Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 20-TVI-182

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave (y compris une allégation d’agression sexuelle).

On doit englober dans les «â€‰blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de «â€‰blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur les blessures graves subies par un homme de 48 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 24 juillet 2020, à 17 h 57, le Service de police de Toronto (SPT) a informé l’UES de la blessure du plaignant et donné le rapport qui suit.

Le vendredi 24 juillet 2020, vers 16 h, un agent du SPT faisait des contrôles au radar sur Kingston Road, debout sur le bord de la chaussée, quand il a vu un véhicule arriver à une vitesse excessive. L’agent s’est avancé sur la chaussée pour faire signe au véhicule de s’arrêter. Le premier véhicule est parvenu à s’arrêter à la dernière seconde, tout comme le véhicule derrière lui. Cependant, une moto qui était derrière le deuxième véhicule ne s’est pas arrêtée à temps et a percuté l’arrière du deuxième véhicule. Le motocycliste a été éjecté de sa moto et a roulé dans la voie de circulation en sens inverse, où il a été heurté par un véhicule. Le motocycliste a subi une fracture à la jambe. Il a été emmené à l’Hôpital St. Michael (HSM) par les services paramédicaux de Toronto. Le SPT avait sécurisé les lieux. Des spécialistes de sciences judiciaires et de la reconstitution des collisions du SPT attendaient l’arrivée de l’UES.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 2

Sept témoins civils et deux agents témoins ont été interrogés. Le plaignant a été interrogé et a signé une autorisation de communication de ses dossiers médicaux de HSM.

Les enquêteurs de l’UES ont obtenu une copie des dossiers médicaux de HSM et une copie du rapport d’appel d’ambulance des services paramédicaux de Toronto. 
 

Plaignant

Homme de 48 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés


Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue
TC no 2 A participé à une entrevue
TC no 3 A participé à une entrevue
TC no 4 A participé à une entrevue
TC no 5 A participé à une entrevue
TC no 6 A participé à une entrevue
TC no 7 A participé à une entrevue 

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue


Agents impliqués

AI N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.



Éléments de preuve

Les lieux

Le 24 juillet 2020, à 20 h 15, l’enquêteur principal spécialiste des sciences judiciaires de l’UES est arrivé sur les lieux de l’incident sur Kingston Road, à l’ouest de Lakehurst Drive. Il a pris des photographies des lieux. Un spécialiste de la reconstitution des collisions de l’UES a analysé et pris des mesures des lieux.

À l’endroit où la collision s’est produite, Kingston Road est une route goudronnée à quatre voies, deux vers l’est et deux vers l’ouest. Les voies en directions opposées sont délimitées par un terre-plein central bétonné d’une largeur de 4,9 mètres. Les voies dans la même direction sont délimitées par des lignes discontinues de couleur blanche. La limite de vitesse affichée sur Kingston Road est de 50 km/h.

Le temps était clair et chaud et la visibilité était bonne.

Schéma des lieux

Schéma des lieux

Éléments de preuve matériels/médicolégaux

Une Chevrolet Malibu blanche était arrêtée dans la voie de droite en direction est de Kingston Road, juste à l’ouest de Lakehurst Drive. Son centre de gravité approximatif était à 14,7 mètres à l’ouest du bord est de la chaussée de Lakehurst Drive et à 1,2 mètre au nord du bord sud de la chaussée de Kingston Road. La Malibu n’était pas endommagée.

Un Ford Ranger 2019 noir était arrêté derrière la Malibu. Le coin arrière gauche du Ranger était endommagé. Son centre de gravité approximatif était à 25,8 mètres à l’ouest du bord est de la chaussée de Lakehurst Drive et à 1,2 mètre au nord du bord sud de la chaussée de Kingston Road. Les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES et des agents de police du SPT ont tenté de télécharger le module de commande des coussins gonflables, mais n’y sont pas parvenu parce que le module (fabriqué par Bosch) n’était pas compatible avec l’outil d’enregistrement des données d’accident.

Figure 1 - Les dommages sur le coin arrière gauche, du Ford.
Figure 1 - Les dommages sur le coin arrière gauche, du Ford.


Une moto noire Harley-Davidson Dyna gisait sur le côté au centre de la route, juste derrière le Ranger. Son centre de gravité approximatif était à 33,1 mètres à l’ouest du bord est de la chaussée de Lakehurst Drive et à 4,7 mètres au nord du bord sud de la chaussée de Kingston Road. Il y avait des rayures sur la chaussée derrière la moto, jusqu’à l’endroit où elle se trouvait. Des débris de collision étaient éparpillés sur les deux voies derrière la motocyclette. La vitesse minimale calculée de la moto à l’impact était de 50,8 km/h.

Figure 2 - La moto noire du plaignant.
Figure 2 - La moto noire du plaignant.


Une Mazda 3 noire était arrêtée dans la voie centrale, juste à l’ouest de la moto. Son centre de gravité approximatif était à 37,6 mètres à l’ouest du bord est de la chaussée de Lakehurst Drive et à 6,7 mètres au nord du bord sud de la chaussée de Kingston Road. Le coin avant droit de la Mazda était endommagé. Il y avait des rayures sur la chaussée menant à l’emplacement de la moto Harley-Davidson. Des débris et des fragments d’os étaient éparpillés à proximité de la Mazda et de la Harley-Davidson. D’après les données du module de commande des coussins gonflables, la Mazda roulait à 68 km/h, 5 s avant la collision, puis a ralenti à 65 km/h 2 s avant la collision. Elle a freiné à ce moment-là et a ralenti à 37 km/h au moment de la collision.

Figure 3 - Les dommages au coin avant droit de la Mazda.
Figure 3 - Les dommages au coin avant droit de la Mazda.

Enregistrements des communications de la police

À 15 h 51 min 57 s, l’AI signale une collision impliquant un motocycliste sur Kingston Road, à l’ouest de Lakehurst Road. Une ambulance est demandée pour un homme blessé à la jambe et à la tête. L’homme est conscient et respire. À 15 h 52 min 38 s, un communicateur de la police appelle l’ambulance. À 15 h 53 min 20 s, l’AI dit par radio que la moto a percuté l’arrière d’un véhicule. L’AI demande une unité de contrôle de la circulation à l’intersection de Birchmount Road et Kingston Road, et une unité demande qu’on la mette sur l’appel. À 15 h 54 min 50 s, l’AI fournit les numéros de plaque d’immatriculation de la moto et des véhicules concernés. À 15 h 56 min 8 s, l’AI demande si les Services d’incendie de Toronto vont venir.

À 15 h 56 min 23 s, le répartiteur déclare [traduction] : « il semble qu’une unité de la division 41 est tombée sur ça, une moto impliquée, motocycliste de 40 ans, conscient et respire. » Le répartiteur demande qu’on envoie une ambulance d’urgence en raison d’un possible traumatisme crânien. À 15 h 56 min 41 s, un agent dit [traduction] : « On dirait que le véhicule lui a roulé dessus. » À 16 h 10 min 48 s, une unité dit qu’elle va escorter une ambulance à l’Hôpital St. Michael et, à 16 h 15 min 54 s, l’escorte d’urgence commence.

Éléments obtenus auprès du service de police

Sur demande, l’UES a obtenu et examiné les documents et éléments suivants du SPT :
  • Rapport de détails d’événement du système de répartition assistée par ordinateur;
  • Enregistrements des communications;
  • Résumé de l’incident;
  • Rapport d’accident de véhicule automobile;
  • Notes des agents témoins;
  • Rapport d’incident;
  • Procédure – contrôle de vitesse;
  • Liste de témoins civils du SPT;
  • Liste des témoins de la police du SPT;
  • Photos des lieux prises par le SPT.

Éléments obtenus auprès d’autres sources :

L’UES a également obtenu les documents suivants de sources autres que la police :
  • Rapport d’appel d’ambulance;
  • Dossier médical de l’Hôpital St. Michael;
  • Photographies prises par un témoin civil.

Description de l’incident

La séquence d’événements suivante découle des éléments de preuve recueillis par l’UES, notamment des entrevues avec le plaignant et avec des automobilistes qui étaient impliqués dans les événements en question ou en ont été les témoins. L’AI n’a pas consenti à participer à une entrevue avec l’UES ni à remettre une copie de ses notes sur l’incident, comme il en avait le droit.

Dans l’après-midi du 24 juillet 2020, l’AI était debout au coin sud-ouest de l’intersection de Kingston et de Lakehurst Drive, où il procédait à des contrôles de vitesse avec un radar portatif. Vers 15 h 50, l’agent a chronométré une Malibu blanche qui roulait à une vitesse excédant la limite de 50 km/h. L’AI a décidé d’arrêter le véhicule pour donner une contravention pour excès de vitesse; il s’est avancé sur la chaussée en faisant signe au conducteur de s’arrêter sur le bord de la route.

Le conducteur de la Malibu s’est arrêté, ce qui a forcé le véhicule qui le suivait – une camionnette noire conduite par le TC no 2 – à freiner brusquement pour éviter de percuter l’arrière de la Malibu. Au même moment, le plaignant, qui roulait à moto derrière la camionnette, a tenté sans succès de contourner la camionnette sur la gauche pour éviter une collision. Sa moto a heurté l’arrière de la camionnette. Sur le coup, la moto a été propulsée dans la voie de dépassement où une Mazda qui roulait vers l’est l’a heurtée.

Après la collision, l’AI s’est approché du motocycliste et a demandé une ambulance. Les ambulanciers paramédicaux sont arrivés sur les lieux et ont emmené le plaignant à l’hôpital où on lui a diagnostiqué plusieurs fractures au visage et à la jambe droite.

Dispositions législatives pertinentes

Articles 219 et 221, Code criminel -- Négligence criminelle causant des lésions corporelles

219 (1) est coupable d’une négligence criminelle quiconque :
a) soit en faisant quelque chose;
b) soit en omettant de faire quelque chose qui est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. 
(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

221 Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans quiconque, par négligence criminelle, cause des lésions corporelles à autrui.

Analyse et décision du directeur

Le 24 juillet 2020, le plaignant a été grièvement blessé lorsque sa moto est entrée en collision avec une camionnette sur Kingston Road, à Toronto. La camionnette s’était arrêtée brusquement derrière un autre véhicule, qui avait également freiné brusquement lorsqu’un agent avait fait signe à son conducteur de s’arrêter sur le bord de la route. L’agent – l’AI – faisait des contrôles de vitesse avec un radar portatif. Il a été identifié comme étant l’agent impliqué aux fins de l’enquête de l’UES. Après avoir évalué les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI ait commis une infraction criminelle en lien avec les blessures du plaignant.

L’infraction à prendre en considération est la négligence criminelle causant des lésions corporelles, une infraction visée par l’article 221 du Code criminel. La culpabilité serait fondée, en partie, sur la conclusion que la conduite constituait un écart marqué et important par rapport au degré de diligence qu’une personne raisonnable aurait exercé dans les circonstances. En l’espèce, la question est de savoir si l’AI a exercé une diligence raisonnable lorsqu’il s’est avancé sur la chaussée pour effectuer un arrêt de la circulation et, dans la négative, s’il a fait preuve d’une négligence justifiant une sanction pénale. À mon avis, la preuve n’est pas suffisante pour conclure raisonnablement que l’AI a commis une infraction criminelle.

Pour commencer, je suis convaincu, pour des motifs raisonnables, que l’AI s’acquittait légalement de ses fonctions lorsqu’il a décidé d’arrêter la Malibu pour excès de vitesse. Par la suite, même si l’AI semble avoir peut-être tardé à faire signe à l’AT no 1 de s’arrêter, la preuve ne permet pas d’établir une quelconque négligence criminelle de sa part dans l’exercice de ses fonctions. Même si l’AI était peut-être très près de la Malibu quand il s’est avancé sur la chaussée, il n’en demeure pas moins que le TC no 1 et le TC no 2 ont vu l’agent et ont pu s’arrêter en toute sécurité, même s’ils ont dû le faire rapidement. Quant à savoir pourquoi le plaignant n’a pas pu arrêter sa moto de la même façon, il semble que cela résulte d’un manque de prudence de sa part. Selon certains éléments de preuve, le plaignant zigzaguait entre la voie de droite et la voie de dépassement à l’approche de Lakehurst Drive. Ainsi, même si l’AI aurait dû peut-être prévoir une plus grande distance d’arrêt avant de signaler à un véhicule de s’arrêter, son omission de le faire n’équivaut pas à un écart marqué et important par rapport à un degré de diligence raisonnable dans les circonstances.

En conséquence, bien que j’accepte que la conduite de l’AI ait déclenché une série d’événements à l’origine des blessures du plaignant, je suis convaincu que l’agent s’est comporté dans les limites de la diligence prescrite par le droit criminel. Il n’y a donc pas lieu de déposer des accusations criminelles dans cette affaire, et le dossier est clos.


Date : 25 janvier 2021

Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.