Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 20-PVI-156

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave (y compris une allégation d’agression sexuelle).

On doit englober dans les «â€‰blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de «â€‰blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES concernant les blessures graves subies par un homme de 36 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 27 juin 2020, à 21 h 43, la Police provinciale de l’Ontario (la Police provinciale) a avisé l’UES d’une collision de véhicules automobiles impliquant un véhicule de son service dans laquelle un conducteur civil avait été blessé et qui s’était produite le 27 juin 2020, à 20 h 14. La collision avait eu lieu sur la route Newport, au sud de la route Old Greenfield.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 2

Les lieux ont été photographiés par les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES, et les véhicules ont été inspectés. De plus, on a pris des mesures sur place au moyen d’une station totale Sokkia aux fins de cartographie judiciaire.

En fonction de l’information transmise par la Police provinciale, l’agent impliqué a été désigné. 

Plaignant :

Homme de 36 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés


Témoin civil (TC)

TC A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées


Agent impliqué (AI)

AI A participé à une entrevue; notes reçues et examinées


Éléments de preuve

Les lieux

Il y avait des marques de pneu à 70 mètres au sud de l’intersection de la route Old Greenfield, sur la route Newport. Ces marques s’étendaient jusque dans le fossé du côté est de la route Newport et étaient visibles sur 250 mètres, soit jusqu’à un véhicule de marque Cadillac retourné sur son toit et orienté vers le sud.

Schéma des lieux

Schéma des lieux

Éléments de preuves médicolégaux


Données du système mondial de localisation (GPS)


Le véhicule de police de l’AI circulait en direction sud sur la route Newport à 20 h 13 min 48 s. La distance totale qu’il a parcourue depuis son point de départ jusqu’à l’emplacement où le véhicule de marque Cadillac s’est retrouvé sur son toit est d’environ 1,04 km. Le temps de déplacement total a été d’environ 24 secondes. La voiture de police a atteint une vitesse de 162 km/h sur la route Newport. Le système GPS n’offrait aucune donnée sur la voiture alors qu’elle était à l’intersection de la route Old Greenfield et de la route Newport.

Les images de Google Earth montrent que l’intersection de la route Newport et de la route Old Greenfield est un carrefour à quatre panneaux d’arrêt. L’asphalte qui couvre la chaussée semble être usé. La limite de vitesse affichée pour la circulation en direction nord et en direction sud sur la route Newport est de 80 km/h. De même, il y a un panneau indiquant une limite de vitesse de 60 km/h au sud de l’intersection de la route Greenfield, le long de la route Newport, après une courbe vers la gauche. Le secteur est principalement rural et comporte des terres agricoles.

Extraction des données sur la collision


Véhicule de marque Cadillac

Il apparaît, selon l’analyse des vitesses, de la position du papillon des gaz, du nombre de tours par minute du moteur et de l’interrupteur de freinage, que le conducteur du véhicule de marque Cadillac ne touchait ni à l’accélérateur ni à la pédale de frein depuis quatre secondes au moment de l’impact; d’ailleurs, le nombre de tours par minute du moteur n’était que légèrement supérieur à celui d’un véhicule immobile. Il semble que le véhicule ralentissait par lui même, sans l’application du papillon des gaz.

Aucun événement n’a été consigné quant au véhicule de police de l’AI.

Enregistrements de communications

On a examiné les communications radio et constaté que la première communication enregistrée était celle de l’AI qui annonçait qu’un automobiliste avait omis d’arrêter son véhicule. Il a fait savoir que l’emplacement concerné était la route Newport, au sud de la route Old Greenfield, et a indiqué que le véhicule était dans le fossé, sur le toit, et que le conducteur était sous celui ci. L’AI a également dit qu’il n’avait pas allumé ses gyrophares et qu’il devait aller vérifier comment se portait l’homme qui conduisait le véhicule.

L’AI a demandé que des pompiers se présentent sur les lieux parce que le véhicule se trouvait sur le bras du conducteur.

Éléments obtenus auprès du Service de police

Sur demande, l’UES a obtenu les documents et éléments suivants de la Police provinciale, et les a examinés :
  • rapport sur les détails de l’événement;
  • notes des AT et de l’AI;
  • enregistrements des communications;
  • données du système GPS;
  • rapport d’incident;
  • rapport de collision de la Police provinciale;
  • liste des agents de la Police provinciale concernés;
  • sommaire de l’incident.

Description de l’incident

Même s’il y a des divergences entre certains éléments de preuve, le scénario suivant se dégage clairement des éléments de preuve fiables qui ont été recueillis. Dans la soirée en question, le plaignant, accompagné du TC, circulait en direction sud sur la route Newport. Au même moment, l’AI était à bord d’un véhicule de police immobile dans le secteur de la route Newport et de la route River. L’agent était en service et vérifiait la validité des plaques d’immatriculation des véhicules circulant sur la route.

Les deux véhicules se sont croisés vers 20 h 14, tandis que le plaignant immobilisait son véhicule au panneau d’arrêt pour la circulation en direction sud sur la route Newport, à l’intersection de la route River. Lorsque le véhicule du plaignant a traversé l’intersection, l’AI a vérifié les plaques d’immatriculation et a constaté que celles ci avaient été signalées comme manquantes et qu’elles n’étaient donc pas censées être apposées au véhicule. N’étant pas certain d’avoir correctement saisi le numéro d’immatriculation, l’AI s’est engagé sur la voie en direction sud de la route Newport avec l’intention de se rapprocher du véhicule du plaignant afin de vérifier de nouveau le numéro.

Le plaignant a accéléré lorsqu’il s’est approché du panneau d’arrêt suivant à l’intersection de la route Old Greenfield et a traversé cette dernière sans s’arrêter. L’AI a continué de suivre le plaignant; il s’est approché lui aussi de l’intersection de la route Old Greenfield, a ralenti au panneau d’arrêt et a continué de circuler en direction sud, sur la route Newport, après avoir franchi l’intersection.

À environ 70 mètres au sud de la route Old Greenfield, le plaignant a perdu le contrôle de son véhicule alors qu’il tentait de manœuvrer dans une courbe vers la gauche à très grande vitesse. Son véhicule est entré dans le fossé du côté est de la route Newport et a parcouru une distance de 250 mètres avant de faire un tonneau et de se retrouver à l’envers.

L’AI est arrivé sur les lieux de la collision quelques secondes après celle ci et a appelé le service d’incendie et une ambulance, puisque le plaignant était coincé à l’intérieur du véhicule. Une dépanneuse est arrivée sur place et a levé le véhicule, ce qui a permis de dégager le bras du plaignant et de sortir ce dernier des débris.

Le plaignant a été transporté à l’hôpital, où l’on a constaté qu’il avait des fractures au bras gauche. Pour sa part, le TC a eu de la chance, s’en sortant sans blessure grave.

Dispositions législatives pertinentes

Article 320.13, Code criminel – Conduite causant des lésions corporelles 

320.13 (1) Commet une infraction quiconque conduit un moyen de transport  d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances.

(2) Commet une infraction quiconque conduit un moyen de transport d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, et cause ainsi des lésions corporelles à une autre personne.

 

Analyse et décision du directeur

Le 27 juin 2020, le plaignant a subi des fractures au bras gauche lorsqu’il a perdu le contrôle de son véhicule et qu’il s’est retrouvé dans un fossé. Puisque le plaignant était poursuivi par un agent de la Police provinciale avant la collision, l’UES a été avisée et a lancé une enquête. L’agent de la Police provinciale en question – l’AI – a donc été désigné comme agent impliqué aux fins de l’enquête de l’UES. Après avoir examiné les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI a commis une infraction criminelle relativement à l’incident.

L’infraction possible à l’étude est la conduite dangereuse causant ainsi des lésions corporelles aux termes du paragraphe 320.13(2) du Code criminel. Pour qu’il y ait culpabilité à l’infraction, il faut notamment que l’on tire une conclusion selon laquelle la conduite constituait un écart marqué par rapport au niveau de prudence qu’une personne raisonnable aurait exercé dans des circonstances similaires. : R. c. Beatty, [2008] 1 R.C.S. 49; R. c. Roy (2012), 281 C.C.C. (3d) 433 (CSC). À mon avis, les éléments de preuve ne permettent pas de conclure raisonnablement que l’AI a enfreint les limites de précaution prescrites par le droit criminel.

L’AI exerçait ses fonctions légitimes lorsqu’il effectuait le contrôle de la circulation, et qu’il a vérifié les plaques d’immatriculation du plaignant et constaté qu’elles ne devaient pas être apposées à ce véhicule. Souhaitant confirmer qu’il avait bien noté le numéro d’immatriculation, l’AI a agi raisonnablement lorsqu’il a accéléré pour se rapprocher du véhicule du plaignant. Il est vrai que l’AI a atteint une vitesse supérieure à 160 km/h alors qu’il circulait en direction sud sur la route Newport, mais il n’a roulé à cette vitesse que pendant quelques secondes, et avec raison, puisque le plaignant accélérait aussi à ce moment là dans le but de s’éloigner de l’agent. De plus, compte tenu de ce qu’indiquent les données du système GPS, à savoir que l’AI a ralenti, dans une certaine mesure, lorsqu’il s’est approché du panneau d’arrêt de la route Old Greenfield, et puisqu’il n’y avait que très peu de circulation, voire aucune, sur la route à ce moment là, qu’il s’agissait d’un milieu rural et que les conditions météorologiques étaient favorables, je suis d’avis que l’AI a dûment pris en considération la sécurité publique lorsqu’il poursuivait le plaignant.

Certains éléments de preuve indiquent que l’AI a poussé le plaignant à conduire son véhicule de manière dangereuse. Plus précisément, selon ces éléments de preuve, le plaignant a omis d’arrêter son véhicule au panneau d’arrêt de la route Old Greenfield parce que l’AI était juste derrière lui et qu’il ne pouvait donc pas s’immobiliser sans risquer une collision avec le véhicule de police. Ces éléments de preuve indiquent même que l’AI s’est placé à côté du véhicule du plaignant, du côté conducteur et aussi du côté passager, tandis qu’ils se dirigeaient au sud de la route Old Greenfield, et qu’il est possible que ce soit un coup donné par le véhicule de police qui ait fait dévier le véhicule du plaignant dans le fossé.

Je sais bien qu’il faut éviter d’évaluer le poids des éléments de preuve qui entrent en conflit au delà des considérations fondamentales; de même, je suis d’avis qu’il ne serait ni sage ni prudent de porter des accusations fondées sur les éléments de preuve les plus potentiellement inculpatoires sans que ceux ci soient corroborés. Par exemple, selon certains de ces éléments de preuve, la poursuite entreprise par l’agent aurait duré de deux à trois minutes environ. Toutefois, les éléments de preuve médicolégaux ont établi que l’AI a circulé en direction sud sur la route Newport pendant seulement 24 secondes, tout au plus. Je comprends que les estimations de temps peuvent être erronées lorsque les événements se déroulent très rapidement, mais je suis d’avis que les éléments de preuve potentiellement inculpatoires sont si erronés que leur crédibilité ne peut qu’être mise en doute. Par ailleurs, toujours selon ces éléments de preuve, l’AI aurait réussi à placer son véhicule du côté conducteur et du côté passager du véhicule du plaignant quelques instants avant que le véhicule du plaignant se retrouve dans le fossé. Cependant, les éléments de preuve médicolégaux indiquent fortement que cette séquence d’événements n’aurait pas pu se produire. En outre, il est très pertinent de noter que cette version des événements n’a pas été appuyée par un témoin civil.

Selon son compte rendu de l’incident, l’AI était loin derrière le véhicule du plaignant et l’a même perdu de vue lorsqu’il s’est engagé dans la courbe, n’ayant revu le véhicule qu’une fois celui ci à l’envers et immobile dans le fossé. Rien dans les éléments de preuve médicolégaux ne met en doute cette description des événements.

En conclusion, à la lumière des faits relatés ci dessus, il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI, dans le cadre de la poursuite qui a duré environ 24 secondes, tout au plus, et qui a eu lieu sur une distance d’environ un kilomètre, s’est comporté d’une manière contraire aux dispositions du droit criminel. Par conséquent, il n’y a aucun motif de porter des accusations criminelles contre l’agent, et le dossier est clos.


Date : 21 décembre 2020


Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.