Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-OCI-328
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Contenus:
Mandat de l’UES
L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.
En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.
En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.
Restrictions concernant la divulgation de renseignements
Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)
En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :- de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
- de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.
En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
- le nom de tout agent impliqué;
- le nom de tout agent témoin;
- le nom de tout témoin civil;
- les renseignements sur le lieu de l’incident;
- les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête;
- d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête
Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)
En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables.Autres instances, processus et enquêtes
Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.Exercice du mandat
La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave (y compris une allégation d’agression sexuelle).
On doit englober dans les «â€‰blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de «â€‰blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.
Le présent rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la blessure grave qu’un homme de 48 ans a subie lors de son arrestation le 10 octobre 2017.
On doit englober dans les «â€‰blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de «â€‰blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.
Le présent rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la blessure grave qu’un homme de 48 ans a subie lors de son arrestation le 10 octobre 2017.
L’enquête
Notification de l’UES
Le 9 novembre 2017, vers 9 h 26, le Service de police d’Ottawa (SPO) a informé l’UES que le 7 novembre 2017, le Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police (BDIEP) lui avait transmis une plainte, déposée par le plaignant, un homme de 48 ans, qui impliquait une blessure sous garde.La plainte au BDIEP indiquait que le plaignant avait été arrêté le 10 octobre 2017 par le SPO pour ivresse dans un lieu public et qu’il avait été agressé par un policier alors qu’il était sous garde. Au moment de sa libération, le plaignant a dit à un agent de police qu’il pensait avoir le bras gauche cassé et lui a demandé d’appeler une ambulance. Il a toutefois quitté le poste de police avant l’arrivée de l’ambulance et s’est rendu au centre anglican de services sociaux où il a déjeuné. Un travailleur social de ce centre a appelé une ambulance et le plaignant a été conduit à l’hôpital où on lui a diagnostiqué une fracture du poignet gauche.
Le SPO a précisé que le 10 octobre 2017, le plaignant avait été arrêté pour ivresse dans un lieu public, dans l’aire commune d’un immeuble d’habitation, à Ottawa, après que le SPO ait reçu un appel de son ex-petite amie demandant son expulsion de chez elle. À 19 h 34, des agents du SPO sont arrivés à l’appartement et peu après avoir résisté, le plaignant a été arrêté. Pendant cet incident, le plaignant a subi une légère lacération au front. Les services médicaux d’urgence (SMU) d’Ottawa ont été appelés et le plaignant a été examiné par des ambulanciers paramédicaux qui n’ont rien constaté de notable. On l’a alors conduit au quartier général du SPO et placé dans une cellule jusqu’au lendemain matin.
L’équipe
Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4 Nombre d’enquêteurs de l’UES spécialistes des sciences judiciaires assignés : 0
Plaignant :
Homme de 48 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinésTémoins civils
TC no 1 A participé à une entrevueTC no 2 A participé à une entrevue
TC no 3 A participé à une entrevue
TC no 4 A participé à une entrevue
Agents témoins
AT no 1 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées AT no 2 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AT no 3 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AT no 4 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
Témoins employés de la police
TEP no 1 A participé à une entrevue TEP no 1 A participé à une entrevue
Agents impliqués
AI no 1 A participé à une entrevue; AI no 2 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
Description de l’incident
Le 10 octobre 2017, le SPO a reçu l’appel d’une femme au 9-1-1 demandant qu’on expulse un homme de son appartement, à Ottawa. Quatre agents ont répondu à l’appel et trois d’entre eux sont montés à l’appartement pour enquêter.
À leur arrivée sur les lieux, les agents ont trouvé le plaignant dans le couloir, devant la porte de l’appartement. L’AI no 2 est entré dans l’appartement pour interroger la femme qui avait appelé le 9-1-1, et les AT no 1 et no 3 sont restés dans le couloir pour parler au plaignant. Comme le plaignant refusait de rester sur place et de leur parler, les agents ont décidé qu’il fallait le placer sous garde aux fins de l’enquête. Il l’ont fait s’allonger par terre et l’ont menotté. Ils ont alors remarqué qu’il avait une petite coupure au front. Les policiers ont appelé une ambulance. Les ambulanciers ont examiné le plaignant et déclaré que son état ne nécessitait pas de soins particuliers.
Le plaignant a ensuite été logé dans une cellule pendant la nuit et libéré le lendemain matin, lorsqu’il était sobre. Après sa libération, le plaignant s’est rendu à l’hôpital où il a de nouveau été évalué.
Nature des blessures/traitement
Le bras du plaignant a été radiographié et on lui a diagnostiqué une fracture comminutive du diaphyse (la partie cylindrique et allongée d’un os long) de l’ulna distal gauche (l’ulna est le plus fin et le plus long des deux os de l’avant-bras, du côté opposé au pouce). Le plaignant a subi une intervention chirurgicale pour insérer une plaque et une vis afin de soigner sa blessure.
À leur arrivée sur les lieux, les agents ont trouvé le plaignant dans le couloir, devant la porte de l’appartement. L’AI no 2 est entré dans l’appartement pour interroger la femme qui avait appelé le 9-1-1, et les AT no 1 et no 3 sont restés dans le couloir pour parler au plaignant. Comme le plaignant refusait de rester sur place et de leur parler, les agents ont décidé qu’il fallait le placer sous garde aux fins de l’enquête. Il l’ont fait s’allonger par terre et l’ont menotté. Ils ont alors remarqué qu’il avait une petite coupure au front. Les policiers ont appelé une ambulance. Les ambulanciers ont examiné le plaignant et déclaré que son état ne nécessitait pas de soins particuliers.
Le plaignant a ensuite été logé dans une cellule pendant la nuit et libéré le lendemain matin, lorsqu’il était sobre. Après sa libération, le plaignant s’est rendu à l’hôpital où il a de nouveau été évalué.
Nature des blessures/traitement
Le bras du plaignant a été radiographié et on lui a diagnostiqué une fracture comminutive du diaphyse (la partie cylindrique et allongée d’un os long) de l’ulna distal gauche (l’ulna est le plus fin et le plus long des deux os de l’avant-bras, du côté opposé au pouce). Le plaignant a subi une intervention chirurgicale pour insérer une plaque et une vis afin de soigner sa blessure.Éléments de preuve
Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies
Vidéo dans l’aire des cellules
Enregistrement vidéo et audio de bonne qualité.Voici ce que montre la vidéo :
- Le plaignant est conduit dans le poste de police par l’entrée sécurisée;
- Le plaignant est présenté devant l’AI no 1;
- Le plaignant est conduit dans la salle des fouilles où il est fouillé par le TEP no 1. Dans la salle des fouilles, le plaignant se plaint de son syndrome du canal carpien et que les menottes sont trop serrées. Son agitation s’intensifie et il commence à pleurer et à se plaindre des menottes. Au bout d’un certain temps, on lui retire les menottes. Le plaignant continue de se plaindre. À un moment donné, il tombe par terre et continue de crier. On le voit alors saisir son poignet gauche de la main droite et alléguer que le TEP no 1 lui a luxé le poignet gauche. Le TEP no 1 et l’AI no 1 le conduisent ensuite vers la cellule; il crie qu’il veut un médecin. Il est ensuite placé dans une cellule.
Enregistrements des communications
Les enquêteurs de l’UES ont reçu et analysé les enregistrements de l’appel au 9-1-1 et des communications radio de la police.Éléments de preuves médicolégaux
Aucun élément n’a été soumis au Centre des sciences judiciaires.Éléments obtenus auprès du Service de police
L’UES a demandé les documents suivants au SPO, qu’elle a obtenus et examinés :- Fiche d’identification de l’accusé;
- Détails de la répartition assistée par ordinateur (RAO);
- Copie papier du dossier de détention du plaignant;
- Copie papier de la description de l’incident par l’AT no 1;
- Notes des AT no 1 à 4 et de l’AI no 1;
- Plainte au BDIEP (copie);
- Photo du plaignant à l’enregistrement au SPO;
- Enregistrement de l’appel au 9-1-1;
- Enregistrement des communications radio de la police;
- Vidéo du poste de police (hall/entrée sécurisée/cellule);
- Procédure : prise en charge d’un prisonnier
- Procédure : arrestation et fouille
Sur demande, l’UES a obtenu et examiné les éléments et documents suivants d’autres sources :
- Rapports d’appels d’ambulance (x2);
- Dossiers médicaux du plaignant liés à cet incident, obtenu avec son consentement.
Dispositions législatives pertinentes
Paragraphe 25(1) du Code criminel -- Protection des personnes autorisées
25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :a) soit à titre de particulierest, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.
b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
d) soit en raison de ses fonctions
Articles 219 et 221, Code criminel -- Négligence criminelle causant des lésions corporelles
219 (1) est coupable d’une négligence criminelle quiconque :a) soit en faisant quelque chose;(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.
b) soit en omettant de faire quelque chose qui est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.
221 Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans quiconque, par négligence criminelle, cause des lésions corporelles à autrui.
Paragraphe 31(4), Code criminel -- Loi sur les permis d'alcool - Ivresse dans un lieu public
(4) Nul ne doit être en état d’ivresse :a) dans un lieu où le public accède sur invitation ou permission;
b) dans la partie d’une habitation à plusieurs logements qui sert à l’usage commun
Analyse et décision du directeur
Le 10 octobre 2017, à 19 h 25 min 49 s, le Service de police d’Ottawa (SPO) a reçu un appel d’une femme au 9-1-1 demandant qu’on expulse quelqu’un de chez elle, à Ottawa. En réponse à cet appel, l’agent témoin (AT) no 1 et l’AT no 2 ont été envoyés sur les lieux. Deux policiers à vélo, l’AT no 3 et l’agent impliqué (AI) no 2, se sont également portés volontaires pour se rendre sur place.
À leur arrivée, l’AT no 1, l’AT no 3 et l’AI no 2 sont montés à l’appartement où la locataire, la TC no 1, a confirmé qu’elle ne voulait pas le plaignant, son ancien petit ami, chez elle et souhaitait que la police le fasse sortir.
Le plaignant, qui était déjà dans le couloir à l’arrivée de la police, a été arrêté pour état d’ivresse dans une aire commune, en contravention au paragraphe 31 (4) de la Loi sur les permis d’alcool, puis transporté au poste de police, où on l’a placé dans une cellule pour la nuit, puis libéré le lendemain matin, une fois sobre. Après sa libération du poste de police, le plaignant est allé à l’hôpital, où il a été constaté qu’il avait une fracture à l’avant-bras. Le plaignant a ensuite déposé une plainte auprès du BDIEP dans laquelle il alléguait que sa blessure avait été causée par un recours excessif à la force par le policier qui avait procédé à son arrestation la nuit en question.
La plainte indique que le 10 octobre 2017, la petite amie du plaignant a appelé la police pour demander qu’on l’expulse de son appartement. Lorsque les policiers sont arrivés sur place, le plaignant leur a dit qu’il s’en allait, mais la police lui a dit de rester où il était pendant qu’ils parlaient à la TC no 1.
Dans sa plainte, le plaignant a indiqué qu’il se souvenait ensuite que l’AT no 1 lui avait saisi les mains pour l’arrêter et avait pris le gramme « d’herbe » qu’il tenait, tout en lui serrant le coude, ce qui lui avait fait mal, car il avait subi une opération aux coudes auparavant. Le plaignant allègue que l’AT no 1 a alors déclaré qu’il résistait à l’arrestation et a commencé à le pousser dans le couloir. Le plaignant est tombé à genou et a commencé à hurler de douleur, parce qu’un autre policier lui a saisi et tordu le bras, tout en lui appuyant le genou dans le dos et en le plaquant au sol. De plus, le plaignant allègue que, lorsque les policiers l’ont plaqué à terre, son bras était tordu et s’est fracturé en heurtant le sol. Il allègue que les policiers ont ensuite continué à exercer une pression sur son bras et ses jambes et à lui cogner la tête par terre, lui causant des entailles au front et au visage. Il s’est alors évanoui et ne se souvient plus être sorti du bâtiment. Il a repris connaissance au poste de police, dans les cellules. Son bras était très enflé et contusionné. Son visage avait des entailles qui saignaient.
Le plaignant a ensuite expliqué en détail qu’il s’était rendu dans un refuge où l’on a fait venir une ambulance qui l’a conduit à l’hôpital. Il a ajouté qu’à l’hôpital, on lui a diagnostiqué une fracture au bras et on lui a dit qu’il avait besoin de points de suture et qu’il avait possiblement une commotion cérébrale. Le plaignant a affirmé avoir déclaré au personnel de l’hôpital que la police l’avait battu.
Le TC no 3, qui a aidé le plaignant à déposer sa plainte auprès du BDIEP, a dit que lorsqu’il a vu le plaignant le matin du 11 octobre 2017, il a remarqué qu’il semblait avoir mal au bras gauche et que son bras et son poignet gauches étaient nettement enflés. Le plaignant lui a dit qu’il avait été arrêté le soir précédent dans l’appartement de sa petite amie alors qu’il était en état d’ébriété et qu’il avait résisté à la police dans le couloir devant l’appartement. Il a ajouté qu’il s’était s’opposé activement à son arrestation et qu’un policier l’avait frappé sur le bras gauche et lui avait cassé le poignet gauche. Le plaignant a également dit au TC no 3 que plusieurs policiers s’étaient empilés sur lui et qu’il s’était évanoui, à la suite de quoi il avait été emmené au poste de police et placé dans une cellule, toujours sans connaissance.
Le plaignant a en outre dit au TC no 3 que, lorsqu’il s’était réveillé le lendemain matin, il avait demandé qu’on le conduise à l’hôpital pour se faire examiner le poignet. Le policier qui l’avait arrêté lui aurait alors dit qu’il devait attendre à l’extérieur du poste de police. Ce même agent lui aurait alors donné une contravention pour ivresse dans un lieu public avant de le libérer. Il a déclaré que le nom de l’agent sur la contravention était « Black » ou « Blake ». [1]
Dans sa déclaration aux enquêteurs de l’UES, le plaignant a dit que le 10 octobre 2017, avant de se rendre au domicile de sa petite amie, il avait eu une bagarre « assez intense » avec un inconnu au centre-ville d’Ottawa, environ une heure avant d’aller chez la TC no 1, mais qu’il n’avait pas été blessé lors de cette altercation.
Le plaignant a déclaré qu’il se trouvait dans le couloir de l’immeuble de la TC no 1 lorsque la police est arrivée. Il a décrit deux agentes de police restant dans le couloir avec lui (selon les trois agents de police présents, ce sont l’AT no 3 et l’AT no 1, un policier et une policière, qui sont restés dans le couloir avec le plaignant) tandis qu’un autre agent (l’AI no 2) est entré dans l’appartement de la TC no 1.
Le plaignant a ensuite décrit l’incident comme suit : alors qu’il avait le dos tourné vers l’ascenseur, une personne s’est approchée de lui par derrière, lui a saisi le poignet gauche et lui a pris le gramme de marijuana qu’il tenait dans la main – il n’a pas pu décrire cette personne. Cette même personne l’a ensuite poussé, ce qui l’a fait trébucher, puis l’AT no 3 et l’AT no 1 lui ont saisi les bras et ont commencé à les tordre. Lorsque le plaignant a refusé de se mettre à terre, un agent, dont il ignore l’identité, lui a donné un coup de pied sur le côté gauche de la cage thoracique. Il est alors tombé à genou, et un inconnu lui a asséné un coup de coude sur le dos de la tête. Sous le coup, il s’est écroulé en avant et s’est cogné le front sur le sol.
Le plaignant a en outre expliqué qu’à ce moment-là, le policier qui était dans l’appartement de la TC no 1 (l’AI no 2) est sorti et s’est agenouillé sur la hanche gauche du plaignant et lui a saisi le poignet gauche, tandis qu’une autre personne était à sa droite et que les deux agentes lui tenaient les pieds. Le policier qui était sorti de l’appartement de la TC no 1 et l’inconnu ont alors commencé à lui tordre et lui plier les bras, et le plaignant a crié que ses bras ne pouvaient pas se plier en raison de chirurgies antérieures. L’inconnu lui a alors asséné un coup de coude sur la tête. Il s’est évanoui et ne se souvient de rien de ce qui précède son réveil dans la cellule.
Après réflexion, le plaignant pensait que c’était l’agent de police qui était entré dans l’appartement de la TC no 1 (l’AI no 2) qui l’avait blessé au poignet/bras.
Malgré les allégations du plaignant selon lesquelles il avait été blessé au poignet/bras dans le couloir de l’immeuble de la TC no 1, les deux ambulanciers paramédicaux qui l’ont examiné dans l’immeuble ont précisé que la seule blessure qu’ils ont constaté sur le plaignant lors de l’évaluation était une petite lacération d’un demi-pouce sur le front, au-dessus de l’œil gauche. Lorsque les ambulanciers lui ont demandé comment il avait été blessé, le plaignant leur a dit qu’il avait eu une querelle avec son voisin.
Une fois la petite blessure au front du plaignant nettoyée et pansée, un des ambulanciers paramédicaux, la TC no 2, a procédé à l’évaluation de son état physique. Les deux ambulanciers se souviennent que le plaignant a dit qu’il souffrait du syndrome du canal carpien et que ses menottes étaient trop serrées. Ils ont remarqué que les deux poignets du plaignant étaient rouges et légèrement enflés ce qui, selon le TC no 4, un deuxième ambulancier paramédical, était empiré par le fait que le plaignant tirait continuellement dans tous les sens sur ses menottes. Selon le TC no 4, les menottes n’étaient pas particulièrement serrées, puisqu’il était possible de glisser un doigt entre les menottes et les poignets du plaignant.
Les deux ambulanciers ont déclaré avoir constamment demandé au plaignant s’il souhaitait aller à l’hôpital, mais que celui-ci avait catégoriquement refusé.
Le TC no 4 a précisé que pendant les quelque 25 minutes durant lesquelles le plaignant était avec eux dans l’ambulance, il s’est seulement plaint de sa petite entaille au front et qu’il ne s’est pas plaint de la conduite de la police.
La TC no 3 a déclaré avoir vu les policiers vérifier les menottes du plaignant au moins trois fois et les desserrer une fois en sa présence, mais le plaignant continuait d’insister qu’on lui retire les menottes, tout en tirant continuellement dessus, provoquant ainsi une rougeur à ses poignets. Lorsque le plaignant leur a dit qu’il avait déjà été opéré aux poignets et qu’il souffrait du syndrome du canal carpien, la TC no 2 lui manipulé les mains, les bras et le poignet pour s’assurer qu’il n’avait pas de problème de circulation. Elle a déclaré que lorsqu’elle a manipulé ses extrémités, le plaignant n’a pas geint sous la douleur ni éprouvé de difficulté à bouger ses mains, qu’il tordait constamment à l’intérieur des menottes.
Hormis la petite lacération au front, la TC no 2 était également d’avis que le plaignant allait bien, sa seule plainte étant que les menottes étaient trop serrées. À aucun moment, le plaignant ne s’est plaint, en présence de la TC no 2, d’une inconduite quelconque de la part de la police.
Pour tenter de déterminer quand et comment le plaignant a été blessé, en me fondant non seulement sur le témoignage des ambulanciers paramédicaux, mais aussi sur le fait que le plaignant se faisait mal aux poignets en les tortillant constamment dans les menottes, ce qui, s’il avait déjà une fracture au poignet ou à l’avant-bras à ce moment-là, lui aurait sans aucun doute causé une douleur insupportable, et le fait qu’il n’a absolument pas mentionné une blessure au poignet, son seul souci à ce moment-là étant la petite entaille au front et les menottes trop serrées, je dois en déduire que le plaignant n’était pas encore blessé quand il a été vu par les ambulanciers ou qu’il était tellement ivre qu’il ne ressentait pas la douleur de sa blessure. [2]
Si ce deuxième scénario est exact, il est possible que le plaignant ait été blessé à n’importe quel moment avant d’être vu par les ambulanciers paramédicaux, y compris lors d’une bagarre « assez intense » avec un inconnu au centre-ville d’Ottawa, avant son arrivée au domicile de la TC no 1.
Au poste de police, d’après la vidéo de la salle d’enregistrement, le plaignant s’est constamment plaint d’avoir mal, mais il attribuait cette douleur aux menottes qu’il a demandait qu’on desserre. L’agent de l’enregistrement l’a rassuré en lui expliquant qu’on lui enlèverait bientôt les menottes, dès qu’on l’aurait fouillé. On entend plaignant se plaindre d’une voix forte que la policière lui tirait le bras, que son poignet lui faisait mal, qu’il avait un « canal carpien » et que la policière lui tirait les poignets. Il est clair que les agents ne prenaient pas au sérieux les plaintes du plaignant à ce moment-là, probablement parce que sa principale plainte semblait être que les menottes étaient trop serrées et qu’on les avait vérifiées maintes fois en constatant qu’elles étaient suffisamment lâches.
Le plaignant s’affaisse ensuite lentement par terre, après quoi on le voir saisir son poignet gauche et déclarer : [traduction] « Vous venez de me disloquer le poignet ». Il est impossible de déterminer si la blessure est réellement survenue à ce moment-là ou si le plaignant, dont les sens sont alors moins neutralisés par l’alcool que précédemment, ressent seulement maintenant la douleur d’une blessure antérieure. Le plaignant répète à nouveau que quelqu’un a [traduction] « disloqué mon putain de poignet! »
L’agent de l’enregistrement dit alors au plaignant de retirer l’anneau de sa main gauche et, comme celui-ci ne semble pas le faire, l’agent lui saisit la main gauche pour retirer lui-même l’anneau. À ce moment-là, le plaignant commence vraiment à se plaindre de douleur et s’écroule de nouveau par terre, se tordant sur le sol en déclarant [traduction] : « Merde, mon bras! Je veux un docteur! Je veux un docteur! »
Malheureusement, à cause de toutes ses jérémiades précédentes concernant les menottes trop serrées, aucun des agents présents ne semble prendre sa plainte au sérieux. On le fait sortir de l’aire d’enregistrement pour le placer dans une cellule. Tout au long, il se tient le poignet gauche de la main droite.
Dans le dossier médical du plaignant, le médecin a noté que le plaignant a fourni la version suivante des événements : [traduction]
En outre, le rapport médical décrit la blessure subie par le plaignant comme suit : [traduction]
J’ai effectué des recherches sur plusieurs sites Web médicaux fiables et confirmé que le médecin faisait référence à une fracture du type suivant :
En fin de compte, même si la version des faits fournie par le plaignant dans sa plainte au BDIEP diffère de celle qu’il a donnée aux enquêteurs de l’UES (dans laquelle il alléguait que l’AI no 2 avait causé la fracture dans le couloir à l’extérieur de l’appartement de la TC no 1), dans la vidéo du poste de police, le plaignant affirme qu’il a subi sa fracture dans la salle d’enregistrement du poste de police.
Selon les agents qui ont participé à l’arrestation du plaignant, ils sont arrivés à l’immeuble de la TC no 1 et l’AT no 3, l’AT no 1 et l’AI no 2 sont montés au cinquième étage où ils ont trouvé le plaignant dans le couloir, alors qu’il sortait de l’appartement en tenant son vélo. L’AT no 2 n’est montée au cinquième étage qu’une fois le plaignant arrêté et menotté et n’a joué aucun rôle dans l’arrestation.
L’AI no 2 est ensuite entré dans l’appartement pour parler à la TC no 1, tandis que l’AT no 3 et l’AT no 1 sont restés dans le couloir avec le plaignant.
Dans le couloir, le plaignant s’est énervé et a pleuré, disant à la police de le conduire en prison. L’AT no 1 a déclaré que l’haleine du plaignant dégageait une odeur d’alcool et qu’il avait admis avoir consommé une bonne quantité d’alcool dans l’après-midi.
L’AT no 3 a tenté de parler au plaignant pour savoir ce qui s’était passé, mais le plaignant a commencé à s’éloigner, ignorant les ordres de ne pas bouger. L’AT no 3 a alors placé sa main gauche sur l’avant-bras et le triceps droits du plaignant. Le plaignant a réagi en repoussant l’AT no 3, à la suite de quoi l’AT no 3 s’est rapidement servi de sa hanche gauche pour faire trébucher le plaignant et le mettre à terre. Le plaignant a atterri à plat ventre dans le couloir et a commencé à donner des coups de pied et à crier.
L’AT no 3 a ensuite tenté de menotter le plaignant, pendant que l’AT no 1 lui tenait les jambes. Le plaignant, cependant, a glissé ses mains sous son ventre, refusant d’obéir aux ordres de l’AT no 3 de tendre les mains.
L’AI no 2 a déclaré qu’alors qu’il était dans l’appartement de la TC no 1, il a entendu une commotion dans le couloir; il est sorti et voyant le plaignant se débattre au sol pour résister à l’AT no 3 et l’AT no 1, il est venu les aider. L’AI no 2 a ajouté que, malgré ses 190 lb et le fait que le plaignant était de bien plus petite taille que lui, le plaignant est parvenu à le soulever à deux reprises au cours de la lutte lorsqu’il était sur son dos.
L’AT no 3 est ensuite parvenu à immobiliser le bras gauche du plaignant et l’AI no 2, le bras droit, et le plaignant a été menotté dans le dos. Les policiers l’ont alors relevé et l’ont fait s’assoir et ont constaté qu’il saignait d’une entaille sur le front. Ils ont donc appelé une ambulance. L’AT no 1 a ensuite arrêté le plaignant pour ivresse dans une aire commune.
Selon les trois agents de police présents, personne n’a donné un coup de pied, frappé ou donné un coup de genou au plaignant, ni ne lui a tordu le bras et n’a eu recours à quelque force que ce soit, y compris avec une matraque. De plus, aucun agent n’a mentionné la présence de personnes inconnues qui seraient intervenues, les trois seules personnes ayant participé à l’arrestation et au menottage du plaignant étant l’AT no 3, l’AT no 1 et l’AI no 2.
Je pense qu’il serait superflu d’énumérer ici les nombreuses incohérences et affirmations manifestement inexactes des diverses déclarations du plaignant, et j’estime suffisant de mentionner au moins les incohérences et inexactitudes les plus importantes, à savoir :
Le plaignant a affirmé qu’il était sans connaissance à partir du moment où il était dans le couloir du cinquième étage, ce qui signifie qu’il ne se souvient pas avoir été conduit au poste de police, avoir été examiné par les ambulanciers, avoir été enregistré au poste, ni être tombé par terre dans la salle d’enregistrement où il affirme avoir subi sa blessure au poignet/au bras. Toutefois, le témoignage indépendant des deux ambulanciers et la preuve incontestable de la vidéo du poste montrent clairement que le plaignant était conscient du début à la fin. Par conséquent, je déduis de son affirmation d’avoir été sans connaissance qu’il ne se souvient simplement pas de cette période assez prolongée, probablement à cause de son état d’ébriété, ou bien qu’il ment délibérément.
En ce qui concerne l’affirmation du plaignant selon laquelle, à l’hôpital, on lui a dit qu’en plus de sa fracture à l’avant-bras, il avait besoin de points de suture et qu’il avait possiblement une commotion cérébrale, je note que les dossiers de l’hôpital ne mentionnent pas de points de sutures ni de possibilité de commotion cérébrale.
Dans les diverses déclarations du plaignant et dans sa plainte au BDIEP, il a donné les versions suivantes de l’origine de sa blessure :
Compte tenu de la blessure subie par le plaignant, à savoir une configuration classique de fracture de défense à un coup de matraque, il apparaît clairement qu’aucune des quatre premières versions des événements fournies par le plaignant, telles qu’énumérées ci-dessus, n’est compatible avec la nature de la blessure, ni avec la possibilité qu’il se soit fracturé le bras en heurtant le sol, ou quand on l’a frappé, ou encore quand on lui a tordu ou plié le bras, ou même quand on l’a tiré, comme le montre la vidéo du poste.
Le seul scénario compatible avec la blessure subie, telle que définie, semble être celui attribué au plaignant dans son dossier médical. Cependant, comme je l’ai mentionné ci-dessus, j’ai des doutes quant à savoir s’il s’agit vraiment de la version fournie par le plaignant ou plutôt d’une version envisagée par le médecin, puisque c’est la seule fois où le plaignant a prétendu avoir été frappé avec un objet. Je note en outre qu’il s’agit d’une allégation qu’il n’a pas répétée dans son entretien ultérieur avec les enquêteurs de l’UES, et qu’il n’a jamais mentionné, dans aucune de ses versions, qu’il pensait avoir été frappé avec un objet. Plus précisément, je remarque que le plaignant était d’avis que son poignet avait été disloqué et non qu’il avait subi une fracture au milieu de l’avant-bras lorsque quelqu’un l’avait frappé avec un bâton ou une matraque.
Même si cette dernière version est correcte, selon les dossiers médicaux, le plaignant n’a pas vu qui l’a frappé ni avec quoi il a été frappé, me laissant ainsi toujours sans preuve suffisante pour déterminer si un acte criminel a été commis ou non, et, si j’avais des motifs raisonnables de répondre par l’affirmative, par qui il aurait été commis.
Étant donné les cinq versions différentes fournies par le plaignant quant à l’origine de la fracture de son ulna, je dois toutefois conclure que le plaignant, probablement en raison de son état d’intoxication, ignorait qui avait causé sa blessure et comment cela s’était produit.
En conclusion, compte tenu du manque de fiabilité des différentes versions des événements présentées par le plaignant, j’estime qu’il serait dangereux de s’appuyer de quelque manière que ce soit sur son témoignage pour former des motifs raisonnables de croire qu’une infraction criminelle a été commise en l’espèce.
D’après ce dossier, je conclus qu’il n’y a aucune preuve fiable que l’un ou l’autre des agents de police qui sont intervenus dans l’arrestation du plaignant ait employé une force excessive, ni aucune preuve fiable indiquant que la blessure du plaignant résultait des actes d’un agent de police. Par conséquent, rien ne me permet de croire qu’un agent de police ait agi en dehors des limites autorisées par le droit criminel, et aucune accusation ne sera portée.
En ce qui concerne la culpabilité possible du sergent chargé de l’enregistrement, l’AI no 1, qui n’a pas immédiatement demandé des soins médicaux pour le plaignant lorsque celui-ci a affirmé que l’agent de l’enregistrement ou l’AT no 1 venait de lui disloquer le poignet, il est clair qu’en tant que sergent chargé de l’enregistrement, il était responsable du poste et se devait d’assurer la sécurité de toutes les personnes présentes et d’obtenir une assistance médicale pour celles qui pourraient en avoir besoin.
Le seul chef d’accusation au criminel fondé sur ces faits serait un délit de négligence criminelle, en contravention de l’article 219 du Code criminel. Il ne fait aucun doute que la blessure grave subie par le plaignant n’était nullement imputable aux actes ou au défaut d’agir de l’AI no 1. La seule question à trancher était de savoir si l’AI no 1 a manqué à son devoir envers le plaignant lorsqu’il ne s’est pas rendu compte que le plaignant avait, à un moment donné, subi une blessure, et que l’AI no 1 n’a donc pas pris les dispositions nécessaires pour que le plaignant reçoive des soins médicaux. Plus précisément, la question est de savoir si l’AI no 1 a omis de remplir une obligation à laquelle il était tenu et a ainsi fait preuve d’une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité du plaignant (art. 219 du Code criminel : définition de la négligence criminelle).
De nombreux arrêts de tribunaux supérieurs définissent les conditions requises pour prouver le délit de négligence criminelle. Même si la plupart portent sur des infractions liées à la conduite d’un véhicule, les tribunaux ont clairement indiqué que les mêmes principes s’appliquent aussi à d’autres comportements. Pour trouver des motifs raisonnables de croire que l’AI no 1 a commis l’infraction de négligence criminelle, il faudrait d’abord avoir des motifs raisonnables de croire qu’il avait à l’égard du plaignant une obligation qu’il a omis d’exercer, et que cette omission, conformément au jugement de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. J.F., [2008] 3 R.C.S. 215, constituait un « écart marqué et important par rapport à la conduite d’une personne raisonnablement prudente » dans des circonstances où l’AI no 1 avait « conscience d’un risque grave et évident pour la vie » du plaignant ou n’avait accordé aucune attention à ce risque.
Je note à ce propos que l’AI no 1 avait été informé que le plaignant se plaignait constamment et avec insistance que ses menottes étaient trop serrées, une affirmation vérifiée à maintes reprises et jugée sans fondement. De plus, on avait avisé l’AI no 1 que le plaignant avait déjà été examiné par des ambulanciers paramédicaux qui avaient conclu à l’absence de problèmes médicaux. Il est clair que l’AI no 1 pouvait s’appuyer sur ces renseignements pour déterminer si le plaignant avait besoin ou non de soins médicaux supplémentaires.
Compte tenu de ces faits, j’admets que l’AI no 1 n’a sans doute pas réalisé que le plaignant avait subi une blessure, pas plus d’ailleurs que les deux ambulanciers paramédicaux, qui, contrairement à l’AI no 1, étaient formés à examiner et évaluer les blessures, ni tous les autres agents de police qui ont eu affaire au plaignant. Malheureusement, comme le plaignant s’était plaint bruyamment et avec insistance que ses menottes étaient trop serrées, et puisque cette plainte avait été examinée et réfutée à plusieurs reprises, les personnes qui ont eu affaire au plaignant ont fini par ignorer ses plaintes, les jugeant peu fiables et visant seulement à envenimer la situation.
En outre, le Code criminel ne prévoit pas d’infraction de simple négligence criminelle, la négligence criminelle devant être la cause d’un décès (art. 220) ou de lésions corporelles (art. 221). Bien qu’il ressort clairement de ces faits que rien de ce que l’AI no 1 a fait, ou omis de faire, n’a causé la blessure du plaignant, aucun élément de preuve ne permet de conclure à des motifs raisonnables de croire que les actes de l’AI no 1 seraient visés par l’article 221 et je conclus donc que la preuve ne me donne pas non plus de motifs raisonnables de croire que les actes de l’AI no 1, ou son défaut d’agir, vont à l’encontre des dispositions du Code criminel.
En conclusion, j’estime que la preuve, à la fois en ce qui concerne les actes de l’AI no 2 et le défaut d’agir de l’AI no 1, ne me convainc pas que j’ai des motifs raisonnables de croire que les actes de l’un ou de l’autre des agents constituaient une infraction criminelle, et aucun chef d’accusation ne sera donc porté.
Date : 5 octobre 2018
Tony Loparco
Directeur
UNITÉ DES ENQUÊTES SPÉCIALES
À leur arrivée, l’AT no 1, l’AT no 3 et l’AI no 2 sont montés à l’appartement où la locataire, la TC no 1, a confirmé qu’elle ne voulait pas le plaignant, son ancien petit ami, chez elle et souhaitait que la police le fasse sortir.
Le plaignant, qui était déjà dans le couloir à l’arrivée de la police, a été arrêté pour état d’ivresse dans une aire commune, en contravention au paragraphe 31 (4) de la Loi sur les permis d’alcool, puis transporté au poste de police, où on l’a placé dans une cellule pour la nuit, puis libéré le lendemain matin, une fois sobre. Après sa libération du poste de police, le plaignant est allé à l’hôpital, où il a été constaté qu’il avait une fracture à l’avant-bras. Le plaignant a ensuite déposé une plainte auprès du BDIEP dans laquelle il alléguait que sa blessure avait été causée par un recours excessif à la force par le policier qui avait procédé à son arrestation la nuit en question.
La plainte indique que le 10 octobre 2017, la petite amie du plaignant a appelé la police pour demander qu’on l’expulse de son appartement. Lorsque les policiers sont arrivés sur place, le plaignant leur a dit qu’il s’en allait, mais la police lui a dit de rester où il était pendant qu’ils parlaient à la TC no 1.
Dans sa plainte, le plaignant a indiqué qu’il se souvenait ensuite que l’AT no 1 lui avait saisi les mains pour l’arrêter et avait pris le gramme « d’herbe » qu’il tenait, tout en lui serrant le coude, ce qui lui avait fait mal, car il avait subi une opération aux coudes auparavant. Le plaignant allègue que l’AT no 1 a alors déclaré qu’il résistait à l’arrestation et a commencé à le pousser dans le couloir. Le plaignant est tombé à genou et a commencé à hurler de douleur, parce qu’un autre policier lui a saisi et tordu le bras, tout en lui appuyant le genou dans le dos et en le plaquant au sol. De plus, le plaignant allègue que, lorsque les policiers l’ont plaqué à terre, son bras était tordu et s’est fracturé en heurtant le sol. Il allègue que les policiers ont ensuite continué à exercer une pression sur son bras et ses jambes et à lui cogner la tête par terre, lui causant des entailles au front et au visage. Il s’est alors évanoui et ne se souvient plus être sorti du bâtiment. Il a repris connaissance au poste de police, dans les cellules. Son bras était très enflé et contusionné. Son visage avait des entailles qui saignaient.
Le plaignant a ensuite expliqué en détail qu’il s’était rendu dans un refuge où l’on a fait venir une ambulance qui l’a conduit à l’hôpital. Il a ajouté qu’à l’hôpital, on lui a diagnostiqué une fracture au bras et on lui a dit qu’il avait besoin de points de suture et qu’il avait possiblement une commotion cérébrale. Le plaignant a affirmé avoir déclaré au personnel de l’hôpital que la police l’avait battu.
Le TC no 3, qui a aidé le plaignant à déposer sa plainte auprès du BDIEP, a dit que lorsqu’il a vu le plaignant le matin du 11 octobre 2017, il a remarqué qu’il semblait avoir mal au bras gauche et que son bras et son poignet gauches étaient nettement enflés. Le plaignant lui a dit qu’il avait été arrêté le soir précédent dans l’appartement de sa petite amie alors qu’il était en état d’ébriété et qu’il avait résisté à la police dans le couloir devant l’appartement. Il a ajouté qu’il s’était s’opposé activement à son arrestation et qu’un policier l’avait frappé sur le bras gauche et lui avait cassé le poignet gauche. Le plaignant a également dit au TC no 3 que plusieurs policiers s’étaient empilés sur lui et qu’il s’était évanoui, à la suite de quoi il avait été emmené au poste de police et placé dans une cellule, toujours sans connaissance.
Le plaignant a en outre dit au TC no 3 que, lorsqu’il s’était réveillé le lendemain matin, il avait demandé qu’on le conduise à l’hôpital pour se faire examiner le poignet. Le policier qui l’avait arrêté lui aurait alors dit qu’il devait attendre à l’extérieur du poste de police. Ce même agent lui aurait alors donné une contravention pour ivresse dans un lieu public avant de le libérer. Il a déclaré que le nom de l’agent sur la contravention était « Black » ou « Blake ». [1]
Dans sa déclaration aux enquêteurs de l’UES, le plaignant a dit que le 10 octobre 2017, avant de se rendre au domicile de sa petite amie, il avait eu une bagarre « assez intense » avec un inconnu au centre-ville d’Ottawa, environ une heure avant d’aller chez la TC no 1, mais qu’il n’avait pas été blessé lors de cette altercation.
Le plaignant a déclaré qu’il se trouvait dans le couloir de l’immeuble de la TC no 1 lorsque la police est arrivée. Il a décrit deux agentes de police restant dans le couloir avec lui (selon les trois agents de police présents, ce sont l’AT no 3 et l’AT no 1, un policier et une policière, qui sont restés dans le couloir avec le plaignant) tandis qu’un autre agent (l’AI no 2) est entré dans l’appartement de la TC no 1.
Le plaignant a ensuite décrit l’incident comme suit : alors qu’il avait le dos tourné vers l’ascenseur, une personne s’est approchée de lui par derrière, lui a saisi le poignet gauche et lui a pris le gramme de marijuana qu’il tenait dans la main – il n’a pas pu décrire cette personne. Cette même personne l’a ensuite poussé, ce qui l’a fait trébucher, puis l’AT no 3 et l’AT no 1 lui ont saisi les bras et ont commencé à les tordre. Lorsque le plaignant a refusé de se mettre à terre, un agent, dont il ignore l’identité, lui a donné un coup de pied sur le côté gauche de la cage thoracique. Il est alors tombé à genou, et un inconnu lui a asséné un coup de coude sur le dos de la tête. Sous le coup, il s’est écroulé en avant et s’est cogné le front sur le sol.
Le plaignant a en outre expliqué qu’à ce moment-là, le policier qui était dans l’appartement de la TC no 1 (l’AI no 2) est sorti et s’est agenouillé sur la hanche gauche du plaignant et lui a saisi le poignet gauche, tandis qu’une autre personne était à sa droite et que les deux agentes lui tenaient les pieds. Le policier qui était sorti de l’appartement de la TC no 1 et l’inconnu ont alors commencé à lui tordre et lui plier les bras, et le plaignant a crié que ses bras ne pouvaient pas se plier en raison de chirurgies antérieures. L’inconnu lui a alors asséné un coup de coude sur la tête. Il s’est évanoui et ne se souvient de rien de ce qui précède son réveil dans la cellule.
Après réflexion, le plaignant pensait que c’était l’agent de police qui était entré dans l’appartement de la TC no 1 (l’AI no 2) qui l’avait blessé au poignet/bras.
Malgré les allégations du plaignant selon lesquelles il avait été blessé au poignet/bras dans le couloir de l’immeuble de la TC no 1, les deux ambulanciers paramédicaux qui l’ont examiné dans l’immeuble ont précisé que la seule blessure qu’ils ont constaté sur le plaignant lors de l’évaluation était une petite lacération d’un demi-pouce sur le front, au-dessus de l’œil gauche. Lorsque les ambulanciers lui ont demandé comment il avait été blessé, le plaignant leur a dit qu’il avait eu une querelle avec son voisin.
Une fois la petite blessure au front du plaignant nettoyée et pansée, un des ambulanciers paramédicaux, la TC no 2, a procédé à l’évaluation de son état physique. Les deux ambulanciers se souviennent que le plaignant a dit qu’il souffrait du syndrome du canal carpien et que ses menottes étaient trop serrées. Ils ont remarqué que les deux poignets du plaignant étaient rouges et légèrement enflés ce qui, selon le TC no 4, un deuxième ambulancier paramédical, était empiré par le fait que le plaignant tirait continuellement dans tous les sens sur ses menottes. Selon le TC no 4, les menottes n’étaient pas particulièrement serrées, puisqu’il était possible de glisser un doigt entre les menottes et les poignets du plaignant.
Les deux ambulanciers ont déclaré avoir constamment demandé au plaignant s’il souhaitait aller à l’hôpital, mais que celui-ci avait catégoriquement refusé.
Le TC no 4 a précisé que pendant les quelque 25 minutes durant lesquelles le plaignant était avec eux dans l’ambulance, il s’est seulement plaint de sa petite entaille au front et qu’il ne s’est pas plaint de la conduite de la police.
La TC no 3 a déclaré avoir vu les policiers vérifier les menottes du plaignant au moins trois fois et les desserrer une fois en sa présence, mais le plaignant continuait d’insister qu’on lui retire les menottes, tout en tirant continuellement dessus, provoquant ainsi une rougeur à ses poignets. Lorsque le plaignant leur a dit qu’il avait déjà été opéré aux poignets et qu’il souffrait du syndrome du canal carpien, la TC no 2 lui manipulé les mains, les bras et le poignet pour s’assurer qu’il n’avait pas de problème de circulation. Elle a déclaré que lorsqu’elle a manipulé ses extrémités, le plaignant n’a pas geint sous la douleur ni éprouvé de difficulté à bouger ses mains, qu’il tordait constamment à l’intérieur des menottes.
Hormis la petite lacération au front, la TC no 2 était également d’avis que le plaignant allait bien, sa seule plainte étant que les menottes étaient trop serrées. À aucun moment, le plaignant ne s’est plaint, en présence de la TC no 2, d’une inconduite quelconque de la part de la police.
Pour tenter de déterminer quand et comment le plaignant a été blessé, en me fondant non seulement sur le témoignage des ambulanciers paramédicaux, mais aussi sur le fait que le plaignant se faisait mal aux poignets en les tortillant constamment dans les menottes, ce qui, s’il avait déjà une fracture au poignet ou à l’avant-bras à ce moment-là, lui aurait sans aucun doute causé une douleur insupportable, et le fait qu’il n’a absolument pas mentionné une blessure au poignet, son seul souci à ce moment-là étant la petite entaille au front et les menottes trop serrées, je dois en déduire que le plaignant n’était pas encore blessé quand il a été vu par les ambulanciers ou qu’il était tellement ivre qu’il ne ressentait pas la douleur de sa blessure. [2]
Si ce deuxième scénario est exact, il est possible que le plaignant ait été blessé à n’importe quel moment avant d’être vu par les ambulanciers paramédicaux, y compris lors d’une bagarre « assez intense » avec un inconnu au centre-ville d’Ottawa, avant son arrivée au domicile de la TC no 1.
Au poste de police, d’après la vidéo de la salle d’enregistrement, le plaignant s’est constamment plaint d’avoir mal, mais il attribuait cette douleur aux menottes qu’il a demandait qu’on desserre. L’agent de l’enregistrement l’a rassuré en lui expliquant qu’on lui enlèverait bientôt les menottes, dès qu’on l’aurait fouillé. On entend plaignant se plaindre d’une voix forte que la policière lui tirait le bras, que son poignet lui faisait mal, qu’il avait un « canal carpien » et que la policière lui tirait les poignets. Il est clair que les agents ne prenaient pas au sérieux les plaintes du plaignant à ce moment-là, probablement parce que sa principale plainte semblait être que les menottes étaient trop serrées et qu’on les avait vérifiées maintes fois en constatant qu’elles étaient suffisamment lâches.
Le plaignant s’affaisse ensuite lentement par terre, après quoi on le voir saisir son poignet gauche et déclarer : [traduction] « Vous venez de me disloquer le poignet ». Il est impossible de déterminer si la blessure est réellement survenue à ce moment-là ou si le plaignant, dont les sens sont alors moins neutralisés par l’alcool que précédemment, ressent seulement maintenant la douleur d’une blessure antérieure. Le plaignant répète à nouveau que quelqu’un a [traduction] « disloqué mon putain de poignet! »
L’agent de l’enregistrement dit alors au plaignant de retirer l’anneau de sa main gauche et, comme celui-ci ne semble pas le faire, l’agent lui saisit la main gauche pour retirer lui-même l’anneau. À ce moment-là, le plaignant commence vraiment à se plaindre de douleur et s’écroule de nouveau par terre, se tordant sur le sol en déclarant [traduction] : « Merde, mon bras! Je veux un docteur! Je veux un docteur! »
Malheureusement, à cause de toutes ses jérémiades précédentes concernant les menottes trop serrées, aucun des agents présents ne semble prendre sa plainte au sérieux. On le fait sortir de l’aire d’enregistrement pour le placer dans une cellule. Tout au long, il se tient le poignet gauche de la main droite.
Dans le dossier médical du plaignant, le médecin a noté que le plaignant a fourni la version suivante des événements : [traduction]
Le patient a déclaré qu’on l’a allongé par terre, les deux bras dans le dos, ce qui lui tordait les deux épaules. Il a déclaré qu’il avait ressenti une douleur résultant (d’un certain type?) d’un coup direct sur la face ulnaire de son avant-bras gauche, mais il n’avait pas pu voir ce qui l’avait frappé.
En outre, le rapport médical décrit la blessure subie par le plaignant comme suit : [traduction]
Les radiographies prises au service de l’urgence ont révélé un schéma de fracture et une zone de fragmentation cohérents avec une configuration classique de fracture par matraque.
J’ai effectué des recherches sur plusieurs sites Web médicaux fiables et confirmé que le médecin faisait référence à une fracture du type suivant :
Fracture isolée de la diaphyse cubitale, typiquement transversale, vers le milieu de la diaphyse et résultant généralement d’un coup direct. Il s’agit d’une fracture caractéristique qu’on subit en tentant de parer les coups portés par un assaillant (ou un membre des forces de l’ordre) avec une arme en forme de bâton. … Historiquement, cette fracture (« nightstick fracture en anglais) a souvent été vue à la suite d’une frappe de matraque d’un policier. (https://radiopaedia.org/articles/nightstick-fracture).
En fin de compte, même si la version des faits fournie par le plaignant dans sa plainte au BDIEP diffère de celle qu’il a donnée aux enquêteurs de l’UES (dans laquelle il alléguait que l’AI no 2 avait causé la fracture dans le couloir à l’extérieur de l’appartement de la TC no 1), dans la vidéo du poste de police, le plaignant affirme qu’il a subi sa fracture dans la salle d’enregistrement du poste de police.
Selon les agents qui ont participé à l’arrestation du plaignant, ils sont arrivés à l’immeuble de la TC no 1 et l’AT no 3, l’AT no 1 et l’AI no 2 sont montés au cinquième étage où ils ont trouvé le plaignant dans le couloir, alors qu’il sortait de l’appartement en tenant son vélo. L’AT no 2 n’est montée au cinquième étage qu’une fois le plaignant arrêté et menotté et n’a joué aucun rôle dans l’arrestation.
L’AI no 2 est ensuite entré dans l’appartement pour parler à la TC no 1, tandis que l’AT no 3 et l’AT no 1 sont restés dans le couloir avec le plaignant.
Dans le couloir, le plaignant s’est énervé et a pleuré, disant à la police de le conduire en prison. L’AT no 1 a déclaré que l’haleine du plaignant dégageait une odeur d’alcool et qu’il avait admis avoir consommé une bonne quantité d’alcool dans l’après-midi.
L’AT no 3 a tenté de parler au plaignant pour savoir ce qui s’était passé, mais le plaignant a commencé à s’éloigner, ignorant les ordres de ne pas bouger. L’AT no 3 a alors placé sa main gauche sur l’avant-bras et le triceps droits du plaignant. Le plaignant a réagi en repoussant l’AT no 3, à la suite de quoi l’AT no 3 s’est rapidement servi de sa hanche gauche pour faire trébucher le plaignant et le mettre à terre. Le plaignant a atterri à plat ventre dans le couloir et a commencé à donner des coups de pied et à crier.
L’AT no 3 a ensuite tenté de menotter le plaignant, pendant que l’AT no 1 lui tenait les jambes. Le plaignant, cependant, a glissé ses mains sous son ventre, refusant d’obéir aux ordres de l’AT no 3 de tendre les mains.
L’AI no 2 a déclaré qu’alors qu’il était dans l’appartement de la TC no 1, il a entendu une commotion dans le couloir; il est sorti et voyant le plaignant se débattre au sol pour résister à l’AT no 3 et l’AT no 1, il est venu les aider. L’AI no 2 a ajouté que, malgré ses 190 lb et le fait que le plaignant était de bien plus petite taille que lui, le plaignant est parvenu à le soulever à deux reprises au cours de la lutte lorsqu’il était sur son dos.
L’AT no 3 est ensuite parvenu à immobiliser le bras gauche du plaignant et l’AI no 2, le bras droit, et le plaignant a été menotté dans le dos. Les policiers l’ont alors relevé et l’ont fait s’assoir et ont constaté qu’il saignait d’une entaille sur le front. Ils ont donc appelé une ambulance. L’AT no 1 a ensuite arrêté le plaignant pour ivresse dans une aire commune.
Selon les trois agents de police présents, personne n’a donné un coup de pied, frappé ou donné un coup de genou au plaignant, ni ne lui a tordu le bras et n’a eu recours à quelque force que ce soit, y compris avec une matraque. De plus, aucun agent n’a mentionné la présence de personnes inconnues qui seraient intervenues, les trois seules personnes ayant participé à l’arrestation et au menottage du plaignant étant l’AT no 3, l’AT no 1 et l’AI no 2.
Je pense qu’il serait superflu d’énumérer ici les nombreuses incohérences et affirmations manifestement inexactes des diverses déclarations du plaignant, et j’estime suffisant de mentionner au moins les incohérences et inexactitudes les plus importantes, à savoir :
1. L’affirmation du plaignant selon laquelle il s’est évanoui lorsque les agents de police se sont empilés sur lui dans le couloir et qu’il est resté sans connaissance par la suite pendant qu’on le transportait jusqu’au poste de police et le plaçait dans une cellule;
2. L’affirmation du plaignant selon laquelle il avait eu besoin de points de suture à l’hôpital et aurait eu une possiblement une commotion cérébrale; et
3. Les différentes versions données par le plaignant pour expliquer comment il a été blessé.
Le plaignant a affirmé qu’il était sans connaissance à partir du moment où il était dans le couloir du cinquième étage, ce qui signifie qu’il ne se souvient pas avoir été conduit au poste de police, avoir été examiné par les ambulanciers, avoir été enregistré au poste, ni être tombé par terre dans la salle d’enregistrement où il affirme avoir subi sa blessure au poignet/au bras. Toutefois, le témoignage indépendant des deux ambulanciers et la preuve incontestable de la vidéo du poste montrent clairement que le plaignant était conscient du début à la fin. Par conséquent, je déduis de son affirmation d’avoir été sans connaissance qu’il ne se souvient simplement pas de cette période assez prolongée, probablement à cause de son état d’ébriété, ou bien qu’il ment délibérément.
En ce qui concerne l’affirmation du plaignant selon laquelle, à l’hôpital, on lui a dit qu’en plus de sa fracture à l’avant-bras, il avait besoin de points de suture et qu’il avait possiblement une commotion cérébrale, je note que les dossiers de l’hôpital ne mentionnent pas de points de sutures ni de possibilité de commotion cérébrale.
Dans les diverses déclarations du plaignant et dans sa plainte au BDIEP, il a donné les versions suivantes de l’origine de sa blessure :
- Dans la plainte au BDIEP, le plaignant a allégué que, lorsque les policiers l’ont plaqué à terre, son bras s’est tordu et fracturé en heurtant le sol.
- Lorsqu’il a décrit les événements au TC no 3, il a dit qu’il s’était opposé activement à son arrestation et qu’un policier avait alors frappé son bras gauche de la main et lui avait cassé le poignet gauche.
- Dans sa déclaration aux enquêteurs de l’UES, il a dit que l’AI no 2 est sorti, s’est agenouillé sur sa hanche gauche et lui a saisi le poignet gauche, tandis qu’un inconnu était à sa droite. L’agent qui est sorti de l’appartement la TC no 1 et l’inconnu ont alors commencé à lui tordre et lui plier les bras;
- Selon sa déclaration enregistrée sur la vidéo du poste, il croyait que le TEP no 1 ou l’AI no 1 venait juste de lui « disloquer le poignet »;
- Dans sa déclaration au personnel médical, il a attribué sa blessure au fait qu’on lui avait tiré les deux bras dans le dos pendant qu’il était allongé sur le dos et que cela lui avait tordu les deux épaules. Il a déclaré qu’il avait ressenti une douleur depuis quelque temps (d’un certain type?) à la suite d’un coup direct sur la face ulnaire de son avant-bras gauche, mais qu’il n’a pas pu voir ce qui l’a frappé. (D’après le langage utilisé pour décrire la blessure, j’en conclus qu’il ne s’agit pas des propres mots du plaignant).
Compte tenu de la blessure subie par le plaignant, à savoir une configuration classique de fracture de défense à un coup de matraque, il apparaît clairement qu’aucune des quatre premières versions des événements fournies par le plaignant, telles qu’énumérées ci-dessus, n’est compatible avec la nature de la blessure, ni avec la possibilité qu’il se soit fracturé le bras en heurtant le sol, ou quand on l’a frappé, ou encore quand on lui a tordu ou plié le bras, ou même quand on l’a tiré, comme le montre la vidéo du poste.
Le seul scénario compatible avec la blessure subie, telle que définie, semble être celui attribué au plaignant dans son dossier médical. Cependant, comme je l’ai mentionné ci-dessus, j’ai des doutes quant à savoir s’il s’agit vraiment de la version fournie par le plaignant ou plutôt d’une version envisagée par le médecin, puisque c’est la seule fois où le plaignant a prétendu avoir été frappé avec un objet. Je note en outre qu’il s’agit d’une allégation qu’il n’a pas répétée dans son entretien ultérieur avec les enquêteurs de l’UES, et qu’il n’a jamais mentionné, dans aucune de ses versions, qu’il pensait avoir été frappé avec un objet. Plus précisément, je remarque que le plaignant était d’avis que son poignet avait été disloqué et non qu’il avait subi une fracture au milieu de l’avant-bras lorsque quelqu’un l’avait frappé avec un bâton ou une matraque.
Même si cette dernière version est correcte, selon les dossiers médicaux, le plaignant n’a pas vu qui l’a frappé ni avec quoi il a été frappé, me laissant ainsi toujours sans preuve suffisante pour déterminer si un acte criminel a été commis ou non, et, si j’avais des motifs raisonnables de répondre par l’affirmative, par qui il aurait été commis.
Étant donné les cinq versions différentes fournies par le plaignant quant à l’origine de la fracture de son ulna, je dois toutefois conclure que le plaignant, probablement en raison de son état d’intoxication, ignorait qui avait causé sa blessure et comment cela s’était produit.
En conclusion, compte tenu du manque de fiabilité des différentes versions des événements présentées par le plaignant, j’estime qu’il serait dangereux de s’appuyer de quelque manière que ce soit sur son témoignage pour former des motifs raisonnables de croire qu’une infraction criminelle a été commise en l’espèce.
D’après ce dossier, je conclus qu’il n’y a aucune preuve fiable que l’un ou l’autre des agents de police qui sont intervenus dans l’arrestation du plaignant ait employé une force excessive, ni aucune preuve fiable indiquant que la blessure du plaignant résultait des actes d’un agent de police. Par conséquent, rien ne me permet de croire qu’un agent de police ait agi en dehors des limites autorisées par le droit criminel, et aucune accusation ne sera portée.
En ce qui concerne la culpabilité possible du sergent chargé de l’enregistrement, l’AI no 1, qui n’a pas immédiatement demandé des soins médicaux pour le plaignant lorsque celui-ci a affirmé que l’agent de l’enregistrement ou l’AT no 1 venait de lui disloquer le poignet, il est clair qu’en tant que sergent chargé de l’enregistrement, il était responsable du poste et se devait d’assurer la sécurité de toutes les personnes présentes et d’obtenir une assistance médicale pour celles qui pourraient en avoir besoin.
Le seul chef d’accusation au criminel fondé sur ces faits serait un délit de négligence criminelle, en contravention de l’article 219 du Code criminel. Il ne fait aucun doute que la blessure grave subie par le plaignant n’était nullement imputable aux actes ou au défaut d’agir de l’AI no 1. La seule question à trancher était de savoir si l’AI no 1 a manqué à son devoir envers le plaignant lorsqu’il ne s’est pas rendu compte que le plaignant avait, à un moment donné, subi une blessure, et que l’AI no 1 n’a donc pas pris les dispositions nécessaires pour que le plaignant reçoive des soins médicaux. Plus précisément, la question est de savoir si l’AI no 1 a omis de remplir une obligation à laquelle il était tenu et a ainsi fait preuve d’une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité du plaignant (art. 219 du Code criminel : définition de la négligence criminelle).
De nombreux arrêts de tribunaux supérieurs définissent les conditions requises pour prouver le délit de négligence criminelle. Même si la plupart portent sur des infractions liées à la conduite d’un véhicule, les tribunaux ont clairement indiqué que les mêmes principes s’appliquent aussi à d’autres comportements. Pour trouver des motifs raisonnables de croire que l’AI no 1 a commis l’infraction de négligence criminelle, il faudrait d’abord avoir des motifs raisonnables de croire qu’il avait à l’égard du plaignant une obligation qu’il a omis d’exercer, et que cette omission, conformément au jugement de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. J.F., [2008] 3 R.C.S. 215, constituait un « écart marqué et important par rapport à la conduite d’une personne raisonnablement prudente » dans des circonstances où l’AI no 1 avait « conscience d’un risque grave et évident pour la vie » du plaignant ou n’avait accordé aucune attention à ce risque.
Je note à ce propos que l’AI no 1 avait été informé que le plaignant se plaignait constamment et avec insistance que ses menottes étaient trop serrées, une affirmation vérifiée à maintes reprises et jugée sans fondement. De plus, on avait avisé l’AI no 1 que le plaignant avait déjà été examiné par des ambulanciers paramédicaux qui avaient conclu à l’absence de problèmes médicaux. Il est clair que l’AI no 1 pouvait s’appuyer sur ces renseignements pour déterminer si le plaignant avait besoin ou non de soins médicaux supplémentaires.
Compte tenu de ces faits, j’admets que l’AI no 1 n’a sans doute pas réalisé que le plaignant avait subi une blessure, pas plus d’ailleurs que les deux ambulanciers paramédicaux, qui, contrairement à l’AI no 1, étaient formés à examiner et évaluer les blessures, ni tous les autres agents de police qui ont eu affaire au plaignant. Malheureusement, comme le plaignant s’était plaint bruyamment et avec insistance que ses menottes étaient trop serrées, et puisque cette plainte avait été examinée et réfutée à plusieurs reprises, les personnes qui ont eu affaire au plaignant ont fini par ignorer ses plaintes, les jugeant peu fiables et visant seulement à envenimer la situation.
En outre, le Code criminel ne prévoit pas d’infraction de simple négligence criminelle, la négligence criminelle devant être la cause d’un décès (art. 220) ou de lésions corporelles (art. 221). Bien qu’il ressort clairement de ces faits que rien de ce que l’AI no 1 a fait, ou omis de faire, n’a causé la blessure du plaignant, aucun élément de preuve ne permet de conclure à des motifs raisonnables de croire que les actes de l’AI no 1 seraient visés par l’article 221 et je conclus donc que la preuve ne me donne pas non plus de motifs raisonnables de croire que les actes de l’AI no 1, ou son défaut d’agir, vont à l’encontre des dispositions du Code criminel.
En conclusion, j’estime que la preuve, à la fois en ce qui concerne les actes de l’AI no 2 et le défaut d’agir de l’AI no 1, ne me convainc pas que j’ai des motifs raisonnables de croire que les actes de l’un ou de l’autre des agents constituaient une infraction criminelle, et aucun chef d’accusation ne sera donc porté.
Date : 5 octobre 2018
Tony Loparco
Directeur
UNITÉ DES ENQUÊTES SPÉCIALES
Notes
- 1) Aucun agent ainsi nommé n'a eu de contact avec le plaignant le 10 octobre 2017. [Retour au texte]
- 2) qui ont été incapables de trouver une blessure quelconque au bras ou au poignet du plaignant. [Retour au texte]
Note:
La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.