Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-TCD-350

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave (y compris une allégation d’agression sexuelle).

On doit englober dans les «â€‰blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de «â€‰blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.
Le rapport porte sur l’enquête menée par l’UES au sujet du décès d’un homme de 57 ans (« plaignant ») durant son arrestation le 26 novembre 2017.

L’enquête

Notification de l’UES

À environ 0 h 15 le 27 novembre 2017, le Service de police de Toronto a avisé que la veille en soirée, des gardiens de sécurité de la Toronto Community Housing Corporation (TCHC) avaient reçu un appel signalant que quelqu’un frappait une autre personne avec un bâton de baseball. Les agents de la TCHC avaient trouvé le suspect, l’avaient arrêté pour agression et avaient ensuite appelé la police.

Quatre agents du Service de police de Toronto ont été dépêchés sur les lieux. À leur arrivée, deux agents sont montés à l’étage en question pour parler avec la victime des voies de fait. Les deux autres policiers se sont rendus au poste de sécurité de la TCHC pour discuter avec le suspect. Lorsqu’ils sont entrés, le suspect était menotté et assis sur une chaise. Les deux agents l’ont fait lever pour procéder à une fouille sommaire, puis ils l’ont fait rasseoir. Tandis qu’ils attendaient que les deux autres agents reviennent au bureau de sécurité, l’homme est tombé au sol et on a constaté l’absence de signes vitaux.

Les ambulanciers paramédicaux venus sur place pour prodiguer des soins à la victime ont été appelés au poste de sécurité. L’homme a été conduit à l’hôpital, où il a été déclaré mort à 23 h 15.

À 1 h 7 le 27 novembre 2017, le Service de police de Toronto a communiqué à l’UES l’identité du plaignant. 

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4
Nombre de spécialistes de la reconstitution des collisions assignés : 2

Plaignant :

Homme de 57 ans décédé

Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue
TC no 2 A participé à une entrevue

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AT no 2 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AT no 3 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AT no 4 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 5 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 6 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 7 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 8 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 9 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 10 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire

Agents impliqués

AI no 1 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AI no 2 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées


Description de l’incident

Le plaignant habitait l’immeuble de la TCHC situé dans la ville de Toronto, où il était en conflit depuis un certain temps avec son voisin immédiat, qui le dérangeait à cause de la musique qu’il faisait jouer fort.

Dans la soirée du 26 novembre 2017, le voisin en question faisait encore une fois jouer de la musique fort. Armé d’un bâton de baseball, le plaignant s’est rendu au logement de son voisin pour aller se plaindre. Il s’est ensuivi une bagarre durant laquelle le plaignant a frappé le voisin avec son bâton de baseball, et le voisin a pris un couteau. Une autre résidente de l’immeuble a été témoin d’une partie de l’incident et a donné l’alerte aux gardiens de sécurité de la TCHC, à leur poste du hall d’entrée.

Les gardiens de sécurité de la TCHC, soit les témoins civils (TC) nos 1 et 2, se sont rendus au logement du voisin. Le TC no 1 est arrivé avant le TC no 2. Le TC no 1 a vu que le voisin était incliné dans son fauteuil roulant et était couvert de sang et qu’il y avait un couteau sur le sol à proximité. Le TC no 1 a aussi remarqué que le plaignant était en possession d’un bâton de baseball.

Le TC no 1 a supposé que le plaignant avait frappé le voisin avec le bâton de baseball. Il a arrêté le plaignant et lui a menotté les mains derrière le dos, puis il a appelé le 911 pour demander une ambulance et la police. Le TC no 1 a ensuite escorté le plaignant jusqu’au poste de sécurité dans le hall d’entrée. Le plaignant s’est montré coopératif.

Lorsque les deux premiers agents en uniforme du Service de police de Toronto, soit les AT nos 1 et 2, sont arrivés sur les lieux, ils sont montés au logement du voisin pendant que le plaignant était escorté en direction du rez-de-chaussée dans un autre ascenseur qui descendait. Les troisième et quatrième gardiens de sécurité, soit les AI nos 1 et 2, sont allés rejoindre les TC nos 1 et 2 dans le hall d’entrée, où le plaignant était assis.

L’AT no 1 a expliqué aux agents ce qui avait motivé l’arrestation du témoin, et il leur a remis le bâton de baseball et le couteau. L’AT no 2 a mis le plaignant sous garde et l’a fouillé. Pendant ce temps, le plaignant continuait de se montrer coopératif.

Environ neuf minutes après avoir été mis sous la garde de la police, le plaignant qui, jusque-là, était assis et parlait normalement avec l’AI no 2, s’est soudainement effondré et il est tombé au sol sans avoir donné le moindre signe de malaise au préalable. Les ambulanciers paramédicaux toujours sur place, qui étaient en train de prodiguer des soins au voisin, ont été appelés d’urgence au poste de sécurité et sont arrivés sans tarder. Les agents de police, les gardiens de sécurité et le personnel de la TCHC ont tous tenté de porter secours au plaignant, mais on a constaté qu’il n’avait plus de signes vitaux.

Le plaignant a été conduit à l’hôpital, où il a été déclaré mort à 1 h 7 le 27 novembre 2017.

Cause du décès

Une autopsie a été pratiquée sur le corps du plaignant le 28 novembre 2017. En attendant les résultats de toxicologie, le médecin légiste a conclu que la cause préliminaire du décès était une maladie coronarienne athérosclérotique.

L’« athérosclérose » est une maladie qui se caractérise par la formation d’une plaque qui s’accumule dans les artères. Avec le temps, la plaque durcit et entrave la circulation du sang vers le cœur et les autres parties du corps et finit par causer la mort.

Selon le médecin légiste qui a procédé à l’autopsie, le plaignant était condamné dès qu’il est tombé au sol et aucune intervention médicale, quelle qu’elle soit, n’aurait pu lui sauver la vie. La conclusion finale sur la cause du décès figurant dans le rapport d’autopsie était la suivante :

Maladie coronarienne arthérosclérotique et hypertension avec :

a. rétrécissement sévère de l’artère coronaire;
b. cardiomégalie, 700 g,
c. occlusion thrombotique organisée et éloignée de l’artère coronaire droite;
d. fibrose myocardique généralisée.

Éléments de preuve

Les lieux

Les événements se sont déroulés dans l’immeuble d’habitation de la TCHC situé dans la ville de Toronto. Le poste de sécurité se trouve tout près de la porte d’entrée, au rez-de-chaussée. Le secteur était sécurisé et gardé par les agents du Service de police de Toronto à l’arrivée des enquêteurs de l’UES.

Le poste de sécurité comptait deux portes d’entrée, de part et d’autre du mur vitré. Il y avait deux chaises adossées aux fenêtres, en face du comptoir, soit une chaise bleue sans accoudoirs et une chaise pliante rouge.

Il y avait un long comptoir dont la majeure partie se trouvait au centre de la pièce. Il y avait deux fauteuils de bureau derrière le comptoir.

Une paire de menottes noires se trouvait sur le comptoir, avec les effets personnels du plaignant et de l’attirail d’ambulance. Sur le sol, directement devant le comptoir, on trouvait d’autre matériel d’ambulance et des effets personnels. Il y avait une tache de sang sur le sol, à proximité des chaises.

Deux caméras de sécurité fixées au plafond et dirigées vers le comptoir se trouvaient dans le poste de sécurité. L’une des caméras était adossée au mur ouest et l’autre, au mur nord.

Les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES sont montés au 6e étage et n’y ont trouvé aucun élément de preuve.

Le poste de sécurité a été documenté par des mesures pour permettre la création d’un diagramme assisté par ordinateur, et des photographies ainsi que des éléments de preuve ont été pris.

Éléments de preuves médicolégaux

Des échantillons biologiques prélevés durant l’autopsie ont été remis au Centre des sciences judiciaires pour faire l’objet d’analyses.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou photographiques

Enregistrements des caméras de vidéosurveillance

L’unité de la sécurité du Service de police de Toronto a fourni les enregistrements vidéo des événements captés par les caméras de vidéosurveillance. Il y avait deux caméras dans le poste de sécurité et une autre qui filmait la zone des ascenseurs. Les enregistrements étaient de bonne qualité.

Les enregistrements montrent qu’à 21 h 2, les TC nos 2 et 1 sont entrés dans l’immeuble en passant par la porte d’entrée et se sont rendus au poste de sécurité.

À 21 h 7, la dame ayant signalé l’incident impliquant le plaignant et son voisin est venue cogner à la fenêtre du poste de sécurité et elle a agité les mains pour attirer l’attention des gardiens de sécurité. On voit ensuite les TC nos 2 et 1 quitter le poste. Le TC no 2 a alors suivi le témoin en direction du hall principal pour prendre l’ascenseur, tandis que le TC no 1 retournait au poste de sécurité.

À 21 h 7, on aperçoit les AT nos 1 et 2 qui sont entrés dans l’immeuble et ont pris l’ascenseur.

À 21 h 19, le TC no 2 est sorti de l’ascenseur. Il avait un bâton de baseball gris à la main gauche. Il était accompagné du plaignant, qui avait les mains menottées derrière le dos. Les deux se sont approchés de la porte du poste de sécurité, où ils ont attendu l’arrivée de l’ambulance. Le TC no 2 a laissé entrer dans le hall les ambulanciers paramédicaux, qui se sont rendus à l’ascenseur.

À 21 h 22, le TC no 1 est arrivé au poste de sécurité avec les clés et a ouvert la porte. Le TC no 2 a fait entrer le plaignant dans le poste et est entré derrière lui.

À 21 h 23, le plaignant était assis sur une chaise bleue le long de la fenêtre avec les mains dans le dos et il avait un morceau de tissu blanc dans la main. Il a regardé vers le sol, en respirant rapidement. Il n’avait aucune blessure visible. L’AT no 1 a placé un grand couteau de cuisine avec un manche noir sur le bureau et le bâton de baseball derrière le bureau.

À 21 h 23, les AI nos 1 et 2 sont entrés dans l’immeuble. L’AI no 2 a pénétré dans le poste de sécurité et a semblé s’adresser au plaignant, qui a échangé quelques mots avec elle. L’AI no 1 a sorti son carnet de notes et a commencé a discuter avec le plaignant tout en restant debout et en écrivant sur le bureau. Les deux gardiens de sécurité sont restés derrière le bureau avec leurs notes. L’AI no 1 et le TC no 2 ont conversé en dehors du poste de sécurité.

À 21 h 24, l’AT no 3 est entré dans l’immeuble. Il a adressé la parole à l’AI no 1 en dehors du poste, puis s’est dirigé ver le hall principal pour prendre l’ascenseur. L’AI no 1 est demeuré dans la porte du bureau tandis que l’AI no 2 parlait avec le plaignant..

À 21 h 25, les agents spéciaux de la TCHC sont arrivés et l’un d’eux est entré dans le poste de sécurité.

À 21 h 28, l’AI no 2 a semblé demander au plaignant de se lever. Celui-ci a obtempéré et il a laissé tomber son morceau de tissu sur la chaise bleue. Les AI nos 1 et 2 ont fouillé les poches du plaignant et le collet de sa chemise. L’AI no 2 a retiré des clés d’un cordon qui se trouvaient dans la poche droite du plaignant. Le plaignant s’est ensuite assis sur la chaise bleue, avec les mains menottées derrière le dos. Celui-ci a parlé calmement pendant les 8 minutes suivantes environ avec les AI nos 1 et 2 et les deux gardiens de sécurité.

À 21 h 31, l’AI no 1 a pris possession du couteau et du bâton de baseball et est sorti de l’immeuble.

À 21 h 36, le plaignant était toujours sur la chaise de plastique. Il s’est tourné vers la droite, du côté droit du poste en faisant face à l’AI no 2 et en lui parlant. Le plaignant s’est soudainement renversé vers l’arrière du côté gauche. Le derrière de sa tête a cogné le dossier de la chaise de plastique rouge du côté gauche. Il s’est effondré et est tombé la face contre le sol. Pendant ce temps, l’AI no 2 se tenait sur le mur droit, à 1,5 mètre du plaignant. L’AT no 3 se tenait dans l’entrée de porte, à une distance de 1,2 mètre du plaignant. Les deux gardiens de sécurité se trouvaient derrière le bureau. Personne d’autre n’était présent dans la salle.

L’AI no 2 et le TC no 2 se sont portés au secours du plaignant, suivis de l’agent spécial. Ils ont placé le plaignant en position de récupération, du côté droit. Le plaignant semblait respirer péniblement. L’AT no 3 est sorti de l’immeuble et est revenu avec un ambulancier paramédical.

Pendant environ 17 minutes, quatre ambulanciers paramédicaux, l’AI no 2 et l’agent spécial ont prodigué des soins au plaignant.

Enregistrements de communications

Sommaire des communications de la police

À 21 h 13, le TC no 2 a appelé le 911 et a demandé une ambulance. Il a ensuite passé le téléphone au TC no 1, qui a donné plus de détails et a notamment signalé que le plaignant était dans le logement, sous la garde du TC no 2. Il a précisé que le plaignant n’avait pas une attitude violente. Il a ajouté qu’ils avaient trouvé un bâton de baseball avec du sang et un couteau sans trace de sang.

Le superviseur de la sécurité a alors pris l’appareil. Il a dit que le plaignant était sous garde. On entend sur l’enregistrement le superviseur de la sécurité dire au TC no 2 d’amener le plaignant au poste de sécurité.

À 21 h 15, les AI nos 1 et 2 ont été dépêchés sur les lieux, tout comme les AT nos 1 et 2, avec plusieurs agents dont l’AT no 3.

À 21 h 23, les AT nos 1 et 2 ont fait un compte rendu des faits sur la radio de la police et ont notamment signalé que le plaignant était sous garde au poste de sécurité.

À 21 h 27, l’AI no 2 a demandé au répartiteur de faire une vérification sur le plaignant à l’ordinateur. Elle a reçu comme réponse que le plaignant était signalé comme violent, mais qu’il n’avait aucune accusation en instance.

Il n’y a pas eu de communications par radio au sujet du malaise du plaignant avant 22 h 4, lorsque les AT nos 1 et 2 ont dit au répartiteur qu’ils suivaient l’ambulance en direction de l’hôpital.

Éléments obtenus auprès du Service de police

Sur demande, l’UES a obtenu et examiné les documents et éléments suivants du Service de police de Toronto :
  • registre de service des agents des 26 et 27 novembre 2017;
  • rapport des détails de l’événement;
  • enregistrement de l’appel au 911;
  • enregistrement des communications de la police;
  • empreintes digitales du plaignant;
  • notes des AT nos 1 à 10 et des AI nos 1 et 2;
  • rapport d’incident général;
  • rapport d’incident (mort subite) (rapport initial et rapport complet);
  • procédure du Service de police de Toronto relative à l’arrestation et à la mise en liberté;
  • procédure du Service de police de Toronto relative aux personnes sous garde;
  • procédure du Service de police de Toronto relative aux décès de personnes sous garde;
  • procédure du Service de police de Toronto relative aux urgences médicales;
  • déclaration écrite d’un agent non désigné.

L’UES a obtenu et examiné les documents et éléments suivants d’autres sources :
  • enregistrements d’une caméra de surveillance;
  • rapport d’appel d’ambulance;
  • conclusion du rapport du coroner;
  • rapports d’incident des ambulanciers (4);
  • résumé détaillé de l’incident par les ambulanciers;
  • notes des agents spéciaux de la TCHC (5);
  • rapport d’autopsie.

Dispositions législatives pertinentes

Article 267 du Code criminel -- Agression armée ou infliction de lésions corporelles

267 Est coupable soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois quiconque, en se livrant à des voies de fait, selon le cas :
a) porte, utilise ou menace d’utiliser une arme ou une imitation d’arme
b) inflige des lésions corporelles au plaignant

Articles 219 et 220 du Code criminel -- Négligence criminelle

219 (1) est coupable d’une négligence criminelle quiconque :
a) soit en faisant quelque chose;
b) soit en omettant de faire quelque chose qui est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. 
(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

220 Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible :
a) s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;
b) dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité.

Analyse et décision du directeur

Le 26 novembre 2017, un appel au 911 a été reçu par le Service de police de Toronto, qui demandait l’assistance de la police et une ambulance à un immeuble de la Toronto Community Housing Corporation (TCHC) de la ville de Toronto. Les appelants, soit les gardiens de sécurité de l’immeuble, ont signalé une bagarre entre deux résidents de l’immeuble, qui a amené les gardiens de sécurité à appréhender un des locataires, tandis que l’autre avait besoin de soins médicaux.

À la suite de cet appel, quatre agents se sont rendus à l’adresse donnée, soit les AT nos 1 et 2 et les AI nos 1 et 2.

Pendant qu’il était sous garde de la police, le plaignant, qui avait déjà été arrêté par les gardiens de sécurité mais dont la garde avait été transférée aux AI nos 1 et 2, s’est effondré sur le sol et il n’avait plus de signes vitaux. Il a par la suite été transporté à l’hôpital où il a été déclaré mort à 1 h 7 le 27 novembre 2017.

Par chance, toutes les interactions entre la police et le plaignant ont été enregistrées par caméra de vidéosurveillance et les enregistrements étaient d’excellente qualité. Il n’y a donc aucun doute sur ce qui s’est passé pendant que le plaignant était sous la garde de la police. Pour l’enquête, en plus des enregistrements, on a pu faire une entrevue avec deux témoins civils et trois témoins de la police en plus des deux AI. La version des faits de toutes les personnes interrogées concordait avec ce que montraient les enregistrements audio et vidéo, et il n’est donc pas possible de contester ce qui s’est passé.

À l’arrivée sur les lieux des deux premiers agents, soit les AT nos 1 et 2, ils sont montés au 6e étage de l’immeuble, où ils ont tenté d’obtenir des renseignements auprès de l’autre locataire ayant pris part à l’altercation. Les ambulanciers ont aussi voulu prêter assistance au locataire, mais il refusait de collaborer, aussi bien avec la police qu’avec les ambulanciers, et il a refusé de répondre aux questions et de subir un examen médical.

Tandis que les AT nos 1 et 2 se trouvaient avec le locataire au 6e étage, les AI nos 1 et 2 sont arrivés et se sont rendus au poste de sécurité de l’immeuble, là où le plaignant était sous la garde des gardiens de sécurité et menotté. Il était en état d’arrestation pour agression armée.

Les deux gardiens de sécurité, soit les TC nos 1 et 2, ont expliqué aux AI nos 1 et 2 pourquoi ils croyaient que le plaignant avait procédé à une agression armée enfreignant l’article 267 du Code criminel. Les TC nos 1 et 2 ont déclaré aux AI nos 1 et 2 qu’un témoin leur avait demandé de se rendre au 6e étage dans la soirée à cause d’une bagarre entre le plaignant et son voisin. Il semblerait que le plaignant et son voisin étaient en conflit depuis un certain temps parce que le voisin faisait jouer de la musique fort. (Lorsque la police est montée au 6e étage pour parler au voisin, elle a constaté que celui-ci avait délibérément tourné ses enceintes vers le mur séparant son logement de celui du plaignant dans le but présumé d’irriter le plaignant, ce qu’il semble avoir fonctionné.)

Lorsque les gardiens de sécurité sont arrivés au logement du voisin, ils ont constaté que celui-ci était incliné dans son fauteuil roulant et qu’il était couvert de sang, tandis que le plaignant était armé d’un bâton de baseball. Le plaignant a alors été arrêté par les gardiens de sécurité, et le bâton ainsi que le couteau, trouvé sur le sol près du voisin, ont été confisqués. Les gardiens de sécurité ont indiqué que le plaignant était coopératif et il lui ont passé les menottes pour ensuite le ramener au poste de sécurité au rez-de-chaussée.

À partir du moment où le plaignant est arrivé avec les deux gardiens de sécurité au rez-de-chaussée, toutes les interactions avec le plaignant ont été enregistrées, tout comme l’arrivée des AI nos 1 et 2 à 21 h 23 et leurs interactions avec le plaignant.

Il ressort clairement de la vidéo, comme des déclarations de tous les témoins, que dès l’arrivée de la police au poste de sécurité, le plaignant, qui était déjà menotté, a discuté avec la police. Après avoir été mises au courant des motifs pour lesquels le plaignant avait été arrêté par les deux gardiens de sécurité, les agentes du Service de police de Toronto ont convenu qu’il existait des motifs suffisants d’arrêter le plaignant et ils ont pris en charge la mise sous garde du plaignant, en lui redisant qu’il était en état d’arrestation, en lui mentionnant ses droits selon la Charte et en prononçant les autres paroles d’usage dans les circonstances.

On voit le plaignant se lever à 21 h 28 et les agents qui lui font une fouille sommaire pour vérifier s’il est en possession d’armes, ce qui n’était pas le cas. Le plaignant a ensuite regagné son siège et tous les occupants du poste, y compris les policières et les gardiens de sécurité, ont continué d’attendre avec le plaignant les résultats de l’entrevue avec le voisin. Le plaignant a ensuite engagé une conversation informelle avec les AI nos 1 et 2 et les deux gardiens de sécurité.

On voit clairement dans la vidéo que durant l’attente, le seul contact physique entre les AI nos 1 et 2 et le plaignant s’est produit durant la fouille sommaire. Par la suite, l’AI no 1 est sorti du poste, d’abord pour aller mettre les éléments de preuve saisis dans sa voiture de police, puis pour aller parler à l’AT no 3, qui venait d’arriver dans l’immeuble. L’AI no 2 et les TC nos 1 et 2 sont demeurés dans le poste et ils avaient l’air d’écrire dans leur carnet de notes par moments et de parler avec le plaignant à d’autres moments. Le plaignant n’avait pas l’air affolé ni en colère, mais on a dit qu’il essayait plutôt de s’excuser et il était assis calmement sur sa chaise en parlant avec l’AI no 2 lorsqu’il s’est soudainement affaissé vers l’arrière, du côté gauche, pour ensuite tomber sur le sol.

Au moment de la chute du plaignant, l’AI no 2 était debout à environ 1,5 mètre du siège du plaignant, et les deux gardiens de sécurité étaient derrière le bureau, tandis que l’AT no 3 se tenait dans la porte, à approximativement 1,2 mètre du plaignant. L’AI no 1 n’était pas au poste de sécurité à ce moment-là.

La vidéo montre que l’AI no 2 et le TC no 2 se sont immédiatement portés au secours du plaignant et qu’ils ont été suivis de près par l’agent spécial de la TCHC. L’AT no 3 est pour sa part sorti de la salle pour aller chercher un ambulancier.

Quatre ambulanciers, l’AI no 2 et l’agent spécial de la TCHC ont procédé à des manœuvres de réanimation sur le plaignant pendant 17 minutes, puis celui-ci a alors été sorti de la salle par les ambulanciers et transporté à l’hôpital, où le décès a été constaté à 1 h 7.

Le paragraphe 25 (1) du Code criminel accorde une exemption qui autorise les agents de police à utiliser la force dans l’exécution de leurs fonctions légitimes, mais seulement dans la limite de ce qui est raisonnablement nécessaire dans les circonstances, mais je n’ai pas l’impression qu’il soit nécessaire de recourir à cette disposition en l’occurrence, puisqu’on voit clairement dans la vidéo que les AI nos 1 et 2, ni aucun autre agent, n’ont à aucun moment fait usage de la force contre le plaignant.

De plus, il ressort clairement, d’après les renseignements donnés par les TC nos 1 et 2, que l’arrestation était basée sur des motifs raisonnables et donc justifiée légalement. Lorsque les AI nos 1 et 2 ont pris en charge la garde du plaignant et lui ont répété qu’il était en état d’arrestation, il était légitime pour eux d’agir ainsi d’après l’information qu’ils détenaient. Ils avaient donc des motifs raisonnables de procéder à l’arrestation. C’est donc dire que ce qu’ils ont fait était légitime et qu’ils agissaient en toute légalité.

Puisque rien n’indique que les agents du Service de police de Toronto aient fait le moindre emploi de la force contre le plaignant, je vais, par souci d’extrême prudence, me pencher sur le seul autre motif susceptible d’être invoqué dans des poursuites au criminel, soit une accusation de négligence criminelle ayant causé la mort prévue à l’article 220 du Code criminel. Puisqu’il ne fait aucun doute que le décès du plaignant n’est pas directement attribuable aux gestes de quelque agent du Service de police de Toronto que ce soit, ce qui reste à vérifier, c’est si les AI nos 1 ou 2 ont manqué à leur devoir envers le plaignant. Ce qu’il faut se demander exactement, c’est si l’AI no 1 ou no 2 a omis de faire quoi que ce soit qui relevait de son devoir et que, ce faisant, elle a fait montre d’une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui (article 219 du Code criminel, définition de négligence criminelle).

De nombreuses décisions des tribunaux supérieurs définissent les conditions à remplir pour prouver qu’il y a eu négligence criminelle et, même si la plupart concernent des infractions relatives à la conduite automobile, les tribunaux ont montré clairement que les mêmes principes s’appliquent à d’autres comportements.

Pour avoir des motifs raisonnables de penser que l’AI no 1 ou no 2 a fait preuve de négligence criminelle ayant causé la mort, il faut d’abord avoir des motifs raisonnables de croire qu’elles avaient envers le plaignant un devoir dont elles ne se seraient pas acquittées et que, comme dans l’affaire R. c. J.F. [2008] 3 S.C.R. 215, cette omission représentait un écart marqué et important par rapport à la conduite d’une personne raisonnablement prudente dans des circonstances où les agents soit ont eu conscience d’un risque grave et évident pour la vie du plaignant, sans pour autant l’écarter, soit ne lui ont accordé aucune attention. Les tribunaux ont aussi fait ressortir clairement que les lésions corporelles au plaignant auraient dû être prévisibles pour les AI nos 1 et 2 [R c. Shilon (2006) 240 C. C. C. (3d) 401 C.A. Ont.] pour qu’on les considère comme fautives.

Je juge sans hésitation que, pendant qu’il était sous sa garde, la police avait le devoir d’assurer la sécurité du plaignant, dans la mesure du possible. Je considère également que, pendant que le plaignant discutait calmement assis sur une chaise du poste de sécurité, aucune personne présente n’aurait pu prévoir, d’après ce que montre l’enregistrement vidéo, qu’il souffrait ou avait un sérieux problème médical. Par conséquent, il est évident que le décès tragique du plaignant n’était pas prévisible dans les circonstances et que le fait qu’il se soit effondré n’avait rien à voir avec la façon dont les agentes chargées d’assurer sa sécurité l’avaient traité ni avec les agissements des gardiens de sécurité qui avaient le même devoir avant l’arrivée de la police.

En outre, il semblerait qu’au lieu d’avoir fait preuve de négligence criminelle dans leur devoir envers le plaignant, toutes les parties présentes aient agi avec célérité lorsqu’ils s’est affaissé subitement, puisqu’elles ont immédiatement entrepris des manœuvres de réanimation du plaignant, tandis que l’AT no 3 allait chercher les ambulanciers, qui étaient sur le point de quitter les lieux, pour les ramener au poste de sécurité afin qu’il portent secours au plaignant.

Il ne m’est donc pas possible dans ce dossier de trouver des motifs raisonnables de croire que les agissements des AI nos 1 ou 2 ni de tout agent, gardien de sécurité ou agent spécial de la TCHC aient pu remplir les conditions nécessaires pour justifier des accusations en vertu de l’article 220 du Code criminel vu qu’aucune de ces personnes n’a omis de s’acquitter de son devoir, que leurs actions ne représentaient pas un écart marqué et important par rapport à la conduite d’une personne raisonnablement prudente dans les circonstances, qu’elles n’ont pas non plus fait montre d’une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui et que le malaise du plaignant était totalement imprévisible dans les circonstances.

D’après l’ensemble des preuves, il semblerait que le décès tragique du plaignant soit le résultat d’un problème médical existant qui a malheureusement eu pour effet de le faire mourir et qu’il n’est en rien attribuable aux agissements des agents, des ambulanciers, du personnel de la TCHC et qui n’aurait pu être empêché par eux. Ceux-ci ont au contraire agi avec rapidité et diligence pour tenter de lui sauver la vie et il n’existe aucun lien de cause à effet entre les actions des agents et le décès du plaignant. Il n’y a donc absolument pas lieu de déposer des accusations dans cette affaire.


Date : 29 octobre 2018
Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

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