plaignante. Le communicateur appelle ensuite chez TELUS, demande qu’on procède à une localisation par triangulation et, vers 21 h 46, reçoit les plus récentes coordonnées GPS du téléphone cellulaire.

À 21 h 47, un autre travailleur de l’équipe COAST appelle au centre de communication du SPH et indique que son collègue parle de nouveau à la plaignante, ajoutant que celle-ci a dit qu’elle se promenait et qu’elle voulait parler à quelqu’un tout juste avant de mourir.

À 21 h 48, le répartiteur transmet à l’AI no 1 et à l’AT no 1 les résultats de la localisation par triangulation, selon lesquels la plaignante se trouve dans un rayon de 296 mètres de l’avenue Ferguson Nord, au nord de la rue Cannon Est, qui est au sud de la rue Barton Est. L’emplacement révélé suivant la localisation par triangulation était à plus de 500 mètres au sud de l’endroit où l’AI no 1 a plus tard trouvé la plaignante.

À 21 h 51, le répartiteur fait savoir à l’AI no 1 et à l’AT no 1 que le travailleur de l’équipe COAST a parlé de nouveau avec la plaignante et que celle-ci a dit vouloir parler à quelqu’un tout juste avant de mourir.

À 21 h 53, le travailleur de l’équipe COAST appelle pour dire que la plaignante se trouve maintenant sur un pont près de voies ferrées. Le répartiteur transmet l’information à l’AI no 1 et à l’AT no 1.

À 21 h 55, l’AI no 1 indique qu’il a repéré la plaignante sur le pont d’étagement de l’avenue Ferguson Nord. Il dit qu’elle est assise du côté extérieur du garde-corps. Environ une minute plus tard, l’AI no 1 fait savoir qu’il tente de communiquer avec la plaignante, mais qu’elle ne coopère pas.

À 21 h 57, l’AI no 2 est dépêché sur place, accompagné par le TC.

À 22 h, l’AI no 1 signale que la plaignante a grimpé davantage et qu’elle se trouve maintenant entièrement du côté extérieur du garde-corps. L’AT no 1 arrive sur place. L’AI no 2 et le TC arrivent également sur les lieux.

À 22 h 1, on signale que la plaignante, du côté extérieur du garde-corps, est penchée vers l’avant, les bras derrière elle.

À 22 h 2, on fait savoir que la plaignante est assise sur le rebord étroit du pont d’étagement, les bras autour du garde-corps.

À 22 h 5, on demande qu’une personne ayant été formée en négociation se présente sur les lieux, et une détective affirme qu’elle se rendra bientôt sur place.

À 22 h 7, on indique que la plaignante ne se tient au pont que par le bout de ses doigts.

À 22 h 8, on fait savoir que la plaignante a appelé à l’aide. On entend des voix et ce qui ressemble à de l’agitation en arrière-plan.

À 22 h 9, la plaignante tombe en bas du pont d’étagement, et les agents signalent qu’ils l’ont [traduction] « perdue ». Tandis que les agents descendent vers les voies ferrées, on peut entendre la plaignante crier en arrière-plan.

Documents obtenus du service de police

Sur demande, le SPH a transmis à l’UES les éléments et documents suivants entre le 30 décembre 2020 et le 13 janvier 2021 :
  • rapport d’incident général du SPH;
  • rapport sur les détails de l’incident du SPH;
  • liste des personnes concernées selon le rapport d’incident;
  • politique sur la santé mentale du SPH;
  • rapport d’incident supplémentaire du SPH;
  • notes de l’AT no 2;
  • notes de l’AT no 1;
  • notes de l’AT no 3;
  • rapport d’incident supplémentaire du SPH (x2);
  • résumé de témoignage anticipé de l’AT no 2;
  • résumé de témoignage anticipé de l’AT no 1;
  • résumé de témoignage anticipé de l’AT no 3.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a reçu le document suivant d’une source autre que la police le 22 janvier 2021 :
  • Dossier médical de l’Hôpital général de Hamilton.

Description de l’incident

Il est possible d’établir clairement les principaux événements qui se sont produits grâce aux entrevues réalisées auprès de la plaignante ainsi que de plusieurs agents témoins et d’un témoin civil qui étaient présents au moment de l’incident. Comme la loi les y autorise, les deux agents impliqués ont choisi de ne pas participer à une entrevue avec l’UES et ont refusé qu’on communique leurs notes. Dans la soirée du 29 décembre 2020, la plaignante, qui était déprimée, a communiqué avec l’équipe COAST du SPH et a parlé avec un travailleur, à qui elle a dit avoir l’intention de se faire du mal. Après avoir parlé au téléphone pendant un certain temps avec le travailleur, la plaignante a accepté de rencontrer des agents de police et des ambulanciers paramédicaux dans le secteur de l’avenue Victoria Nord et de la rue Shaw.

L’AI no 1 et l’AT no 1 ont été dépêchés à l’intersection pour rencontrer la plaignante, mais celle-ci ne s’est pas présentée. Elle a plutôt décidé de se rendre sur le pont d’étagement de l’avenue Ferguson Nord, qui passe par-dessus des voies ferrées, à environ 275 mètres au nord de la rue Barton Est. Elle avait l’intention de s’enlever la vie en sautant du pont.

L’AI no 1 a cherché la plaignante dans le secteur, puis l’a trouvée sur le pont après que son fournisseur de services de téléphonie cellulaire eut informé la police des dernières coordonnées GPS de son téléphone. La plaignante se trouvait sur le trottoir est du pont d’étagement de l’avenue Ferguson Nord. L’agent a arrêté son véhicule au sud du pont, en est descendu et a tenté de parler avec la plaignante à une distance de plusieurs mètres. La plaignante n’était pas intéressée à discuter; elle a accordé peu d’attention à l’AI no 1, qui lui demandait comment elle se sentait et tentait d’établir un lien avec elle.

L’AT no 1 est le deuxième agent à être arrivé au pont. Il a stationné son véhicule du côté nord du pont, en est descendu et s’est approché de la plaignante. À ce moment-là, la plaignante avait grimpé par-dessus le garde-corps du pont et était debout sur le rebord, faisant face à l’est, ses mains tenant le garde-corps derrière elle. L’AI no 1 a continué d’essayer de parler avec la plaignante, sans succès; à un certain moment, la plaignante a crié à l’agent [traduction] « va t’en, ce n’est pas facile ».

Peu après l’arrivée de l’AT no 1, une équipe COAST formée de l’AI no 2 et du TC s’est présentée sur les lieux, stationnant son véhicule derrière celui de l’AI no 1. Le TC, un professionnel de la santé mentale ayant 30 ans d’expérience, est descendu du véhicule et a lui aussi tenté d’entreprendre une conversation avec la plaignante. Encore une fois, la plaignante n’était pas réceptive et disait que personne ne pouvait l’aider.

Pendant qu’on essayait de communiquer ainsi avec elle, la plaignante s’est assise sur le rebord extérieur du pont, ses bras étirés sur le côté et ses mains tenant une barre de métal horizontale derrière elle. La plaignante s’est brièvement retournée pour faire face à l’avenue Ferguson Nord, puis soudainement, ses jambes sont tombées du rebord tandis qu’elle se tenait par les mains à l’une des barres horizontales du garde-corps. Ses mains portant maintenant tout son poids, la plaignante a crié à l’aide alors que sa prise sur la barre commençait à s’affaiblir.

L’AI no 1 et l’AI no 2 se sont précipités vers la plaignante et ont chacun agrippé l’un de ses bras entre les barres de métal du garde-corps. Puisque les barres étaient horizontales, elles empêchaient les agents de soulever la plaignante. Les agents ont plutôt tenté de tenir la plaignante pendant qu’on pensait à un plan de sauvetage. On a suggéré d’utiliser des menottes pour fixer les mains de la plaignante à la barre de métal. L’AT no 3, qui était maintenant aussi sur les lieux, a pris ses menottes et a tenté d’attacher l’un des bracelets au bras de la plaignante, mais n’a pas réussi en raison du chandail que celle-ci portait. Puisque les agents étaient dans une position difficile et qu’ils avaient du mal à bien agripper la plaignante, cette dernière a commencé à glisser de leur prise; l’AT no 1 a néanmoins tenté d’agripper celle-ci depuis le dessus du garde-corps, mais elle était tout juste hors de sa portée.

L’AI no 1 et l’AI no 2 ont perdu prise et la plaignante est tombée sur la voie ferrée la plus au sud en dessous du pont, soit une chute d’environ neuf mètres.

Les agents se sont précipités sur les voies ferrées pour aider la plaignante, qui hurlait de douleur. À l’arrivée des ambulanciers paramédicaux et pompiers, la plaignante a été retirée des voies ferrées et emmenée à l’hôpital. Elle a subi de multiples fractures.

Dispositions législatives pertinentes

Articles 219 et 221, Code criminel -- Négligence criminelle causant des lésions corporelles

219 (1) est coupable d’une négligence criminelle quiconque :
a) soit en faisant quelque chose;
b) soit en omettant de faire quelque chose qui est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.

(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

221 Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans quiconque, par négligence criminelle, cause des lésions corporelles à autrui.

Analyse et décision du directeur

Le 29 décembre 2020, la plaignante a subi de graves blessures lorsqu’elle est tombée d’un pont. Puisque des agents de police se trouvaient sur le pont et ont interagi avec la plaignante juste avant sa chute, l’UES a été avisée et a ouvert un dossier. L’AI no 1 et l’AI no 2 ont été désignés comme étant les agents impliqués aux fins de l’enquête de l’UES. Après avoir examiné les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’un ou l’autre de ces agents a commis une infraction criminelle relativement à la chute et aux blessures de la plaignante.

L’infraction possible à l’étude est la négligence criminelle ayant causé des lésions corporelles, aux termes de l’article 221 du Code criminel. L’infraction repose en partie sur une conduite qui équivaut à un écart marqué et substantiel par rapport au degré de diligence dont une personne raisonnable aurait fait preuve dans des circonstances similaires. Dans l’affaire qui nous concerne, la question est de savoir s’il y a eu, dans la manière dont les agents sont intervenus auprès de la plaignante, un manque de diligence qui aurait contribué à la chute de celle-ci et qui se révèle suffisamment grave pour justifier des sanctions criminelles. À mon avis, ce n’est pas le cas.

L’AI no 1 et l’AI no 2 ainsi que les autres agents qui se trouvaient sur le pont d’étagement de l’avenue Ferguson Nord se trouvaient en toute légalité sur les lieux pour exercer leur responsabilité première, qui consiste à préserver et à protéger la vie. Compte tenu de l’information qui leur avait été donnée à propos de l’appel de la plaignante à l’équipe COAST, ils avaient de bonnes raisons de croire que celle-ci avait l’intention de se suicider.

Les agents avaient l’obligation de faire tout ce qu’ils pouvaient pour trouver la plaignante et tenter de l’empêcher de se blesser ou de s’enlever la vie, et je suis convaincu que c’est exactement ce qu’ils ont fait. D’abord, l’AI no 1, grâce à la localisation par triangulation du téléphone de la plaignante, qui a été effectuée pour restreindre la zone de recherche, a trouvé rapidement la plaignante après qu’elle eut omis de se présenter à la rencontre prévue à l’intersection de l’avenue Victoria Nord et de la rue Shaw. Peu après, il a parlé à la plaignante sur un ton calme et rassurant, tentant de la convaincre de revenir à un endroit sécuritaire tout en gardant ses distances afin de ne pas la provoquer. Très rapidement après l’arrivée de l’AI no 1, un membre de l’équipe COAST a été dépêché sur les lieux. Ce membre, un professionnel de la santé mentale ayant de l’expertise dans l’intervention et les techniques de désamorçage des crises de santé mentale, a pris la relève et a semblé faire quelques progrès auprès de la plaignante. En effet, la plaignante a semblé réfléchir, mais, vraisemblablement, quelque chose en elle s’est déclenché et elle a décidé de sauter du pont, comme elle l’avait prévu. Lorsqu’elle a entrepris de sauter du pont et qu’elle a du même coup commencé à crier à l’aide, l’AI no 1 et l’AI no 2 ont réagi rapidement en courant vers elle et en agrippant ses bras. Ils n’ont pas réussi à maintenir leur prise, mais ce n’est certainement pas par manque d’effort. De même, dès que la plaignante est tombée, les agents se sont précipités vers les voies ferrées en dessous du pont pour l’aider.

À la lumière de ce qui précède, rien n’indique qu’il y aurait eu un manque de diligence de la part des agents impliqués pendant leur intervention auprès de la plaignante. Au contraire, les éléments de preuve indiquent qu’ils se sont en tout temps comportés avec toute la diligence due et de manière à protéger pleinement la santé et la sécurité de la plaignante. Donc, il n’y a aucun motif de porter des accusations criminelles dans cette affaire, et le dossier est clos.


Date : 8 mars 2021



Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) COAST signifie « Crisis Outreach and Support Team » (équipe d’intervention et de soutien en situation de crise); il s’agit d’un programme du SPH dans le cadre duquel on jumelle des agents ayant reçu une formation spéciale avec des professionnels de la santé mentale pour répondre plus efficacement aux appels concernant des personnes en crise de santé mentale dans certaines circonstances. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.