Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 20-OCI-114

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave (y compris une allégation d’agression sexuelle).

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la blessure subie par un homme de 42 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 21 mai 2020, à 5 h 56 du matin, la Police régionale de Peel (PRP) a informé l’UES d’une blessure subie par le plaignant (un homme de 42 ans) lors de son arrestation et donné le rapport qui suit.

Le 20 mai 2020 à 18 h 56, la PRP a reçu un appel du plaignant disant qu’il agressait une femme dont il a donné le nom. [1]

L’AI no 2 et l’AI no 1 ont été envoyés sur les lieux, mais le plaignant s’était enfui. À 19 h 30, le plaignant a été repéré dans une cage d’escalier de son immeuble d’appartements, au quatrième étage. Il était extrêmement intoxiqué lorsqu’il a été arrêté.

Le plaignant a été placé dans une voiture de police où il a commencé à se jeter contre la cloison de sécurité à l’intérieur du véhicule. On lui a donc lié les pieds. Il a été transporté au poste de la division 11 de la PRP et placé en cellule.

Le 21 mai 2020, à 3 h 45 du matin, le plaignant a commencé à se plaindre de douleurs thoraciques. Il a été transporté à l’hôpital Credit Valley où on lui a diagnostiqué une fracture d’une côte droite. Il a ensuite été reconduit au poste de la division 11 de la PRP.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Plaignant :

Homme de 42 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés


Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 A participé à une entrevue
AT no 4 A participé à une entrevue
AT no 5 A participé à une entrevue
AT no 6 A participé à une entrevue


Agents impliqués

AI no 1 N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.
AI no 2 N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué, mais ses notes ont été reçues et examinées.


Éléments de preuve

Les lieux

Le plaignant a été arrêté dans la cage d’escalier d’un immeuble d’appartements de la rue Bloor, à Mississauga.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies


Vidéo de l’aire de détention du poste de police


À 20 h 14, le plaignant est escorté dans l’aire de cellules du poste. Il est menotté dans le dos et manifestement agité. Il se déplace sans sembler ressentir de douleurs sur le côté du corps.

Le plaignant est placé dans la cellule pour jeunes contrevenants [2] à 20 h 21. À 20 h 25, le plaignant donne un coup de poing de la main droite dans le mur rembourré de la cellule puis frappe le mur avec sa tête. Il donne ensuite deux coups de poing dans la lucarne de la porte de la cellule.

À 20 h 34, on fait sortir le plaignant de la cellule. On le ramène dans la cellule à 20 h 38. Il roule sur lui-même sur la couchette, sans montrer de signe de douleur. Il se relève ensuite et donne deux coups de tête puis un coup de pied dans le mur de la cellule. À 21 h 22, le plaignant commence à se frictionner le côté droit de son du torse. Il se lève de la couchette et fait le tour de la cellule tout en se tenant le côté droit.

À 22 h 29, on fait sortir le plaignant de la cellule. Des ambulanciers paramédicaux sont arrivés dans l’aire de détention et l’un d’eux examine les côtes droites du plaignant. Les ambulanciers placent le plaignant sur un brancard et sortent par l’entrée sécurisée pour véhicules.

À 2 h 33, l’AT no 6 et l’AT no 5 escortent le plaignant dans l’aire de détention; il est menotté sur le devant. Pendant qu’on le fouille, le plaignant continue de montrer peu de signes de douleur.

Les enregistrements vidéo ne montrent aucun incident dans l’aire de détention qui pourrait expliquer comment le plaignant a eu une côte fracturée.

Enregistrements des communications de la police

Une femme, qui refuse de donner son nom de famille, appelle pour signaler qu’un homme a frappé une femme puis s’est dirigé à pied vers un immeuble d’appartements de la rue Bloor. L’appelante dit que l’homme est connu pour flâner dans cet immeuble.

Un homme appelle le 9-1-1 pour signaler qu’un homme a giflé une femme. La victime a identifié le coupable qui, selon les renseignements qu’elle a fournis, habite dans un appartement d’un immeuble de la rue Bloor Est. Un autre homme vient au téléphone et dit qu’il habite dans le même immeuble que le coupable. Il dit que la femme veut porter une accusation contre le contrevenant. Il donne le nom de la victime et le nom du coupable.

Le répartiteur demande à des agents de se rendre au centre commercial Applewood Hills Plaza. Quelqu’un a signalé qu’un homme frappait une femme derrière le centre commercial. La victime ne semble pas avoir été blessée et le coupable, apparemment ivre, est ensuite entré en courant dans un immeuble d’appartements.

Le répartiteur demande que des agents se rendent à l’appartement d’une femme. La femme a signalé que son fils, le plaignant, détruisait des objets à l’intérieur de son appartement de la rue Bloor.

L’AI no 2 dit au répartiteur et aux autres agents que l’appel de l’appartement de la rue Bloor est lié au signalement de l’agression contre une femme et qu’il se rend sur les lieux.

L’AT no 1 dit qu’il attend dans le hall de l’immeuble et qu’il a vu le suspect sortir de la cage d’escalier puis entrer dans un ascenseur. L’homme semble être sorti de l’ascenseur au quatrième étage. L’AI no 2 accuse réception de ce rapport et dit qu’il vient d’arriver à l’immeuble avec l’AI no 1. L’AT no 1 dit que le plaignant est connu de la police et qu’ils vont probablement le reconnaître. Il ajoute qu’il n’y a pas d’accusation criminelle pour le moment. L’AI no 2 répond que l’homme, dont il donne le nom de famille, pourrait être arrêté pour les voies de fait. L’AT no 1 dit que selon la mère du plaignant, le plaignant flânait souvent dans les cages d’escalier de l’immeuble.

L’AI no 1 demande dans quelle cage d’escalier le plaignant pourrait se trouver. L’AT no1 répond qu’il a seulement vu l’homme prendre l’ascenseur et que l’ascenseur s’est arrêté au quatrième étage. L’AT no 2 dit ensuite qu’elle est sur les lieux.

Le répartiteur appelle l’AI no 2. On peut entendre le plaignant parler d’une voix forte en arrière-plan de la transmission de l’AI no 2. L’AI no 2 dit qu’ils viennent de placer le plaignant sous garde.

L’AI no 1 avait d’abord l’intention de transporter le plaignant à la division 12 de la PRP, mais il a été décidé de le transporter à la division 11 en attendant une audience de mise en liberté sous caution.

Éléments obtenus auprès du service de police

L’UES a examiné les éléments et documents suivants que lui a remis, à sa demande, la PRP :
  • Journal des activités du dossier de mise sous garde du plaignant;
  • Enregistrements vidéo de l’aire de détention;
  • Enregistrements des communications;
  • Copie d’enregistrement sonore – appels au 9-1-1;
  • Copie d’enregistrement sonore – transmissions radio;
  • Rapport de répartition assistée par ordinateur – voies de fait contre une femme;
  • Déclaration de témoin – la femme agressée par le plaignant;
  • Déclaration de témoin – un civil;
  • Rapport de répartition assistée par ordinateur – perturbation à une adresse de la rue Bloor;
  • Notes de l’AT no 1 et de l’AT no 3;
  • Notes – un autre policier qui n’a pas été officiellement désigné comme agent témoin;
  • Rapport sur les détails d’une personne – le plaignant;
  • Photos du plaignant;
  • Rapport détaillé sur un détenu – le plaignant;
  • Rapport d’événement de la PRP concernant le plaignant (voies de fait et manquement à un engagement);
  • Rapport d’événement de la PRP concernant le plaignant (différend familial).

Éléments obtenus auprès d’autres sources :

En plus des documents et autres éléments reçus de la PRP, l’UES a obtenu auprès d’autres sources les documents suivants qu’elle a examinés :
  • Dossiers médicaux du plaignant de l’Hôpital Credit Valley.

Description de l’incident

La séquence d’événements suivante se dégage du poids des éléments de preuve recueillis par l’UES, notamment des entrevues avec le plaignant et avec plusieurs agents témoins qui ont eu affaire à lui pendant qu’il était sous la garde de la police. Comme c’était leur droit, les deux agents impliqués n’ont pas consenti à une entrevue avec l’UES, mais l’AI no 2 a autorisé la communication de ses notes sur l’incident.

Dans la soirée du 20 mai 2020, la police a reçu des appels concernant deux incidents distincts impliquant le plaignant. Lors de la première série d’appels, des civils ont contacté la police pour signaler que le plaignant avait agressé une femme dans le secteur du centre commercial Applewood Hills Plaza. L’AI no 2 et l’AI no 1 ont été envoyés sur les lieux. Le deuxième appel provenait de la mère du plaignant, qui se plaignait que son fils détruisait des objets dans son appartement. L’AT no 2 et l’AT no 1 ont été envoyés à l’immeuble d’appartements en question, rue Bloor Est.

Après avoir parlé avec la mère du plaignant, l’AT no 1 a dit par radio que le plaignant se trouvait possiblement dans la cage d’escalier est de l’immeuble. L’AI no 2 et l’AI no 1 sont allés dans la cage d’escalier et ont trouvé le plaignant près du troisième étage. Les agents ont arrêté le plaignant pour l’agression de la femme, l’ont menotté, l’ont escorté à l’extérieur puis l’ont fait s’assoir sur la banquette arrière du véhicule de police de l’AI no 1.

Le plaignant a été transporté au poste de la division 11 et placé en cellule vers 20 h 21. Vers 22 h 29, le plaignant, qui avait demandé une ambulance parce qu’il avait mal aux côtes, a été escorté hors de sa cellule et emmené à l’hôpital. On lui a diagnostiqué une fracture non déplacée d’une côte droite. Il a ensuite été replacé sous la garde de la police.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel -- Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :
a) soit à titre de particulier
b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
d) soit en raison de ses fonctions
est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du directeur

Le 20 mai 2020, le plaignant a été arrêté par des agents du PRP et conduit par la suite à l’hôpital où on lui a diagnostiqué une fracture d’une côte droite. Les agents qui ont procédé à l’arrestation, l’AI no 1 et l’AI no 2, ont été désignés en tant qu’agents impliqués aux fins de l’enquête de l’UES. Après avoir évalué les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’un ou l’autre de ces agents ait commis une infraction criminelle en lien avec l’arrestation et la blessure du plaignant.

En vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel, les policiers sont exonérés de toute responsabilité criminelle lorsqu’ils ont recours à la force dans l’exécution de leurs fonctions, pour autant que cette force n’excède pas ce qui est raisonnablement nécessaire à l’accomplissement de ce qu’il leur est enjoint ou permis de faire en vertu de la loi. Étant donné les renseignements que leur avait communiqués le service de répartition, je ne peux pas conclure raisonnablement que l’AI no 1 et l’AI no 2 n’avaient pas de justification légale d’arrêter le plaignant. La question porte donc sur le bien-fondé de la force utilisée par les agents pour procéder à l’arrestation.

Certains éléments de preuve suggèrent que les agents ont soumis le plaignant à une force excessive. Les agents auraient giflé le plaignant au visage et à la tête et l’auraient poussé violemment contre le mur de béton de la cage d’escalier à deux ou trois reprises. L’impact du corps du plaignant contre le mur aurait causé la facture de la côte.

En l’absence de corroboration, je ne peux pas accorder beaucoup de poids à cet élément de preuve incriminant de recours inutile à la force. Ce récit incriminant était également en contradiction directe avec l’élément de preuve provenant de plusieurs sources indépendantes selon lesquelles le plaignant avait agressé physiquement une femme. De plus, les blessures du plaignant, qui pourraient avoir corroboré l’usage de la force par la police que suggérait l’élément de preuve incriminant, sont équivoques en l’espèce étant donné la possibilité qu’elles aient été subies durant ce qui semble avoir été le comportement violent et agressif du plaignant avant son arrestation.

Quant à la description, par les agents impliqués, de ce qui s’est passé dans la cage d’escalier, je n’ai pas non plus de preuves solides. En effet, les deux agents n’ont pas consenti à participer à une entrevue avec l’UES, comme ils en avaient le droit. Les notes de l’AI no 2, qu’il n’a pas été possible de vérifier par des questions lors d’une entrevue, suggèrent que le plaignant s’est verbalement opposé à son arrestation, mais que l’arrestation s’est déroulée sans incident.

En dernière analyse, comme le dossier n’est pas suffisamment fiable pour conclure avec un quelconque degré de confiance que l’AI no 1, l’AI no 2 ou les deux ont utilisé plus de force que ce qui était raisonnablement nécessaire pour effectuer une arrestation par ailleurs légale, il n’y a aucune raison de porter des accusations criminelles dans cette affaire. Le dossier est donc clos.


Date : 9 novembre 2020

Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Il s'agit de l'information fournie par le service de police lors du signalement de l'incident, mais elle ne semble pas correcte. [Retour au texte]
  • 2) Le plaignant a été placé dans cette cellule parce qu'elle était rembourrée, et non parce qu'il était considéré comme un délinquant de moins de 18 ans. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.