Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-TCI-349

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave (y compris une allégation d’agression sexuelle).

On doit englober dans les «â€‰blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de «â€‰blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.
Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la blessure grave qu’aurait subie un homme de 20 ans (le plaignant) pendant son arrestation le 26 novembre 2017.

L’enquête

Notification de l’UES

Vers 14 h le 26 novembre 2017, le Service de police de Toronto (SPT) a signalé une blessure subie par le plaignant pendant sa mise sous garde.

Le SPT a signalé qu’à la même date, à 5 h 36, des agents de l’équipe d’intervention d’urgence (EIU) ont exécuté un mandat dans une résidence de la ville de Toronto; trois personnes ont alors été arrêtées, dont le plaignant. Le plaignant a ensuite été transporté à l’hôpital, où il a été traité pour un poumon affaissé.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Plaignant :

Homme de 20 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés

Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue
TC no 2 A participé à une entrevue
TC no 3 A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT no 1 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 2 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 3 A participé à une entrevue, notes reçues et examinées
AT no 4 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 5 A participé à une entrevue, notes reçues et examinées
AT no 6 A participé à une entrevue, notes reçues et examinées
AT no 7 A participé à une entrevue, notes reçues et examinées
AT no 8 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 9 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 10 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 11 A participé à une entrevue, notes reçues et examinées
AT no 12 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire

Agents impliqués (AI)

AI no 1 A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.
AI no 2 N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.


Description de l’incident

Le 26 novembre 2017, à 1 h 18, un mandat autorisé judiciairement a été accordé au SPT pour la perquisition de la résidence du plaignant. Le mandat autorisait la perquisition pour tenter de trouver des armes à feu, des munitions et des articles connexes.

Le 26 novembre 2017, à 6 h 38, des membres de l’équipe d’intervention d’urgence du SPT ont utilisé une entrée dynamique pour pénétrer dans la résidence nommée dans le mandat afin d’exécuter celui ci et de faire une perquisition pour trouver les articles énumérés; la porte a été enfoncée et une grenade étourdissante a été utilisée. Dès leur entrée, les agents de police ont sécurisé le rez-de-chaussée, puis le deuxième étage de la résidence. Au deuxième étage, un homme se cachait derrière une porte de chambre à coucher. Lorsqu’on l’a sorti de derrière la porte, une arme à feu est tombée de sa ceinture sur le sol de la chambre, où le plaignant se trouvait sur la couchette supérieure d’un lit superposé.

Lorsque le plaignant a été tiré de la couchette supérieure par l’AI, il a atterri sur le plancher, où l’arme à feu était à sa portée. Pendant que l’AI tentait de maîtriser le plaignant, qui résistait, un autre agent a remarqué l’arme à feu et a crié [traduction] « Pistolet! Pistolet! » Craignant que le plaignant ne tente de s’emparer de l’arme à feu, l’AI lui a donné plusieurs coups avec le genou et la main afin de le distraire, après quoi il a été menotté et arrêté, tout comme les deux autres occupants du lieu.

Après son arrestation, le plaignant a été transporté à l’hôpital.

Nature de la blessure ou du traitement

Le plaignant a subi un affaissement du poumon droit, trois fractures aux côtes du côté droit et une fracture non déplacée de l’os nasal. Le plaignant a reçu son congé de l’hôpital plus tard le même jour et est retourné sous la garde du SPT.

Le 25 janvier 2018, le plaignant a confirmé qu’il s’était entièrement rétabli.

Éléments de preuve

Les lieux

La résidence fouillée se trouvait dans un complexe d’habitation communautaire dans la ville de Toronto. L’unité fouillée se trouvait au rez de chaussée. L’appartement avait deux entrées, l’une par un couloir commun et l’autre par une porte arrière. La porte arrière menait à une terrasse, au delà de laquelle il y avait un parc et un terrain de jeux. L’unité était un appartement à deux étages comprenant deux chambres à coucher. L’appartement était très sale et manifestement en désordre avant la perquisition. L’air de l’appartement était vicié; il y avait une odeur de marijuana et de fumée de cigare rassis. Il n’y avait aucun signe de violence autre qu’une porte d’armoire qui était partiellement hors des charnières.

Schéma des lieux

Schéma des lieux


Arme à feu récupérée

L’arme à feu saisie lors de la perquisition était un pistolet Glock 10 mm de couleur noire et en bon état de fonctionnement. Il y avait une cartouche dans la chambre du pistolet et huit cartouches dans le chargeur.

Le numéro de série de l’arme a été enregistré et l’arme a été conservée par le SPT.

L’arme à feu saisie lors de la perquisition était un pistolet Glock 10 mm de couleur noire et en bon état de fonctionnement. Il y avait une cartouche dans la chambre du pistolet et huit cartouches dans le chargeur.

Éléments de preuves médicolégaux

Aucune présentation n’a été faite au Centre des sciences judiciaires.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou photographiques

Comme l’incident s’est produit dans une résidence privée, il n’existe aucun enregistrement audio ou vidéo.

Enregistrements de communications

Les enregistrements des communications de la police ont été obtenus et examinés.

Éléments obtenus auprès du Service de police

Sur demande, l’UES a obtenu et examiné les documents et éléments suivants du SPT :
  • rapport sur les détails de l’incident (2);
  • notes des AT nos 1 à 12;
  • mandat de perquisition;
  • résumé de la conversation;
  • photos de l’intérieur de la résidence prises par le SPT avant la perquisition;
  • enregistrements des communications de la police;
  • dossier complet du SCT contre le plaignant et ses coaccusés;
  • photo de l’arme à feu saisie prise par le SPT.

L’UES a obtenu et examiné les documents et éléments suivants d’autres sources :
  • dossiers médicaux du plaignant relatifs à cet incident, obtenus avec son consentement;
  • rapport d’appel d’ambulance.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel -- Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :
a) soit à titre de particulier
b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
d) soit en raison de ses fonctions
est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Paragraphe 91(1) du Code criminel -- Possession non autorisée d’une arme à feu

91 (1) Sous réserve du paragraphe (4), commet une infraction quiconque a en sa possession une arme à feu prohibée, une arme à feu à autorisation restreinte ou une arme à feu sans restriction sans être titulaire :
a) d’une part, d’un permis qui l’y autorise;
b) d’autre part, s’agissant d’une arme à feu prohibée ou d’une arme à feu à autorisation restreinte, du certificat d’enregistrement de cette arme.

Article 95 du Code criminel – Possession d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte avec des munitions

        95(1)  Sous réserve du paragraphe (3), commet une infraction quiconque a en sa possession dans un lieu quelconque soit une arme à feu prohibée ou une arme à feu à autorisation restreinte chargées, soit une telle arme non chargée avec des munitions facilement accessibles qui peuvent être utilisées avec celle ci, sans être titulaire à la fois : 
a) d’une autorisation ou d’un permis qui l’y autorise dans ce lieu;
b) du certificat d’enregistrement de l’arme.
         (2)  Quiconque commet l’infraction prévue au paragraphe (1) est coupable :
a)  soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans;
b)  soit d’une infraction punissable, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, d’un emprisonnement maximal de un an.

Analyse et décision du directeur

Le 26 novembre 2017, le Groupe de travail sur les armes à feu et les gangs (GTAFG) du SPT a demandé et obtenu un mandat autorisé judiciairement pour perquisitionner une résidence dans un complexe d’habitation à Toronto. On savait que le plaignant et sa mère habitaient dans cette résidence. L’information utilisée pour obtenir le mandat de perquisition était fondée sur des renseignements obtenus d’un informateur confidentiel selon lesquels la résidence était une « planque » utilisée pour les armes à feu et contenait deux armes d’épaule et deux pistolets au moment où le mandat a été délivré.

Le mandat de perquisition a été exécuté le 26 novembre 2017, à 6 h 38, avec une entrée dynamique (sans frapper) effectuée par l’EIU, qui a d’abord pénétré dans la résidence, puis s’est assurée que celle ci était sécuritaire pour permettre aux agents du GTAFG d’y entrer et d’y mener leur perquisition. L’EIU a trouvé trois occupants dans la résidence, soit la TC no 1, le plaignant et le TC no 2. Une arme à feu chargée, un pistolet Glock avec une cartouche dans la chambre et huit cartouches dans le chargeur, a également été découverte par l’EIU.

Au cours de l’arrestation du plaignant, les AI nos 1 et 2 de l’EIU ont eu recours à la force et le plaignant a été blessé. Une évaluation ultérieure à l’hôpital a révélé que le plaignant avait subi trois fractures des côtes du côté droit, un affaissement connexe du poumon droit et une fracture non déplacée de l’os nasal. Les trois occupants allèguent que les policiers ont fait un usage excessif de la force pour les arrêter. Bien que seul le plaignant ait subi un préjudice grave, son arrestation et la force utilisée pour y procéder ont déclenché le mandat de l’UES et l’enquête qui a suivi.

Au cours de l’enquête, seulement trois témoins civils de l’incident ont participé à une entrevue, soit les trois parties arrêtées à l’intérieur de la résidence. De plus, les notes de 12 agents de police ont été examinées, ce qui a donné lieu à des entrevues avec 5 agents témoins qui avaient des éléments de preuve pertinents à présenter; le premier agent impliqué, l’AI no 1, a également consenti à une entrevue, tandis que le deuxième agent impliqué, l’AI no 2, ne l’a pas fait; ni l’un ni l’autre des agents impliqués n’a fourni pour examen les notes entrées dans son calepin, comme c’était son droit légal.

Il n’y avait malheureusement pas de caméra de surveillance à l’intérieur de la résidence, et les enregistrements des transmissions de la police n’ont fourni aucune preuve permettant de confirmer ou de nier les allégations d’un usage excessif de la force de la part des policiers qui ont procédé à l’arrestation. Le témoignage des trois occupants de la maison, qui ont été arrêtés, et celui des policiers qui les ont arrêtés, diffèrent sur un certain nombre d’aspects importants.

Les faits qui ne sont pas contestés indiquent qu’au petit matin du 26 novembre 2017, les membres de l’EIU ont été chargés d’exécuter un mandat de perquisition en vertu du Code criminel à la résidence de la TC no 1 dans la ville de Toronto; l’équipe de neuf membres, dirigée par l’AT no 6, a assisté à une séance d’information donnée par l’AT no 11 du GTAFG. Au cours de la séance d’information, l’équipe a été informée que le GTAFG disposait de renseignements selon lesquels la résidence contenait des armes à feu, peut être deux armes d’épaule et deux armes de poing; l’équipe a également appris que la résidence était connue pour être utilisée comme « planque », notamment par des membres de gang, pour cacher des armes. De plus, l’équipe a reçu les noms de deux personnes susceptibles de se trouver dans la résidence ainsi que des renseignements indiquant que chacune d’elles avait un casier judiciaire chargé. La zone où la résidence était située était caractérisée par la présence de nombreux gangs. Toute cette information a été fournie et abordée lors de la séance d’information.

Après la séance d’information, l’AT no 6 a tenu une réunion tactique avec son équipe, au cours de laquelle les problèmes susceptibles de survenir et les menaces possibles ont été examinés, et un plan a été élaboré pour l’entrée de l’EIU dans la résidence, qui devait être une entrée dynamique, car on croyait que la résidence était une planque servant à cacher des armes à feu. Le but d’une entrée dynamique consiste à empêcher les résidents d’être avertis au préalable de l’entrée prévue par la police pour faire en sorte qu’ils n’aient pas la possibilité de s’armer, à permettre à la police de tirer pleinement parti de l’effet de surprise et de distraction afin de pouvoir pénétrer la résidence de façon plus sécuritaire et retenir plus facilement les occupants, ainsi qu’à prévenir une éventuelle perte en vie ou une possible confrontation armée.

Afin de tirer pleinement parti de l’effet de surprise et de distraction, il a été déterminé qu’immédiatement après avoir enfoncé la porte, il fallait utiliser un dispositif de distraction (une grenade étourdissante) qui émettrait un bruit très fort et distrayant, et qui produirait de la fumée ou une forte lumière dès son déploiement, provoquant une confusion et empêchant les résidents de détruire des éléments de preuve, de prendre la fuite ou de s’attaquer ensemble aux policiers. Une fois la porte enfoncée et la grenade étourdissante lancée, les membres de l’équipe devaient localiser et maîtriser tous les occupants, puis remettre la résidence aux enquêteurs du GTAFG pour l’exécution du mandat de perquisition. L’ordre d’entrée des agents de l’équipe a également été établi.

À 6 h 38, l’EIU était positionnée à la porte d’entrée de la résidence et les membres chargés d’enfoncer la porte sont passés à l’action. Avant d’entrer, l’AI no 1, qui avait été désigné « numéro un », c’est à dire qu’il serait le premier agent de police à franchir la porte, a annoncé haut et fort la présence des policiers et le fait qu’ils étaient en possession d’un mandat de perquisition. La grenade étourdissante a ensuite été déployée, produisant une forte détonation et une lumière vive, et l’AI no 1 est entré.

Il incombe au premier agent qui entre dans la résidence de continuer à donner des avertissements et des ordres clairs, ce que l’AI no 1 a ensuite fait. La TC no 1 se trouvait au rez de chaussée et dormait sur le divan, et l’AI no 1 lui a ordonné de s’allonger sur le sol; les autres membres de l’équipe sont ensuite arrivés et ont pris le contrôle de la TC no 1.

Trois ou quatre membres de l’équipe ont ensuite monté les escaliers et un autre agent a pris la relève pour annoncer la présence de la police au deuxième étage.

Une fois au deuxième étage, l’AI no 2 a pris position de façon à couvrir le couloir supérieur, et l’AT no 5 s’est arrêté derrière l’AI no 2 avant de se diriger vers une porte de chambre à coucher fermée. L’AT no 5 a essayé d’ouvrir la porte en lui donnant un coup de pied, mais la porte ne s’est ouverte que partiellement. L’AT no 5 s’est ensuite introduit de force dans la pièce.

Une fois la porte ouverte de force, on a localisé le TC no 2, qui se cachait en position accroupie derrière la porte. Pendant que l’AT no 5 se concentrait sur le TC no 2, l’AT no 6, qui se trouvait directement derrière l’AT no 5, a aperçu le plaignant étendu sur la couchette supérieure d’un lit superposé situé contre le mur du fond de la chambre à coucher. L’AT no 6 a pointé son pistolet vers le plaignant et lui a donné l’ordre de montrer ses mains; le plaignant était étendu sur le ventre et ses mains n’étaient pas visibles. Le plaignant n’a pas répondu aux ordres de l’AT no 6, il s’est contenté de rester là à le regarder.

L’AI no 1 est ensuite entré dans la pièce et a dirigé son attention vers le plaignant, ce qui a permis à l’AT no 5 et à l’AT no 6 de se concentrer sur le TC no 2. L’AT no 5 et l’AT no 6 ont alors saisi le TC no 2 derrière la porte pour le traîner jusque dans le couloir; c’est à ce moment qu’un pistolet noir est tombé, probablement de la ceinture du TC no 2, sur le sol de la chambre. L’AT no 6 a immédiatement crié [traduction] « Pistolet! Pistolet! » pour avertir ses collègues.

Pendant que l’AT no 5 et l’AT no 6 s’occupaient du TC no 2, l’AI no 1 était entrée dans la pièce et avait avancé pour s’occuper du plaignant. L’AI no 1 a été suivi dans la pièce par l’AI no 2. C’est à partir de ce moment que la version des événements de l’AI no 1 et celle du plaignant divergent grandement.

Bien que la TC no 1 et le TC no 2 allèguent tous deux que la police a eu recours à une force excessive lors de leurs arrestations respectives, ils n’ont pas été en mesure d’observer l’arrestation du plaignant, puisque la TC no 1 était encore au rez de chaussée, où l’on avait déjà procédé à son arrestation, et que le TC no 2 était lui même en train d’être arrêté dans le couloir à l’extérieur de la chambre où se trouvait le plaignant.

Selon le plaignant, il dormait dans sa chambre lorsqu’il a été réveillé par des bruits forts; il s’est alors aperçu que le TC no 2 dormait sur une chaise berçante dans sa chambre. Le plaignant a également indiqué qu’il avait remarqué qu’un petit pistolet se trouvait sur le lit à côté de lui et qu’il supposait que le TC no 2 l’avait placé là. Le plaignant a poussé le pistolet hors du lit avec son bras, car il ne voulait rien avoir à faire avec une arme à feu.

Le plaignant a ensuite vu trois agents de l’EIU entrer dans la chambre à coucher en criant [traduction] « Les mains en l’air! » et autres ordres; le plaignant a levé les mains. Le plaignant a déclaré que les trois policiers portaient des masques noirs qui ne montraient que leurs yeux, que leur uniforme était vert et qu’ils portaient des gilets pare balles portant l’inscription « SWAT ». Il est clair que les membres de l’EIU ne portent pas un uniforme portant l’inscription « SWAT », car il ne s’agit pas de l’unité « Special Weapons and Tactics », qui est une unité des forces de police américaines popularisée à la télévision américaine; ils ne portent pas non plus un uniforme vert. Leur uniforme est gris avec un gilet pare balles noir; le logo du SPT est clairement visible à l’avant et à l’arrière du gilet pare balles. (Un rapide tour d’horizon sur Internet confirme en effet que certaines équipes SWAT américaines portent un uniforme vert avec l’inscription « SWAT » à l’avant et à l’arrière du gilet pare balles).

Le plaignant a également mentionné que deux détectives, puis un troisième, étaient entrés dans sa chambre en même temps que les trois agents de l’unité « SWAT »; il a indiqué que les trois détectives étaient habillés en civil. Cela va directement à l’encontre du témoignage de tous les agents de police qui ont participé à une entrevue. En effet, tant les agents de l’EIU que ceux du GTAFG qui ont participé à une entrevue ont fermement indiqué que les agents de l’EIU portaient tous leur uniforme tactique et que les agents du GTAFG, qui n’auraient pas porté cet uniforme, ne sont pas entrés dans la résidence avant que les trois occupants aient été arrêtés et que la résidence ait été contrôlée et sécurisée.

Le plaignant a indiqué que l’agent de l’unité « SWAT », maintenant identifié comme étant l’AI no 1 de l’EIU, l’avait alors saisi par le bras gauche et l’épaule droite pour le tirer du lit et le faire tomber sur le sol, où il a atterri sur son épaule puis a roulé sur le ventre. L’AI no 1 a pointé ce qui semblait être un pistolet vers la tête du plaignant, a dit à celui ci de se taire et lui a répété plusieurs fois de mettre ses mains derrière son dos. D’après le témoignage de l’AI no 1, l’arme en sa possession à ce moment là était une arme d’épaule MP5, dont l’utilisation nécessite deux mains, qui était placée sur une courroie entourant son corps.

Le plaignant a indiqué qu’il avait essayé de mettre les mains derrière le dos, comme on le lui avait ordonné, mais que l’AI no 1 l’avait piétiné sans arrêt, en lui portant un premier coup au côté du corps puis un deuxième sur la tête; sa tête a ainsi frappé le plancher.

Le plaignant a déclaré qu’il avait vu le pistolet (qu’il avait précédemment poussé de son lit) sur le plancher à proximité, mais qu’il n’avait pas essayé de s’en emparer. Le plaignant a ensuite indiqué que l’AI no 1 lui avait piétiné la tête environ cinq fois et qu’à un moment donné, il lui avait donné un coup de pied à l’aine. Le plaignant n’était pas en mesure de dire si d’autres agents l’avaient également frappé. Le plaignant a indiqué qu’il s’était presque évanoui à cause de la douleur, mais qu’il était resté conscient et avait de la difficulté à respirer. Il a ensuite été menotté avec les mains derrière le dos par un policier inconnu, qu’il l’a remis en position debout par la suite.

Je signale qu’à l’exception de la fracture non déplacée de l’os nasal, le plaignant n’a subi aucune blessure au visage, ce qui semble plutôt incompatible avec le fait d’avoir été piétiné au visage cinq fois par une botte portée par un membre de l’EIU; cela aurait vraisemblablement causé beaucoup plus de dommages au visage du plaignant. Je fais également remarquer qu’en plus des cinq coups de pied à la tête, le plaignant n’a indiqué qu’un coup de pied à l’aine, où aucune blessure n’a été constatée, et un coup sur le côté du corps.

Les dossiers médicaux indiquent que le plaignant a subi trois fractures aux côtes du côté droit, et le médecin était d’avis que ses blessures correspondaient aussi bien à une chute d’une certaine hauteur (comme de la couchette supérieure du lit superposé) qu’à un coup de pied ou à un piétinement. D’après les dossiers de triage, l’infirmière a fait les observations suivantes :

[Traduction] « […] le patient affirme qu’il était endormi chez lui, que sa résidence a été perquisitionnée et qu’il a été battu. Le patient se plaint de douleurs aux côtes du côté droit. Il saigne également de la bouche et a reçu un coup de poing au visage. […] »

Dans sa déclaration, l’AI no 1 a indiqué que le 26 novembre 2017, il portait sa tenue tactique grise arborant le logo du SPT à l’avant et à l’arrière, une armure lourde, un casque et des gants; il avait tout son équipement d’intervention et était muni d’une arme d’épaule MP5, dont l’utilisation nécessite deux mains, qui était placée sur une courroie entourant son corps.

Pendant qu’il montait les escaliers menant au deuxième étage, derrière trois ou quatre autres membres de l’équipe, l’AI no 1 a entendu un cri particulier d’un autre agent, qui l’a amené à déduire qu’un contact avait été établi avec une personne à l’intérieur de la résidence. En arrivant en haut des escaliers, il a observé les AT nos 6 et 5 qui tentaient de maîtriser le TC no 2 dans la porte de la première chambre à coucher. Au moment où l’AI no 1 s’approchait pour prêter main forte à ses collègues, son attention a été attirée vers l’intérieur de la chambre, qui était mal éclairé et n’avait pas encore été sécurisé.

L’AI no 1 a vu le plaignant sur la couchette supérieure du lit superposé. Seul le visage du plaignant était visible et le reste de son corps se trouvait sous des draps et des couvertures; il observait la lutte pour arrêter le TC no 2. L’AI no 1 a qualifié la réaction du plaignant à la présence de la police d’inhabituelle, car celui ci avait omis d’obtempérer lorsqu’un autre membre de l’équipe lui avait crié de mettre les mains en l’air. L’AI no 1 s’est ensuite identifié comme agent de police et a de nouveau dit au plaignant de montrer ses mains. Le plaignant refusait toujours d’obtempérer, ce qui était préoccupant pour l’AI no 1. Selon l’AI no 1, si le plaignant avait montré ses mains, le niveau de menace aurait été réduit, car cela aurait évidemment confirmé si le plaignant était armé ou non.

L’AI no 1 est ensuite entré seul dans la chambre à coucher et a continué d’ordonner au plaignant de montrer ses mains. Enfin, le plaignant a levé la tête et a dit [traduction] « Pourquoi? » en semblant narguer les policiers. L’AI no 1 a constaté que le placard à l’intérieur de la chambre à coucher n’avait pas encore été sécurisé, ce qui, avec le refus du plaignant de montrer ses mains, a considérablement augmenté le niveau de menace dans son esprit. Cette préoccupation était aggravée par le fait que le plaignant se trouvait toujours sur la couchette supérieure, ce qui lui donnait un avantage sur l’AI no 1, qui était debout sur le plancher.

L’AI no 1 a indiqué que l’un des inconvénients du port d’une arme d’épaule MP5 est qu’il faut les deux mains pour l’utiliser, ce qui rend toute confrontation physique avec une personne difficile. L’AI no 1 était d’avis qu’en temps normal, il aurait simplement pu surveiller le plaignant en pointant son arme à feu vers lui et attendre qu’un autre agent arrive en renfort. Dans le cas qui nous occupe, cependant, étant donné que le placard n’avait pas encore été sécurisé et que le plaignant ne montrait pas ses mains, l’AI no 1 a déterminé qu’il ne pouvait pas attendre et qu’il devait intervenir physiquement afin de mettre le plaignant hors d’état de nuire.

L’AI no 1 a mis son arme à feu en mode de sécurité et l’a baissée, la tenant dans une main. Il s’est ensuite avancé et s’est agrippé d’une main au plaignant, au niveau de l’épaule; le plaignant a immédiatement résisté activement et a tenté de s’éloigner. L’AI no 1 a continué de tirer le plaignant vers lui afin de le sortir du lit. Lorsque le corps du plaignant se trouvait à mi chemin du sol, l’AI no 1 l’a éloigné de lui, en plaçant la tête et le haut du corps du plaignant sous la couchette supérieure, pour éviter que le plaignant ne se cogne la tête sur le plancher. Le plaignant a ensuite atterri sur le sol, son épaule et ses côtes absorbant le choc.

C’est à ce moment là que l’AI no 2 est arrivé en renfort. Le plaignant opposait une résistance active et l’AI no 1 n’a pas été en mesure de l’immobiliser sur le plancher. Même si l’AI no 1 a déclaré que le plaignant n’était pas agressif, celui ci résistait à tout contrôle que l’AI no 1 tentait d’exercer sur lui. L’AI no 2 s’est alors positionné de façon à empêcher le plaignant de bouger les jambes, lorsque l’AI no 1 a entendu l’AT no 6 crier [traduction] « Pistolet! Pistolet! »

À ce moment là, l’AI no 1 a déterminé qu’il était maintenant confrontré à une situation de menace de lésions corporelles graves ou de mort et non plus à une situation de résistance active; il a immédiatement balayé du regard la pièce et vu l’arme de poing noire Glock sur le sol à portée de main du plaignant, qui faisait face à l’arme à feu.

En tenant compte de tous les facteurs en jeu, l’AI no 1 craignait alors de se faire tirer dessus ou d’être forcé de faire feu sur le plaignant si celui ci réussissait à mettre la main sur l’arme à feu. Par conséquent, l’AI no 1 a donné trois coups de genou au torse et aux côtes du plaignant et lui a donné des coups de poing au visage dans l’espoir de lui faire perdre l’idée d’atteindre l’arme à feu et de peut être utiliser cette dernière. La manœuvre a fonctionné, en ce sens que le plaignant a couvert son visage de ses mains, ce qui a permis à l’AI no 2 de lui menotter une main.

L’AI no 1 a indiqué qu’il ne donnerait pas normalement de coup de poing à quelqu’un, mais que dans ces circonstances particulières, il estimait que c’était nécessaire, car la situation s’aggravait et il ne disposait d’aucune autre option viable pour traiter avec le plaignant.

Après s’être fait menotter une main, le plaignant a retiré son bras et s’est mis à balancer et à agiter les mains avec la menotte attachée. L’AI no 1 a continué d’ordonner au plaignant de cesser de résister et d’arrêter de bouger les mains. Sur une échelle de 1 à 10, l’AI no 1 estimait que la résistance du plaignant était de 9. Au bout de 30 secondes de plus, toutefois, le plaignant a été menotté avec succès. Il a ensuite été mis sur le côté après s’être plaint qu’il avait de la difficulté à respirer; l’AI no 1 a remarqué que le plaignant saignait légèrement au visage.

L’AI no 1 a estimé que l’interaction physique directe entre le plaignant et lui avait duré environ deux minutes.

Bien que l’AI no 2 ait choisi de ne pas faire de déclaration et que l’AT no 5 et l’AT no 6 n’aient pas vu l’interaction physique directe entre les AI nos 1 et 2 et le plaignant, les témoignages des autres agents qui se trouvaient dans la résidence étaient conformes à celui de l’AI no 1 en ce qui a trait aux faits entourant l’arrestation du plaignant.

J’admets tout à fait qu’il se peut qu’après avoir été réveillé de son sommeil par une entrée dynamique de la part d’une équipe d’agents de l’EIU, le plaignant ait été confus quant à ce qui se passait exactement. Sur la base des blessures subies, cependant, ainsi que du rapport du plaignant au personnel médical, tel qu’il est inscrit dans son dossier médical, selon lequel il a été [traduction] « frappé au visage » plutôt que piétiné sur la tête, je ne peux accepter son témoignage selon lequel un policier l’a « piétiné » cinq fois la tête, car il est évident qu’un tel piétinement, avec une botte de police portée par un membre de l’EIU, aurait non seulement causé la fracture non déplacée de l’os nasal, qui nécessite assez peu de force, mais aussi de nombreuses fractures aux os faciaux du plaignant, dont le visage aurait été écrasé par la force et la vélocité générées par un geste d’une telle violence.

J’accepte également, toutefois, que le plaignant a été tiré, de force, de la couchette supérieure et a atterri sur le sol, frappant son torse sur le plancher avec une certaine force, qu’une fois au sol, il a reçu plusieurs coups de genou aux côtes et un certain nombre de coups de poing fermé au visage, que soit la chute ou les coups ont provoqué les fractures de côtes et le pneumothorax correspondant, et que les coups du visage ont causé la fracture non déplacée de l’os nasal.

Ayant conclu, par conséquent, que les actes de l’AI no 1 ont causé les blessures graves du plaignant, la seule question qui demeure est de savoir si les coups portés constituent ou non un usage excessif de la force dans ces circonstances particulières.

Conformément au paragraphe 25(1) du Code criminel, un agent de police, s’il a des motifs raisonnables d’agir, a le droit d’employer la force nécessaire dans l’exercice de ses fonctions légitimes. Ainsi, pour que les AI nos 1 et 2 soient admissibles à la protection contre les poursuites en vertu de l’article 25, il faut qu’il soit établi qu’ils étaient dans l’exercice d’une obligation légale, qu’ils agissaient pour des motifs raisonnables et qu’ils n’ont pas employé plus de force que nécessaire.

En ce qui concerne d’abord la légalité de l’arrestation du plaignant, il est clair que la police est entrée légalement dans la résidence en vertu d’un mandat de perquisition autorisé judiciairement et qu’elle avait le droit de contraindre et de détenir les occupants pendant l’exécution du mandat afin de prévenir le retrait ou la destruction d’éléments de preuve.

De plus, lorsqu’ils ont constaté qu’une arme à feu se trouvait dans la chambre à coucher et qu’elle était à portée de main du plaignant, les policiers avaient des motifs raisonnables d’arrêter également le plaignant pour possession illégale d’une arme à feu. Par conséquent, la détention et l’arrestation du plaignant étaient fondées sur des motifs raisonnables et découlaient d’une obligation légale. Les actes de l’AI no 1 et de l’AI no 2 étaient donc légalement justifiés et exempts de poursuites en vertu du paragraphe 25(1), pourvu que les agents n’aient pas utilisé plus de force que ce qui était nécessaire et justifié pour atteindre cet objectif légitime.

En examinant la force employée par les policiers pour appréhender le plaignant, j’ai tenu compte de la directive donnée par la Cour suprême du Canada dans R. c. Nasogaluak [2010] 1 R.C.S. 206, qui dit ceci :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans R. c. Bottrell (1981), 60 C.C.C. (2d) 211 (C.A.C. B.) :

[traduction] « Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. » [p. 218]

Dans le même ordre d’idées, j’ai également tenu compte de l’examen approfondi de la jurisprudence à cet égard, comme énoncé par le juge Power de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans Chartier c. Greaves, [2001] O.J. no 634 :

(h) Quel que soit l’article du Code criminel utilisé pour évaluer les actions de la police, la Cour doit mesurer la force qui était nécessaire en tenant compte des circonstances entourant l’événement en cause.
(i) « Il faut tenir compte dans une certaine mesure du fait qu’un agent, dans les exigences du moment, peut mal mesurer le degré de force nécessaire pour restreindre un prisonnier. » Le même principe s’applique à l’emploi de la force pour procéder à une arrestation ou empêcher une évasion. À l’instar du conducteur d’un véhicule faisant face à une urgence soudaine, le policier « ne saurait être tenu de respecter une norme de conduite dont on aura ultérieurement déterminé, dans la quiétude d’une salle d’audience, qu’elle constituait la meilleure méthode d’intervention. » (Foster c. Pawsey) En d’autres termes, c’est une chose que d’avoir le temps, dans un procès s’étalant sur plusieurs jours, de reconstituer et d’examiner les événements survenus le soir du 14 août, mais ç’en est une autre que d’être un policier se retrouvant au milieu d’une urgence avec le devoir d’agir et très peu d’un temps précieux pour disséquer minutieusement la signification des événements ou réfléchir calmement aux décisions à prendre. (Berntt c. Vancouver)
(j) Les agents de police exercent une fonction essentielle dans des circonstances parfois difficiles et souvent dangereuses. La police ne doit pas être indûment entravée dans l’exécution de cette obligation. Les policiers doivent fréquemment agir rapidement et réagir à des situations urgentes qui surviennent soudainement. Leurs actes doivent donc être considérés à la lumière des circonstances.
(k) « Il est à la fois déraisonnable et irréaliste d’imposer à la police l’obligation d’employer le minimum de force nécessaire susceptible de permettre d’atteindre son objectif. Si une telle obligation était imposée aux policiers, il en résulterait un danger inutile pour eux mêmes et autrui. En pareilles situations, les policiers sont fondés à agir et exonérés de toute responsabilité s’ils n’emploient pas plus que la force qui est nécessaire en agissant sur le fondement de leur évaluation raisonnable des circonstances dans lesquels ils se trouvent et des dangers auxquels ils font face. » (Levesque c. Zanibbi et coll.)

Compte tenu de ce qui était sans aucun doute une situation très mouvementée et volatile, j’ai également pris en considération la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. Baxter [1975], 27 C.C.C. (2d) 96 (C.A. Ont.); dans cette affaire, la Cour d’appel a jugé que l’on ne peut s’attendre à ce que les policiers apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leur intervention.

Donc, en gardant à l’esprit les directives de nos tribunaux pour déterminer s’il y a eu ou non un recours excessif à la force dans cette affaire, j’ai tenu compte des renseignements suivants, qui avaient été fournis à l’EIU avant son entrée dans la résidence, le 26 novembre 2017 :

  • On croyait que cette résidence servait de « planque » pour cacher des armes à feu, d’après des renseignements fournis par un informateur confidentiel.
  • Ce même informateur avait apparemment fourni des renseignements selon lesquels deux armes d’épaule et deux armes de poing se trouvaient dans la résidence.
  • On croyait que la résidence était utilisée par des membres de gangs.
  • Au moins deux contrevenants connus, avec de lourds casiers judiciaires, étaient associés à cette résidence, et l’on croyait qu’ils étaient peut être à l’intérieur de la résidence lorsque l’entrée a été faite.
  • La résidence se trouvait dans une zone caractérisée par la présence et les activités de nombreux gangs.
  • Le plaignant refusait de respecter l’ordre de montrer ses mains.
  • Les mains du plaignant étaient cachées sous des draps et des couvertures dans une maison connue pour contenir des armes à feu.
  • Une arme à feu a été vue à portée de la main du plaignant, après que celui ci eut été retiré de la couchette supérieure.
  • Un autre homme (qui était l’un des individus au lourd casier judiciaire connus de la police), qui se cachait derrière la porte de la chambre du plaignant, avait déjà été vu avec une arme à feu (à la ceinture), qui est ensuite tombée au sol. 
  • La chambre à coucher était mal éclairée, le placard n’avait pas encore été sécurisé, et les autres agents de police s’occupaient du TC no 2 ou se trouvaient ailleurs dans la résidence, laissant l’AI no 1 seul pour traiter avec le plaignant.
  • Dans l’ensemble des renseignements fournis à l’EIU lors de sa séance préparatoire, cette situation a été décrite comme présentant un niveau élevé de menace de mort ou de lésions corporelles graves.

Après avoir examiné tous ces renseignements et la situation dans laquelle se trouvait l’AI no 1, où il se pouvait que le plaignant, qui ne montrait pas ses mains et qui résistait aux efforts de l’AI no 1 pour le tirer du lit superposé, soit armé, je conclus que l’évaluation faite par l’AI no 1, qui jugeait que la situation constituait une menace élevée, était tout à fait raisonnable dans les circonstances et qu’il ne pouvait se permettre, comme il aurait pu le faire autrement, de simplement pointer son arme d’épaule vers le plaignant et attendre qu’un autre membre de l’équipe arrive en renfort, étant donné que le placard n’était pas encore sécurisé, et que la présence d’autres personnes ou d’autres armes était une réelle possibilité.

Ainsi, premièrement, j’accepte que l’AI no 1 a évalué correctement la situation et a réagi de façon appropriée lorsqu’il a mis son arme d’épaule en mode de sécurité et est entré dans la pièce pour intervenir directement. L’autre solution, qui consistait à utiliser son arme d’épaule, aurait évidemment pu avoir des conséquences beaucoup plus graves, voire mortelles, pour le plaignant.

De plus, lorsque le plaignant a refusé de se plier à l’ordre de montrer ses mains, puis s’est éloigné de l’AI no 1, ce dernier avait toutes les raisons de le tirer hors de la couchette supérieure du lit jusque sur le sol. Bien que le plaignant ait pu être blessé lorsqu’il a heurté le sol, j’accepte que l’AI no 1 a fait tout ce qui était en son pouvoir pour éviter que le plaignant ne soit blessé en faisant contact avec le sol, et que l’AI no 1, en tirant le plaignant du lit, n’avait pas l’intention de le blesser, mais simplement de le contraindre afin de garantir sa propre sécurité et celle des autres agents.

Enfin, je peux accepter, sans aucune réticence, que lorsque l’AT no 6 a crié [traduction] « Pistolet! Pistolet! » et que l’AI no 1 a observé l’arme à feu à la portée du plaignant, l’urgence de la situation a considérablement augmenté, car la vie de l’AI no 1, de ses collègues et d’autres personnes dans la maison aurait alors été en danger si le plaignant n’avait pas été immédiatement neutralisé et menotté. Par conséquent, malgré les blessures graves subies par le plaignant, dans cette situation de fait présentant un tel risque et des conséquences susceptibles d’entraîner la mort, je ne peux conclure que les actes de l’AI no 1 constituent un recours excessif à la force dans les circonstances. Comme l’a mentionné le juge Power dans sa décision dans l’affaire Chartier c. Grieves (susmentionnée),

« Il faut tenir compte dans une certaine mesure du fait qu’un agent, dans les exigences du moment, peut mal mesurer le degré de force nécessaire pour restreindre un prisonnier. […] C’est une chose que d’avoir le temps, dans un procès s’étalant sur plusieurs jours, de reconstituer et d’examiner les événements survenus le soir du 14 août, mais ç’en est une autre que d’être un policier se retrouvant au milieu d’une urgence avec le devoir d’agir et très peu d’un temps précieux pour disséquer minutieusement la signification des événements ou réfléchir calmement aux décisions à prendre. »

En conclusion, je juge que les actions auxquelles ont eu recours les AI nos 1 et 2 n’étaient pas excessives dans cette situation de fait particulière et qu’elles ne tombent pas non plus en dehors des limites du droit criminel. L’AI no 1 a été confronté à une situation d’extrême urgence, pour laquelle il avait été formé, et il a fait face à cette situation en éliminant le risque que le plaignant a continué de poser jusqu’à ce qu’il soit neutralisé et que l’arme à feu soit mise hors de sa portée. En outre, je souligne qu’une fois que le plaignant a été menotté, il n’y a plus eu de recours à la force de la part des policiers et il n’y a eu aucune autre allégation à cet égard par le plaignant ou qui que ce soit d’autre.

Dans le présent dossier, je conclus que la preuve n’est pas suffisante pour me convaincre qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un policier a eu recours à un usage excessif de la force pour maîtriser et arrêter le plaignant. En résumé, il n’y a pas de fondement pour le dépôt d’accusations criminelles et aucune accusation ne sera portée.


Date : 29 octobre 2018

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.