Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 19-OFI-286

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave (y compris une allégation d’agression sexuelle).

On doit englober dans les «â€‰blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de «â€‰blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES concernant les blessures graves subies par un garçon de 16 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 26 novembre 2019, à 16 h 38, la Police régionale de Peel (PRP) a avisé l’UES que le plaignant, âgé de 16 ans, avait été blessé par balle cet après-midi-là par un de ses agents pendant une tentative de vol de banque.

La PRP a fait savoir qu’à 15 h 56, un citoyen avait attiré l’attention d’agents de son service pour leur signaler qu’un vol était en cours à l’institution bancaire Hongkong and Shanghai Banking Corporation (HSBC), située au 888, rue Dundas Est, à Mississauga. Des agents se sont donc rendus sur les lieux et se sont retrouvés en présence du suspect, à l’intérieur de la banque. Le suspect tenait une arme à feu, et un agent a tiré un coup de feu dans sa direction, atteignant le bas de son dos ou ses fesses. Le suspect a été transporté à l’Hôpital St. Michael dans un état stable. De multiples témoins se trouvaient dans la banque à ce moment-là.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 7
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 2 

Au départ, l’UES a dépêché cinq enquêteurs et deux enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires. Deux autres enquêteurs se sont joints à l’enquête plus tard.

Le jour de l’incident, l’UES a réalisé des entrevues auprès des employés de la banque qui se trouvaient à l’intérieur de celle ci au moment où les événements en question sont survenus.

Plaignant :

Garçon de 16 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés

Le plaignant n’a pas pu participer à une entrevue avant le 4 mai 2020.


Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue
TC no 2 A participé à une entrevue
TC no 3 A participé à une entrevue
TC no 4 A participé à une entrevue
TC no 5 A participé à une entrevue
TC no 6 A participé à une entrevue
TC no 7 A participé à une entrevue
TC no 8 A participé à une entrevue
TC no 9 A participé à une entrevue
TC no 10 A participé à une entrevue
TC no 11 A participé à une entrevue
TC no 12 A participé à une entrevue 

Une citoyenne a fui la banque après avoir vu une personne armée y entrer. L’UES a obtenu une copie de la déclaration qu’elle a fait à la PRP en tant que témoin pour confirmer qu’elle n’avait pas vu l’interaction entre la police et le plaignant. Cette personne n’a pas participé à une entrevue avec l’UES

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 A participé à une entrevue
AT no 4 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées
AT no 5 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées


Agent impliqué (AI)

AI N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué


Éléments de preuve

Les lieux

La banque HSBC au 888, rue Dundas Est, à Mississauga se trouve dans le Mississauga Chinese Centre, un centre commercial qui abrite des entreprises chinoises.

Figure 1 – La banque HSBC de Mississauga où l’incident s’est produit.

Figure 1 – La banque HSBC de Mississauga où l’incident s’est produit.

Lorsqu’on entre par les portes principales de la banque, de multiples postes de travail utilisés par des représentants des services bancaires personnels se trouvent sur la gauche. À droite de ces postes, il y a un comptoir de caissiers, où sont effectuées les opérations bancaires générales. Les éléments de preuve relatifs au coup de feu reçu par le plaignant ont été trouvés à gauche des postes de travail des représentants.

Schéma des lieux

Schéma des lieux

Éléments de preuve matériels

L’UES a repéré un sac à dos gris, un pantalon de survêtement gris, un t shirt noir, une paire de chaussures de sport blanches, une douille de balle tirée de calibre.40 et des débris médicaux dans la zone d’intérêt. Il y avait également de la vomissure sur le plancher.

L’UES a recueilli le pantalon de survêtement de même que la douille de balle tirée trouvés sur les lieux.

La PRP, avec l’autorisation de l’UES, a recueilli les autres articles trouvés sur les lieux pour faire avancer son enquête sur le vol à main armée.

La PRP a récupéré l’arme à feu du plaignant, un pistolet Smith & Wesson de calibre .40. L’arme a été remise à l’UES sur les lieux de l’incident, puis a été photographiée par l’UES. L’arme à feu ne contenait pas de munitions. Elle a ensuite été redonnée à la PRP pour les besoins de son enquête.

Figure 2 – L’arme à feu utilisée par le plaignant pendant la tentative de vol.

Figure 2 – L’arme à feu utilisée par le plaignant pendant la tentative de vol.


Le pistolet de l’AI a été récupéré par l’UES.


Figure 3 – L’arme à feu avec laquelle l’AI a tiré sur le plaignant.

Figure 3 – L’arme à feu avec laquelle l’AI a tiré sur le plaignant.

Un enquêteur de l’UES s’est rendu à l’Hôpital St. Michael et a recueilli un projectile, un fragment de projectile, deux chaussettes et un chandail.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou photographiques

Malheureusement, la zone, à l’intérieur de la banque, où l’incident s’est produit ne se trouvait dans le champ d’aucune des caméras de surveillance installées dans la banque.

Les caméras de surveillance situées à l’entrée de la banque ont capté le plaignant lorsqu’il est entré dans l’établissement; ce faisant, il avait son arme à feu à la main. Un gardien de sécurité, le TC no 4, était à la porte. Le plaignant est entré en vitesse dans la banque et le TC no 4 l’a suivi.

Enregistrements de communications

À 15 h 57 min, on entend sur l’enregistrement chronologique des événements [TRADUCTION] « Amb [sic] maintenant », ce qui laisse supposer qu’on demande une ambulance pour s’occuper de la blessure par balle du plaignant.

Éléments de preuves médicolégaux

Le 3 décembre 2019, on a remis au Centre des sciences judiciaires (CSJ) la douille de balle tirée récupérée sur les lieux, de même que l’arme à feu de l’AI. On a également soumis au CSJ le pantalon de survêtement du plaignant.

Le 18 février 2020, le CSJ a transmis les conclusions de son analyse. Le Centre a confirmé que la douille de balle tirée sur les lieux provenait de l’arme à feu de l’AI.

En ce qui concerne le pantalon de survêtement du plaignant, le CSJ a relevé des dommages causés par une balle près de la taille, à l’arrière, mais n’a pas relevé de résidu de tir. Le personnel du Centre n’a pas effectué d’essais pour déterminer la distance de tir, mais il a mentionné qu’habituellement, on n’observe pas de traces d’agent propulseur lorsque la distance est de plus de 36 pouces (91 centimètres environ).

Éléments obtenus auprès du Service de police

Sur demande, l’UES a obtenu les documents et éléments suivants de la PRP, et les a examinés :
  • copie des enregistrements des communications pertinentes;
  • rapport des communications audio – appels téléphoniques (sommaire des appels au 9 1 1);
  • rapport des communications audio – radio (liste des pistes de communications radio);
  • rapport chronologique des événements (détails concernant la répartition);
  • rapport sur les détails de l’incident;
  • détails sur la personne – le plaignant;
  • liste des témoins civils dressée par la PRP;
  • déclaration de témoin civil;
  • liste des agents concernés de la PRP;
  • sommaire des dépositions – TC no 12;
  • dossier de formation – recours à la force – l’AI.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a obtenu des enregistrements vidéo captés par des caméras de surveillance de la banque HSBC. L’UES a également obtenu des enregistrements vidéo provenant des caméras de surveillance de deux entreprises établies au Mississauga Chinese Centre.

En outre, l’UES a reçu une copie du résumé du dossier d’hospitalisation du plaignant à l’Hôpital St. Michael, qui décrit les blessures subies par le plaignant.

Description de l’incident

Le scénario qui suit est fondé sur les éléments de preuve recueillis par l’UES, qui comprennent des entrevues avec le plaignant, des employés de la banque qui étaient présents au moment du coup de feu et trois agents qui ont été témoins de parties des événements en question. Dans le cadre de l’enquête, on a également bénéficié d’enregistrements captés par des caméras de sécurité se trouvant dans la banque. L’AI n’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes de service, comme la loi l’y autorise.

Un peu avant 16 h le 26 novembre 2019, l’AI de même que l’AT no 1, l’AT no 2 et l’AT no 3 se trouvaient dans le secteur de la rue Dundas Est, en face du Mississauga Chinese Centre, et donnaient suite à un appel concernant un conducteur ayant les facultés affaiblies lorsqu’un automobiliste les a avisés d’un vol qualifié en cours à la banque HSBC. La banque se trouvait dans le Chinese Centre, directement au sud de l’endroit où étaient les agents. Menés par l’AI, les agents ont sorti leurs armes à feu respectives et sont entrés dans la banque en courant, arrivant en l’espace de quelques secondes.

Quelques minutes plus tôt, le plaignant était entré dans la banque en tenant un pistolet semi automatique. Il portait un pantalon de survêtement et une veste à capuchon; le capuchon était sur sa tête. Le visage du plaignant était couvert par un t-shirt noir. Les employés de la banque se sont réfugiés derrière et sous des bureaux, tandis que le plaignant exigeait qu’on lui donne de l’argent. L’un des employés a rassemblé des billets et des pièces de monnaie et les a remis au gardien de sécurité pour qu’il les donne au plaignant. Le plaignant a pris l’argent et en a demandé plus.

C’est à peu près à ce moment que l’AI est entré en courant dans l’établissement, par les portes d’entrée et de sortie de la banque, suivi par l’AT no 1, l’AT no 2 et l’AT no 3. Lorsqu’il a vu les agents, le plaignant a couru depuis le comptoir des caissiers vers le mur ouest de la banque. Les agents sont entrés dans la banque avec leurs armes à feu respectives à la main et se sont immédiatement dirigés vers la gauche, soit la direction dans laquelle le plaignant avait pris la fuite. Après quelques secondes, l’AI a tiré un seul coup avec son arme à feu, atteignant le plaignant au milieu du bas du dos.

Après le coup de feu, le plaignant, qui était toujours debout, a laissé tomber son arme à feu sur le sol. À la demande des agents, le plaignant a marché jusqu’au côté des clients d’une série de bureaux, puis il a été porté au sol par l’AT no 1 et menotté, les mains derrière le dos.

Des ambulanciers paramédicaux ont été appelés sur les lieux et ont transporté le plaignant à l’hôpital, où il a reçu un traitement pour des blessures internes graves.

On a examiné l’arme à feu du plaignant et on a constaté qu’elle ne contenait aucune munition.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel -- Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :
a) soit à titre de particulier
b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
d) soit en raison de ses fonctions
est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

(3) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), une personne n’est pas justifiée, pour l’application du paragraphe (1), d’employer la force avec l’intention de causer, ou de nature à causer la mort ou des lésions corporelles graves, à moins qu’elle n’estime, pour des motifs raisonnables, que cette force est nécessaire afin de se protéger elle-même ou de protéger toute autre personne sous sa protection, contre la mort ou contre des lésions corporelles graves.

Analyse et décision du directeur

Le 26 novembre 2019, le plaignant a été atteint par balle par un agent de police pendant son arrestation dans une banque, et il a subi de graves blessures internes. L’agent qui a tiré le coup de feu – l’AI – était entré dans la banque parce qu’il avait appris qu’un vol qualifié s’y déroulait. Après avoir examiné les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI a commis une infraction criminelle relativement à l’incident.

Aux termes du paragraphe 25(1) du Code criminel, les agents de police sont à l’abri de toute responsabilité criminelle pour l’usage de la force dans l’exercice de leurs fonctions, pourvu que cette force soit, sur la base d’un jugement raisonnable, nécessaire à l’accomplissement de ce qu’il leur est enjoint ou permis de faire. En ce qui concerne la force susceptible d’être létale, le paragraphe 25(3) indique que l’usage d’une telle force n’est pas justifié, à moins que l’agent n’estime, pour des motifs raisonnables, que cette force est nécessaire afin de se protéger lui-même ou de protéger toute autre personne sous sa protection contre la mort ou contre des lésions corporelles graves. Selon le dossier constitué par l’UES, je ne suis pas en mesure de conclure, sur la base d’un jugement raisonnable, que le recours à une force potentiellement létale par l’AI dépassait les limites établies par le droit criminel.

D’abord, je reconnais d’emblée que l’AI exerçait ses fonctions légitimes lorsqu’il s’est précipité sur les lieux d’un vol de banque qu’on lui avait signalé et qu’il a fait face au plaignant dans le but présumé d’arrêter cette personne et de protéger le public. Étant donné l’information que lui avait fournie un citoyen qui était sorti du Mississauga Chinese Centre et ce qu’il a vu lorsqu’il est entré par les portes de devant de la banque, soit une personne masquée portant un sac à dos plein d’argent et tenant une arme à feu dans sa main droite, l’AI avait toutes les raisons de croire que le plaignant effectuait un vol qualifié, qu’il représentait un danger réel et immédiat pour la vie et la sécurité de toutes les personnes autour de lui et que son arrestation était donc légitime.

Je suis également d’avis que les éléments de preuve sont insuffisants pour permettre de conclure, sur la base d’un jugement raisonnable, que l’état d’esprit de l’AI au moment du coup de feu ne correspondait pas à ce que demande la législation applicable. Puisque l’AI a exercé son droit prévu par la loi de garder le silence pendant l’enquête de l’UES, je n’ai pas de témoignage direct quant à son état d’esprit. Toutefois, les circonstances dans ce dossier en révèlent beaucoup. Examinons d’abord la conduite du plaignant avant l’arrivée des agents à la banque. Les éléments de preuve établissent que le plaignant avait terrorisé environ 10 employés de la banque. Il était monté à répétition sur des bureaux se trouvant à côté du comptoir des caissiers, avait crié avec colère en exigeant de l’argent, était entré dans l’espace personnel des employés qui se trouvaient derrière le comptoir et dans les bureaux, et avait pointé son arme à feu directement vers plusieurs de ces personnes en menaçant leur vie. L’AI ne savait pas que le plaignant s’était conduit de la sorte; toutefois, étant donné la violence qui animait le plaignant, il est plausible, à mon avis, que l’AI ait véritablement craint que celui ci présente un risque imminent de causer des blessures graves ou encore la mort.

Il faut également examiner la situation qui prévalait au moment du coup de feu et un peu avant celui ci. Même si aucun des employés de la banque n’a été témoin du coup de feu même, beaucoup d’entre eux ont entendu les agents crier des mots comme « reste où tu es », « les mains en l’air » et « ne bouge plus », juste avant d’entendre l’unique coup de feu. Selon ce que révèlent les éléments de preuve vidéo ainsi que les déclarations des témoins, le plaignant a couru vers un mur et une série de bureaux à l’ouest des postes de travail du service à la clientèle et du comptoir des caissiers lorsque les agents sont entrés dans la banque. Cela correspond à la version des événements donnée par l’AT no 3. Cet agent, qui se trouvait derrière l’AI, à sa droite, lorsqu’ils sont entrés dans la banque, puis qu’ils ont tourné à gauche en direction du plaignant, indique que le plaignant s’est approché et s’est éloigné des agents à quelques reprises à cet endroit, avant de s’approcher une nouvelle fois des agents, puis d’être atteint par une balle tirée par l’AI. L’AT no 1 est moins explicite en ce qui a trait aux mouvements du plaignant tout juste avant le coup de feu. Selon l’AT no 1, l’AI, l’AT no 3 et lui étaient placés en demi cercle devant le plaignant lorsqu’il a entendu le coup de feu. Par ailleurs, selon ce qu’indiquent les éléments de preuve, le plaignant a tenu son arme à feu dans sa main droite pendant tout l’incident, la jetant seulement lorsqu’il a été atteint par une balle, alors qu’il se tenait toujours debout, par peur qu’on lui tire dessus une autre fois s’il faisait un mouvement avec l’arme.

À la lumière de ce qui précède, je ne suis pas en mesure de conclure avec confiance que l’AI n’avait pas de motifs raisonnables de croire qu’il était nécessaire de tirer sur le plaignant pour se protéger et protéger les autres personnes présentes contre un risque imminent de mort ou de blessure grave. Au contraire, je suis porté à croire que l’AI pensait véritablement, sur la base d’un jugement raisonnable, que le coup de feu était nécessaire lorsqu’il a employé son arme. Le fait que l’arme à feu du plaignant n’était pas chargée n’a pas d’importance. L’arme à feu qui se trouvait dans la main du plaignant était réelle, et l’AI avait toutes les raisons de croire qu’elle était chargée et prête à être utilisée. Il n’était pas non plus réaliste d’envisager de battre en retraite ou de quitter les lieux. Les agents, dont l’AI, savaient que des employés de la banque se trouvaient dans l’établissement et près de celui ci. Il est évident que leur santé et leur sécurité auraient été en péril si les agents avaient omis de s’occuper du plaignant, qui semblait muni d’une arme à feu fonctionnelle, alors qu’il était dans la banque. De plus, étant donné la vitesse à laquelle les événements se sont déroulés, les agents n’ont eu d’autre choix que d’intervenir de la sorte. En effet, seulement quelques secondes se sont écoulées entre le moment où ils sont entrés dans la banque et l’affrontement avec le plaignant.

Il convient toutefois de noter que le plaignant a reçu la balle dans le milieu du bas du dos. Les blessures par balle au dos sont problématiques, puisqu’elles peuvent indiquer que la personne blessée tournait le dos à la personne ayant tiré et ne présentait donc pas une menace au moment du coup de feu. Après avoir examiné cet élément de preuve, je conclus qu’il n’enlève aucunement à l’AI son motif raisonnable d’utiliser une telle force aux termes du paragraphe 25(3) du Code criminel. Les éléments de preuve montrent clairement que le plaignant n’obéissait pas aux agents qui lui demandaient de s’immobiliser et qu’il était en mouvement au moment du coup de feu. Rappelons que l’AT no 3 a dit que le plaignant s’est éloigné, puis approché des agents à quelques reprises avant d’être atteint par balle. Je tiens également compte du fait que des employés de la banque se trouvaient à divers endroits dans celle ci à ce moment là, y compris à l’endroit vers lequel le plaignant était orienté s’il tournait le dos à l’AI lorsque l’agent a décidé de faire feu. Compte tenu du risque imminent de blessure et de décès pour les gens se trouvant près d’une personne munie d’une arme à feu, des mouvements du plaignant et du temps de réaction entre la décision de tirer et le coup de feu lui même, je ne suis pas en mesure de conclure, sur la base d’un jugement raisonnable et en fonction de tous les éléments de preuve, que le plaignant ne constituait pas une menace justifiant le recours à une force susceptible d’être létale simplement en raison de l’emplacement de la blessure, soit dans son dos.

En conclusion, j’estime qu’il n’y a pas de motif raisonnable de croire que l’AI a agi d’une manière contraire à la loi lorsqu’il a tiré sur le plaignant. Il n’y a donc aucune raison de porter des accusations criminelles contre l’agent, et le dossier est clos.


Date : 4 janvier 2021




Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.