Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-OCI-281

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave (y compris une allégation d’agression sexuelle).

On doit englober dans les «â€‰blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de «â€‰blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.
Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la blessure grave présumément subie par un homme de 50 ans lors de son arrestation le 29 septembre 2017.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 29 septembre 2017, vers 20 h 45, le Service de police régional de Niagara (SPRN) a informé l’UES de la blessure sous garde du plaignant.
Le SPRN donné le rapport suivant : le 29 septembre 2017, vers 14 h 45, des membres de la Brigade provinciale de recherche des fugitifs (BREF) se sont rendus à une résidence, dans la ville de Niagara Falls, afin de procéder à l’arrestation du plaignant pour violation des conditions de sa libération conditionnelle et accusations de violence familiale.
Les policiers ont trouvé le plaignant dans l’appartement, et ce dernier a résisté lorsqu’ils ont voulu procéder à son arrestation. Le plaignant a été amené par la suite à l’hôpital où on lui a diagnostiqué une fracture déplacée de côtes.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4 

Plaignant :

Homme de 50 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés

Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue
TC no 2 A participé à une entrevue

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AT no 2 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AT no 3 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AT no 4 Notes reçues et examinées; entrevue jugée non nécessaire

(L’AT no 4 n’a pas été interrogé parce qu’il n’était pas présent lors de l’arrestation du plaignant)

Agents impliqués

AI no 1 A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué
AI no 2 N’a pas consenti à participer à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué


Description de l’incident

Le 29 septembre 2017, à 3 h 30 du matin, des agents de police du SPRN se sont rendus à une résidence de la ville de Niagara Falls en réponse à un appel pour incident domestique. Une résidente de l’appartement s’est plainte à eux d’avoir été agressée et menacée par le plaignant. Les agents ont constaté les blessures de cette femme, qui leur a dit que le plaignant était reparti à moto.

Après avoir obtenu l’adresse du plaignant, les agents se sont rendus chez lui à 4 heures du matin. Il n’y avait pas de réponse à l’adresse en question et la moto du plaignant n’était pas dans le stationnement. L’unité de lutte contre la violence familiale (UVF) du SPRN a été informée de l’incident et a pris la relève de l’enquête.

L’UVF a établi que le plaignant était en libération conditionnelle. Sa libération conditionnelle devait expirer en juin 2018. En conséquence, l’UVF a demandé et obtenu un mandat d’arrestation contre le plaignant pour violation de sa libération conditionnelle (conformément au protocole d’entente conclu dans le cadre de l’initiative BREF).
L’affaire a été renvoyée à la brigade BREF, qui a été chargée d’arrêter le plaignant. Les agents de police membres de la BREF étaient des policiers détachés de la Police provinciale de l’Ontario (Police provinciale), du SPRN, du Service de police régional de Halton (SPRH), du Service de police régional de Waterloo (SPRW) et du Service de police de Toronto (SPT).

Le 29 septembre 2017, peu après 9 h du matin, la brigade BREF s’est rendue à l’adresse du plaignant dans le but de l’arrêter pour violation des conditions de sa libération conditionnelle et pour violence familiale. N’obtenant aucune réponse au domicile du plaignant, la brigade BREF a mis en place une surveillance dans le secteur dans l’espoir de l’arrêter à son retour. Au cours de la surveillance, la moto du plaignant a été découverte garée dans l’allée d’une maison voisine. Les policiers ont demandé aux résidents de cette maison où se trouvait le plaignant, mais personne n’a pu les renseigner. 

Poursuivant leur enquête, les membres de la brigade BREF sont allés à un autre appartement de l’immeuble du plaignant qu’on leur avait signalé et dont on savait que la locataire était hospitalisée.

Après avoir demandé et obtenu l’autorisation de rechercher le plaignant dans cet appartement, les membres de la brigade BREF sont entrés. Au moment d’ouvrir la porte d’une des chambres à coucher de l’appartement, ils se sont heurtés à une résistance. Sous leur poussée, les gonds de la porte se sont brisés.

Les membres de la brigade sont parvenus à entrer de force dans la chambre et y ont découvert le plaignant qui s’y cachait. Une lutte s’est ensuivie entre le plaignant et les membres de la brigade, et le plaignant a été plaqué à terre, entraînant dans sa chute l’AI no 2, qui a atterri sur le dos du plaignant. 

Le plaignant refusait de tendre les mains aux policiers pour qu’ils le menottent. Il tenait aussi un objet noir dans une main. Les membres de la brigade BREF ont ensuite asséné un certain nombre de coups de distraction au plaignant pour le forcer à se rendre et à présenter ses mains en lâchant ce qu’il tenait. Le plaignant a finalement été arrêté et menotté. Lorsque les agents ont relevé le plaignant, ils ont découvert par terre, sous lui ou juste à côté, un couteau à steak noir et un téléphone cellulaire.

Comme le plaignant se plaignait alors d’avoir mal sur le côté du torse, on l’a transporté à l’hôpital.

Nature des blessures et traitement

Le plaignant a été examiné à l’hôpital et soigné pour des fractures non déplacées de la partie postérieure de la 11e et de la 12e côte, sur le côté droit. Les fractures étaient à environ 2 cm de sa colonne vertébrale.

Éléments de preuve

Les lieux

L’incident s’est déroulé dans une chambre à coucher, à l’arrière de l’appartement. Un enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES a photographié les lieux.

L’incident s’est déroulé dans une chambre à coucher, à l’arrière de l’appartement. Un enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES a photographié les lieux.

Éléments de preuves médicolégaux

Aucun élément n’a été soumis au Centre des sciences judiciaires.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies

Comme l’incident a eu lieu dans un logement privé, aucun enregistrement audio ou vidéo n’a pu être localisé.

Éléments obtenus auprès du Service de police

L’UES a demandé les documents suivants au SPRH, au SPRN, au SPRW, au SPT et à la Police provinciale, qu’elle a obtenus et examinés :

  • Rapport initial;
  • Protocole d’entente de l’initiative BREF;
  • Notes des AT no 1 à 4;
  • Dossiers de formation en surveillance et en intervention tactique de l’AI no 1, de l’AI no 2 et de l’AT no 3;
  • Dossier de formation sur le recours à la force de l’AI no 2;
  • Procédure du SPRN – Utilisation de la force;
  • Procédure du SPT – Utilisation de la force;
  • Résumés des poursuites (x2); 
  • Rapport supplémentaire sur la demande d’un mandat.

Sur demande, l’UES a obtenu et examiné les éléments et documents suivants d’autres sources :

  • Dossiers médicaux du plaignant liés à cet incident.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel -- Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :
a) soit à titre de particulier
b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
d) soit en raison de ses fonctions

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Paragraphe 135 (1) -- Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition - Suspension de la libération conditionnelle ou d'office

135 (1) En cas d’inobservation des conditions de la libération conditionnelle ou d’office ou lorsqu’il est convaincu qu’il est raisonnable et nécessaire de prendre cette mesure pour empêcher la violation de ces conditions ou pour protéger la société, un membre de la Commission ou la personne que le président ou le commissaire désigne nommément ou par indication de son poste peut, par mandat :
a) suspendre la libération conditionnelle ou d’office;
b) autoriser l’arrestation du délinquant;
c) ordonner la réincarcération du délinquant jusqu’à ce que la suspension soit annulée ou que la libération soit révoquée ou qu’il y soit mis fin, ou encore jusqu’à l’expiration légale de la peine.

Analyse et décision du directeur

La Brigade provinciale de recherche des fugitifs (BREF) est une unité chargée exclusivement d’appréhender et d’arrêter des personnes qui purgent une partie de leur peine en libération conditionnelle dans la collectivité et qui ont violé des conditions de leur libération, y compris celles liées à de nouvelles infractions criminelles.

Le 29 septembre 2017, les membres de la brigade ont été informés que le plaignant, qui était en liberté conditionnelle, était recherché pour avoir commis des actes de violence conjugale et pour avoir enfreint les conditions de sa mise en liberté. Ils se sont donc lancés à sa recherche pour le retrouver et l’arrêter pour ces violations et infractions.

Après son arrestation, le plaignant a été transporté à l’hôpital où un examen a révélé qu’il avait subi deux fractures non déplacées à la partie postérieure de la 11e et de la 12e côte, sur le côté droit de sa cage thoracique. Ces fractures étaient à environ 2 cm de sa colonne vertébrale. Lorsqu’une tomodensitométrie a révélé des signes de deux anciennes fractures à la partie postérieure des 11e et 12e côtes du patient, sans indice de croissance ou de cicatrisation, les experts médicaux ont conclu que les fractures s’étaient produites entre le jour de la prise des images, soit le 29 septembre, et plusieurs semaines auparavant.

Il est allégué que les deux fractures aux côtes subies par le plaignant ont été causées par le recours excessif à la force par les policiers qui l’ont arrêté.

Au cours de l’enquête, en plus du plaignant, un témoin civil a été interrogé. Bien que ce témoin n’ait pas vu l’arrestation proprement dite du plaignant, il a été en mesure de fournir des éléments de preuve concernant les événements précédant l’arrestation. En outre, quatre agents de police témoins et l’un des agents impliqués, l’AI no 1, ont répondu aux questions des enquêteurs. Le deuxième agent impliqué, l’AI no 2, a refusé de se soumettre à une entrevue, ce qui est son droit. Malheureusement, il n’existe aucune preuve matérielle, sous forme d’enregistrement audio ou vidéo, susceptible de confirmer exactement ce qui s’est passé lors de l’arrestation du plaignant.

À l’exception des gestes des policiers durant l’arrestation proprement dite du plaignant, il fait peu de doute que les faits qui ont conduit à cette arrestation sont les suivants :

Le 29 septembre 2017, l’AI no 1 a appris que le plaignant était recherché pour avoir agressé une ancienne amie et violé les conditions de sa libération conditionnelle. L’AI no 1 avait déjà eu affaire au plaignant lors d’un incident antérieur, au cours duquel le plaignant avait tenté d’échapper à la police en s’enfuyant par la porte arrière d’une résidence.

Ayant été informés des mandats d’arrestation dont le plaignant faisait l’objet, les membres de la BREF ont tenté de le repérer, notamment en demandant à son fournisseur de téléphone cellulaire de les aider à le trouver d’après l’utilisation de son téléphone cellulaire.

Une fois munis de l’adresse du plaignant, les policiers s’y sont rendus pour mettre en place une surveillance afin de localiser et d’appréhender le plaignant. Le fournisseur de téléphone cellulaire a confirmé que le téléphone cellulaire du plaignant était aux environs de son domicile à ce moment-là. Les policiers sont arrivés devant la résidence du plaignant vers 9 heures du matin. Ils ont d’abord vérifié son appartement. N’y trouvant pas le plaignant, ils ont mis en place un périmètre de sécurité dans le secteur en attendant son retour.

Poursuivant leurs investigations, les policiers ont appris que le plaignant avait fait un appel téléphonique depuis le poste fixe d’un appartement situé dans un immeuble voisin. Après avoir parlé au propriétaire, le TC no 1, les policiers ont appris qu’il s’agissait de l’appartement de la mère du TC no 1, qui était à l’hôpital à ce moment-là. Le TC no 1 a escorté les policiers jusqu’à l’appartement de sa mère, leur a ouvert la porte et leur a donné l’autorisation d’entrer pour rechercher le plaignant.

Dans sa déclaration aux enquêteurs, le plaignant a admis volontiers qu’il avait vu les policiers dans le secteur et que, présumant qu’ils le recherchaient, il s’était activement caché.

Le plaignant a entendu des bruits de pas à l’extérieur de l’appartement où il s’était caché, puis entendu une clé utilisée pour ouvrir la porte, suivie de voix. Le plaignant est allé dans une chambre à l’arrière de l’appartement et s’est caché derrière la porte de la chambre.

Le plaignant a affirmé que les policiers ne se sont pas annoncés quand ils sont entrés dans l’appartement et qu’ils n’ont pas appelé son nom. Par contre, les agents concernés ont dit que, dès qu’ils sont entrés, l’AI no 1 a crié à plusieurs reprises, sans obtenir de réponse : [traduction] (prénom du Plaignant), c’est la brigade BREF; sors, tu es en état d’arrestation ».

Cette partie du témoignage des policiers est au moins partiellement confirmé par le TC no 1, qui était à l’extérieur de l’appartement à ce moment-là et a entendu des policiers dire [traduction] : « Avance les mains en l’air! ». Par conséquent, en me fondant sur le témoignage du TC no 1, j’accepte le fait que la police a fait une sorte d’annonce en entrant, mais cela n’a de toute façon pas grande importance puisque le plaignant a admis ouvertement qu’il savait que ces hommes étaient des policiers et qu’ils étaient là pour l’arrêter.

Le plaignant allègue ce qui suit : alors qu’il se cachait, le dos contre le mur, derrière la porte légèrement entrouverte de la chambre arrière, les policiers ont enfoncé la porte, qui est sortie de ses gonds et l’a cogné à l’épaule gauche. Sous le coup, le plaignant a pivoté sur lui-même. Quelqu’un l’a alors saisi par le poignet droit et il a senti quelque chose le frapper à la tête, au-dessus de l’œil gauche. Cette description des faits est au moins partiellement confirmée par les observations des agents de police qui ont noté que le plaignant avait une petite entaille au-dessus de l’œil gauche lorsqu’ils l’ont fait sortir de la chambre à coucher.

Le plaignant a dit qu’il pensait avoir été blessé à l’œil gauche lorsque les policiers l’ont plaqué au sol, mais qu’il ne pouvait pas voir lequel ou lesquels des agents l’avaient plaqué au sol. Le plaignant a ajouté qu’il ne pouvait plus respirer et qu’il hurlait. Il ne souvenait pas comment il avait atterri par terre parce qu’il s’était évanoui. Le plaignant allègue en outre qu’une fois sur le sol, des policiers l’ont tabassé; toutefois, il n’a pas pu identifier quel agent l’avait frappé ni s’il avait reçu un coup de poing ou de pied.

Le plaignant a dit qu’il ne se souvenait pas du nombre de policiers présents dans la pièce et qu’il ne pouvait en décrire aucun. Il ne se souvenait pas qu’on lui ait dit pourquoi on l’arrêtait, ni pourquoi la police le recherchait. Il ne se souvenait pas non plus que les policiers l’avaient menotté et l’avaient aidé à se relever. Le plaignant a affirmé n’avoir résisté à aucun moment aux policiers.

Le TC no 1, qui se trouvait à l’extérieur de l’appartement, n’a pu aider les enquêteurs que dans la mesure où il a dit penser avoir entendu le bruit d’une porte qu’on enfonçait, mais n’avoir jamais entendu le moindre bruit de bagarre dans l’appartement.

L’AI no 1, l’AI no 2, l’AT no 2 et l’AT no 1, après avoir fouillé en vain le reste de l’appartement, se sont ensuite dirigés dans le couloir vers la chambre à coucher. L’AI no 1 était en tête, suivi de l’AI no 2 et de l’AT no 2, puis plus loin, de l’AT no 1. L’AI no 1 a ouvert la porte et commençait à avancer, lorsque la porte a été repoussée de l’intérieur de la pièce. L’AI no 1 a déclaré qu’il avait réagi en poussant sur la porte pour l’ouvrir de force, tout en criant : [traduction] « Police, vous êtes en état d’arrestation ». L’AI no 1 a ajouté que le plaignant se cachait derrière la porte, le dos au mur et essayant de maintenir la porte fermée. Ce témoignage semble concorder avec la propre déclaration du plaignant et même être confirmé par celle-ci.

Selon l’AI no 1, l’AI no 2 a réussi à entrer dans la pièce juste avant lui et a saisi le plaignant par le côté droit, tandis que le plaignant continuait de pousser contre la porte. L’AI no 1 a ensuite saisi l’épaule gauche du plaignant en lui criant qu’il était en état d’arrestation et lui ordonnant de se mettre à terre. Comme le plaignant résistait, l’AI no 1 et l’AI no 2 l’ont tiré et l’ont forcé à s’allonger à plat ventre.

L’AT no 1 a indiqué qu’il était un peu arrière par rapport aux trois autres policiers lorsqu’ils se sont rendus dans le couloir, parce qu’il s’était arrêté pour parler au TC no 1. Lorsqu’il s’est approché de la porte de la chambre, il a entendu les trois autres policiers crier, puis immédiatement après, le bruit d’une bagarre. Il a constaté que la porte était ouverte. Une fois sur le seuil de la porte, il a vu l’AI no 1, l’AI no 2 et l’AT no 2 lutter avec le plaignant, lequel est ensuite tombé par terre, entraînant l’AI no 2 dans sa chute.

L’AI no 1 a expliqué qu’il a tiré le plaignant pour le faire sortir de derrière la porte et l’a mis à terre. Il a précisé que lorsque le plaignant est tombé, l’AI no 2 a perdu l’équilibre et est lui-même tombé, atterrissant sur le côté droit du dos du plaignant. Ce témoignage semble compatible avec les blessures subies par le plaignant, décrites dans le rapport d’imagerie diagnostique comme étant de nouvelles fractures non déplacées du haut de la partie postérieure droite de la 11e et de la 12e côte, ce qui semblerait correspondre aux blessures causées par une personne qui atterrit sur le côté droit du dos du plaignant, comme l’a décrit l’AI no 2.

À ce moment-là, l’AI no 1 était près de la tête du plaignant, l’AI no 2 s’est placé sur sa droite et l’AT no 2, qui venait d’entrer dans la chambre, s’est dirigé vers le côté gauche du plaignant. L’AI no 1 a remarqué que le plaignant tenait un objet de couleur sombre dans la main gauche lorsqu’il a été plaqué à terre et qu’il a ensuite glissé cet objet de la main gauche sous son corps. L’AI no 1 a alors crié pour avertir ses collègues que le plaignant dissimulait quelque chose dans sa main gauche.

Pendant que l’AT no 2 essayait en vain de forcer le plaignant à dégager sa main gauche et à se laisser menotter, l’AI no 1 a vu l’AI no 2 asséner deux coups de poing au côté droit du corps du plaignant, sans parvenir à un résultat, le plaignant refusant toujours de sortir son bras gauche de sous son corps. L’AI no 1 a donc donné trois à quatre coups de poing à l’épaule gauche du plaignant. L’AI no 1 a déclaré qu’il n’avait employé aucune autre option de recours à la force et qu’il n’avait frappé le plaignant qu’à l’épaule gauche.

L’AI no 1 a ajouté que lui-même et les trois autres policiers criaient au plaignant d’arrêter de se débattre et qu’il a saisi les jambes du plaignant, qui essayait de se mettre à genoux pour se relever.

Dans sa déclaration, l’AT no 2 a dit qu’il avait, lui aussi, infligé trois ou quatre coups de poing au côté gauche du plaignant lorsque celui-ci refusait de dégager son bras et parce qu’il craignait que le plaignant tienne une arme dans la main gauche. L’AT no 2 a ajouté qu’il avait frappé le plaignant à la hauteur des reins et qu’à son avis, ce sont ces coups qui ont finalement amené le plaignant à libérer son bras gauche, ce qui a permis de le menotter.

L’AI no 2 est alors parvenu à placer une menotte au poignet droit du plaignant, tandis que l’AI no 2 et l’AT no 2 lui saisissaient le bras gauche pour le dégager de sous son corps.

Les policiers ont ensuite retourné le plaignant pour le mettre sur le dos et ont constaté qu’il avait perdu ses lunettes et qu’il avait une petite coupure au-dessus de l’œil gauche. Le plaignant s’est alors plaint d’avoir mal aux côtes. Lorsque les policiers ont aidé le plaignant à se relever, ils ont trouvé par terre, à l’endroit où le plaignait était allongé, un téléphone cellulaire et un couteau à steak à manche noir. Aucun des agents n’a toutefois vu le plaignant tenir le couteau.

Le plaignant affirme avoir été battu par la police, et les quatre agents ont ouvertement reconnu lui avoir asséné les coups suivants lorsqu’il était au sol :

  • L’AI no 1 a dit que l’AI no 2 avait asséné deux coups de poing sur le côté droit du plaignant, tandis que, selon l’AT no 1, l’AI no 2 a donné un ou deux coups de poing au côté gauche du plaignant;
  • L’AI no 1 a reconnu avoir donné trois à quatre coups de poing sur l’épaule gauche du plaignant; 
  • L’AT no 2 a convenu avoir aussi donné trois à quatre coups de poing qui ont atteint le plaignant à la hauteur du rein gauche.

Sur la base de ces admissions, il est clair que, dans leurs efforts pour contraindre le plaignant à présenter ses mains pour qu’on le menotte, les policiers ont infligé au total au moins huit à dix coups de poing au corps du plaignant, ce qui pourrait légitimement conduire le plaignant à croire que les policiers le « tabassaient ».

Bien que les diverses descriptions de l’interaction entre la police et le plaignant ne varient que très légèrement, en me fondant sur les observations du TC no 1, je ne crois pas que le plaignant hurlait et ne pouvait pas respirer tant qu’il était au sol. En effet, le TC no 1, qui se trouvait juste à l’extérieur de l’appartement, n’a entendu aucun hurlement et il est évident que si on ne peut pas respirer, on ne peut pas non plus crier.

De plus, même si le plaignant croit avoir reçu un coup à la tête et avoir subi une coupure sur l’arcade sourcilière gauche lorsqu’on l’a plaqué au sol, j’estime, étant donnée la nature de la blessure, que c’est très probablement la porte qui a frappé le plaignant et que c’est, soit la porte, soit une combinaison de la porte et de ses lunettes qui a probablement causé ce qui est décrit dans son dossier médical comme une « abrasion à la paupière gauche », puisque personne n’a vu un policier avoir recours à la force et que le plaignant lui-même n’a vu aucun objet.

Enfin, j’ai des difficultés à croire le plaignant lorsqu’il affirme ne pas savoir s’il a reçu des coups de poing ou des coups de pieds. Il me semble assez facile de faire la distinction entre un poing et une botte. De plus, même si le plaignant a déclaré aux enquêteurs que sa mémoire était embrumée par une blessure à la tête et qu’il s’est évanoui lors son interaction avec la police, les dossiers médicaux indiquent que le plaignant n’a jamais perdu connaissance.

Après avoir évalué les preuves fiables, j’accepte donc que le plaignant a probablement eu la petite entaille à la paupière gauche lorsqu’il a été heurté par la porte derrière laquelle il se cachait. Je conclus en outre que lorsque le plaignant a refusé de sortir de derrière la porte de la chambre où il s’était caché, les agents l’ont tiré de force et que, sous l’élan, l’AI no 2 est lui-même tombé et a atterri sur le plaignant, causant vraisemblablement sa blessure aux côtes postérieures droites, près de la colonne vertébrale, car aucun des coups de poing livrés ne semble correspondre à l’emplacement de cette blessure. Enfin, je conclus qu’en essayant de maîtriser le plaignant et de le menotter, les agents lui ont infligé entre huit et dix coups de poing, comme décrit ci-dessus.

La question à trancher est donc de savoir si ces actes équivalaient ou non à un recours excessif à la force dans ces circonstances.

En vertu du par. 25 (1) du Code criminel, un agent de police, s’il agit pour des motifs raisonnables, a le droit d’utiliser autant de force que nécessaire pour exécuter une fonction légitime. Par conséquent, pour que les agents de police puissent bénéficier d’une protection contre des poursuites en vertu de l’article 25, il doit être établi qu’ils exécutaient une fonction légitime, qu’ils agissaient avec des motifs raisonnables et qu’ils n’utilisaient pas plus de force que nécessaire.

S’agissant d’abord de la légalité de l’appréhension du plaignant, il ressort clairement des renseignements en possession de l’AI no 1 – d’après ce qu’avait dit l’ancienne amie du plaignant quant à l’agression dont elle avait été victime et compte tenu du fait que le plaignant était tenu de respecter les conditions de sa mise en liberté – que les membres de la brigade BREF qui participaient à l’arrestation agissaient tous dans l’exercice de leurs fonctions légitimes. L’appréhension et l’arrestation du plaignant étaient donc légalement justifiées dans les circonstances.

Pour évaluer le recours à la force de chacun des policiers, il faut ensuite déterminer si les actes suivants étaient excessifs dans les circonstances :

  • Le fait de pousser la porte contre le plaignant, alors qu’il se cachait derrière la porte et poussait lui-même dessus pour empêcher les policiers d’entrer; 
  • L’AI no 2 plaquant le plaignant au sol et atterrissant sur lui; 
  • L’AI no 2 infligeant un à deux coups de poing au torse du plaignant; 
  • L’AI no 1 infligeant trois à quatre coups de poing à l’épaule gauche du plaignant; 
  • L’AT no 2 infligeant trois à quatre coups de poing à la hauteur du rein gauche du plaignant.

Je n’hésite pas à conclure que le fait d’enfoncer la porte, alors que le plaignant essayait d’empêcher qu’on l’ouvre et qu’il a alors été frappé par la porte ou a heurté un autre objet en tombant au sol, ne constituait pas un usage excessif de la force ces circonstances.

Il est clair que le plaignant savait que les policiers étaient là pour l’arrêter. Il se cachait, puis essayait de les empêcher d’entrer dans la chambre pour procéder à son arrestation. Dans ces circonstances, je suis d’avis que l’AI no 1 et l’AI no 2 ont agi de façon raisonnable dans l’exercice de fonctions légitimes, et que ces actes seraient donc exemptés de poursuites en vertu du par. 25 (1) du Code criminel.

Je conclus également que les actes de l’AI no 2, lorsqu’il a plaqué le plaignant à terre pour le maîtriser, sont raisonnables, justifiés et exemptés de poursuites. Il semble probable que le plaignant a été blessé lorsque l’AI no 2 est tombé sur lui sous l’effet conjugué de la force exercée par l’AI no 2 pour obliger le plaignant à sortir de derrière la porte et de la résistance que le plaignant lui opposait. Alors que toutes les preuves indiquent clairement que les policiers étaient là pour l’arrêter et le détenir légalement, le plaignant n’avait pas le droit de s’opposer à cette tentative légitime en se cachant ou en résistant activement à son arrestation.

Une fois le plaignant au sol, l’AT no 2 a remarqué que le plaignant tenait un objet noir dans la main gauche et a alerté les autres policiers. Les policiers ont dû réagir rapidement et avec une certaine détermination pour se protéger du risque que présenterait une arme. Ils devaient désarmer et menotter le plaignant le plus rapidement possible afin d’éliminer ce risque. Avec du recul, la présence du couteau à manche noir à proximité immédiate de l’endroit où le plaignant était allongé par terre lors de son interaction avec la police semble certainement confirmer la légitimité des craintes des agents concernés.

Même si j’accepte le fait que le plaignant a pu croire que la police l’a battu et qu’il estime ne pas avoir résisté activement, je reconnais tout à fait que son refus de présenter ses mains constituait en fait une forme de résistance active et que les policiers avaient le droit d’employer la force nécessaire pour le maîtriser, à condition que cette force n’excède pas ce qui était justifié dans les circonstances.

En l’espèce, comme les coups que la police lui avait d’abord assénés ne semblaient pas avoir suffi à convaincre le plaignant à se rendre, et que les policiers ne lui ont donné aucun autre coup une fois qu’il était menotté, je conclus que les actes des policiers étaient à la fois mesurés et proportionnés au degré de résistance que le plaignant leur opposait et qu’ils ne constituaient pas un recours excessif à la force dans cette situation.

Pour parvenir à cette conclusion, j’ai tenu compte de la décision suivante de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. v. Nasogaluak [2010] 1 R.C.S. 206 :
Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans R. c. Bottrell (1981), 1981 CanLII 339 (BC CA), 60 C.C.C. (2 d) 211 (C.A.C. B.) :

[traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218]

De plus, j’ai pris en considération la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire R. c. Baxter (1975), 27 CCC (2 d) 96 (C.A. Ont.), selon laquelle on ne peut pas s’attendre à ce que les policiers apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leur intervention.

En conclusion, après une analyse approfondie de tous les éléments de preuve disponibles et fiables, je ne suis pas convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire que l’un ou l’autre des agents de police qui ont participé à l’arrestation du plaignant ait eu un recours excessif à la force. Je conclus en outre que si le plaignant s’était volontairement rendu, au lieu de se cacher puis de résister, quand il a réalisé que la police était là pour l’arrêter, les agents n’auraient eu recours à aucune force. J’estime donc que je n’ai pas de motifs de porter des accusations criminelles, et aucun chef d’accusation ne sera donc déposé.



Date : 12 juillet 2018

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.