Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 20-OCI-135

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave (y compris une allégation d’agression sexuelle).

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la blessure subie par un homme de 40 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 12 juin 2020, à 5 h 02 du matin, la Police régionale de Peel (PRP) a signalé ce qui suit.

Le 11 juin 2020, à 18 h 46, des agents de la PRP se sont rendus à une chambre d’un motel en réponse à un appel pour incident domestique. L’agent impliqué (AI) et l’agent témoin (AT) ont arrêté le plaignant dans la chambre. Une lutte s’est ensuivie et a continué jusqu’au stationnement où le plaignant a été plaqué à terre. Une ambulance a été appelée parce que le plaignant saignait.

Le plaignant a été conduit au poste de la 12e division puis libéré sur un engagement avant d’être conduit au poste du 2e district de la Police régionale de York (PRY) le 12 juin 2020 à 0 h 27.

Le plaignant s’est plaint de douleurs aux côtes et a été transporté en ambulance à l’hôpital Mackenzie (MHH) où on lui a diagnostiqué une côte fracturée. Le plaignant a par la suite été reconduit au poste du 2e district en attendant une audience sur sa libération sous caution.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Plaignants

Plaignant : Homme de 40 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés.


Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue
TC no 2 A participé à une entrevue
TC no 3 A participé à une entrevue
TC no 4 A participé à une entrevue 

Agents témoins

AT A participé à une entrevue


Agents impliqués

AI A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.



Éléments de preuve

Les lieux

Le motel était situé rue Dundas Est, à Mississauga. Il s’agit d’un bâtiment d’un seul étage avec plusieurs chambres avec fenêtres de façade. Le bureau principal est situé à l’extrémité ouest du bâtiment. Il y a plusieurs places de stationnement devant chaque chambre du bâtiment. La chambre où le plaignant a été arrêté est au coin sud-est du bâtiment. La grande fenêtre de façade de la chambre est à double vitrage et la vitre extérieure avait été brisée vers l’intérieur. Il y avait des signes évidents de dommages et de désordre dans la chambre.

Outre les places de stationnement devant chaque chambre, il y a un grand stationnement à l’arrière. De gros camions et des remorques étaient garés à cet endroit; la plupart étaient garés le long d’une haie de buissons et d’arbustes. Le sol à cet endroit semblait être du gravier.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies

Les enquêteurs de l’UES ont fait le tour du secteur à la recherche d’enregistrements audio ou vidéo ou de photographies, et ont trouvé ce qui suit :
  • Enregistrement du système de vidéosurveillance du motel;
  • Vidéo prise avec le téléphone cellulaire d’une travailleuse sociale.


Résumé de l’enregistrement du système de vidéosurveillance du motel (les heures indiquées correspondent à l’horodatage de l’enregistrement)


Une caméra était fixée sur le mur est du motel, près de l’arrière du bâtiment et directement au-dessus de la porte de la chambre où le plaignant a été arrêté, et faisait face au nord en direction de la rue Dundas. Une deuxième caméra était fixée sur le mur arrière du motel et pointait vers l’extrémité sud du bâtiment et dans le stationnement derrière le motel.

Le 11 juin 2020, vers 18 h 07, on voit le plaignant s’approcher de la chambre. Peu après, on voit la petite amie du plaignant sortir de la pièce pour se rendre dans le stationnement, suivie du plaignant. La petite amie du plaignant retourne à la chambre. Quelques secondes plus tard, la TC no 2 se dirige du stationnement vers la chambre, suivie du plaignant. Quelques instants plus tard, le plaignant et la TC no 2 se querellent devant la chambre. À 18 h 08, le plaignant s’en va à vélo. À 18 h 11, le TC no 1 arrive et entre dans la chambre avec la TC no 2.

À 18 h 32, le plaignant revient à vélo, laisse le vélo dans le stationnement et se dirige vers la chambre. La TC no 2 sort de la chambre et approche du stationnement. Il semble que le plaignant se précipite sur la TC no 2, puis tape sur la tablette que la TC no 2 tenait et fait tomber la tablette.

À 18 h 33, on peut voir le plaignant frapper la fenêtre de la chambre avec la pomme de ses mains, puis repartir. À 18 h 40, le TC no 1 retourne à la chambre et parle avec deux femmes [maintenant connues pour être des travailleuses sociales].

À 18 h 50, le plaignant revient à la chambre, frappe de nouveau la fenêtre de la chambre de ses deux poings et brise la vitre de la fenêtre de la main droite. Il finit par s’éloigner.

À 18 h 51, l’AI arrive au volant de son véhicule de police et se dirige vers l’arrière du motel.

À 18 h 59, l’AT se rend à la chambre et discute avec la TC no 2 et la petite amie du plaignant.

Vidéo du téléphone cellulaire d’une travailleuse sociale


Le 11 juin 2020, une travailleuse sociale du Peel Family Shelter s’est rendue au motel pour parler à deux clientes [maintenant connues pour être la TC no 2 et la petite amie du plaignant] parce qu’elles avaient eu des problèmes avec un homme [maintenant connu pour être le plaignant]. La travailleuse sociale est arrivée juste avant l’AI.

La travailleuse sociale a filmé une partie de l’interaction sur son téléphone cellulaire. Elle a également enregistré une vidéo qui dure une minute, juste après l’arrivée de l’AI. Sur la vidéo, on voit un camion à remorque garé derrière le motel et une voiture de police garée à côté, avec la porte du conducteur ouverte. L’AI est debout à côté de la porte ouverte et on l’entend dire [traduction] : « Descend – allonge-toi par terre »; on ne voit toutefois pas le plaignant dans la vidéo. La caméra est maintenant plus près et semble faire un gros plan sur l’activité derrière la remorque. On voit le plaignant, à plat ventre par terre et bougeant la tête. L’AI se penche en avant au-dessus de lui et lui crie [traduction] : « Reste par terre – mets tes mains dans le dos ». Le plaignant semble obéir.

L’AI s’agenouille sur les fesses du plaignant tout en sortant les menottes et les attachant aux poignets du plaignant.

Il n’y a aucune séquence montrant comment le plaignant s’est retrouvé par terre.

Enregistrements des communications de la police


Résumé des communications radio / appels au 9-1-1 de la PRP


Le 11 juin 2020, vers 18 h 50, le TC no 1 appelle le 9-1-1 pour signaler que le plaignant a agressé la TC no 2 et endommagé la chambre en jetant des meubles. Il donne une description du plaignant en précisant qu’il se déplace à vélo. Un autre appel est reçu du TC no 4, qui signale que le plaignant a agressé la TC no 2 et l’a poussée violemment par terre.

Le TC no 1 rappelle pour signaler que le plaignant est revenu au motel et a brisé une vitre.

Un répartiteur demande à l’AI et à l’AT d’aller au motel. À 19 h 04, l’AI dit qu’il a le plaignant par terre derrière le motel et, environ une minute plus tard, il ajoute que le plaignant est menotté. À 19 h 06, l’AI dit qu’il est au motel et demande qu’on envoie les services médicaux d’urgence parce que le plaignant a des coupures mineures à la main et est peut-être « sous l’influence ».

Éléments obtenus auprès du service de police

L’UES a examiné les éléments et documents suivants que lui a remis, à sa demande, la PRP :
  • Copie d’enregistrement sonore – appels téléphoniques;
  • Copie d’enregistrement audio – communications radio;
  • Chronologie de l’incident du système répartition assistée par ordinateur;
  • Rapport sur les détails du prisonnier;
  • Dossier de l’arrestation;
  • Copie des notes de service de l’AT;
  • Déclaration de témoin ¬– TC no 2;
  • Déclaration de témoin – la petite amie du plaignant;

Éléments obtenus auprès d’autres sources :

En plus des documents reçus de la PRP, l’UES a obtenu auprès d’autres sources les éléments suivants qu’elle a examinés :
  • Dossier médical du plaignant (MHH).
  • Vidéo du téléphone cellulaire d’une travailleuse sociale; et
  • Séquence de vidéosurveillance du motel.

Description de l’incident

Le scénario suivant découle du poids des éléments de preuve recueillis par l’UES, qui comprenaient des entrevues avec le plaignant, l’AI et un agent témoin arrivé après l’arrestation du plaignant ainsi qu’avec plusieurs civils qui ont vu certaines parties des événements en question. Le 11 juin 2020, vers 18 h 50, la PRP a reçu un appel au 9-1-1 du gérant d’un motel de la rue Dundas Est, à Mississauga. Il appelait pour signaler qu’un homme – un invité de l’une des personnes résidant au motel – avait endommagé des biens dans la chambre de la résidente et avait agressé sa colocataire. Des agents ont été envoyés sur les lieux pour enquêter.

Le plaignant était l’homme dont le gérant du magasin s’était plaint. Le plaignant avait retiré un téléviseur de son support et l’avait jeté par terre. Lorsque la TC no 2 – l’une des deux résidentes de la pièce – a signalé le comportement du plaignant au gérant, le plaignant l’a agressée avant de s’en aller. Le plaignant est revenu peu après à vélo et a cassé la vitre d’une fenêtre en cognant dessus.

L’AI est arrivé quelques minutes après l’appel au 9-1-1 et des clients du motel l’ont dirigé vers l’arrière de l’établissement. Le plaignant était à vélo et s’apprêtait à prendre la fuite. L’AI s’est approché de lui à bord de son véhicule de police et lui a ordonné de s’arrêter. Le plaignant a continué de rouler vers un gros camion à l’arrière du stationnement et est tombé de son vélo. L’AI l’a rapidement menotté et placé sous garde.

Après avoir arrêté le plaignant, la Police régionale de Peel l’a transféré à la Police régionale de York (PRY) qui avait un mandat en suspens pour son arrestation. Pendant qu’il était sous la garde de la PRY, le plaignant s’est plaint de douleurs thoraciques; on l’a conduit à l’hôpital où on lui a diagnostiqué une côte fracturée.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel -- Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :
a) soit à titre de particulier
b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
d) soit en raison de ses fonctions
est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du directeur

Dans la soirée du 11 juin 2020, le plaignant a subi une fracture d’une côte lors de son arrestation par l’AI de la PRP. L’AI a été identifié comme étant l’agent impliqué aux fins de l’enquête de l’UES. Après avoir évalué le dossier de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI ait commis une infraction criminelle en lien avec l’arrestation et la blessure du plaignant.

En vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel, les policiers sont exonérés de toute responsabilité criminelle lorsqu’ils ont recours à la force dans l’exécution de leurs fonctions, pour autant que cette force n’excède pas ce qui est raisonnablement nécessaire à l’accomplissement de ce qu’il leur est enjoint ou permis de faire en vertu de la loi. Je suis convaincu que l’AI agissait légalement en poursuivant le plaignant pour le placer sous garde. D’après ce qu’il avait appris au sujet du comportement du plaignant par l’appel au 9-1-1 et de la fuite du plaignant à l’arrivée de la police, j’estime que l’AI avait des motifs raisonnables de conclure que le plaignant avait commis des voies de fait et un méfait. L’analyse porte alors sur la pertinence de la force employée par l’AI.

Les éléments de preuve divergent quant à la façon exacte dont le plaignant est tombé de son vélo et a été arrêté. Par exemple, selon un témoignage, l’AI a fait tomber le plaignant en le saisissant par-derrière. L’AI, par contre, affirme que le plaignant est tombé de son vélo de lui-même en tentant un virage serré. Aucun des éléments de preuve ne suggère un recours à une force excessive de la part de l’AI après la chute du plaignant.

Bien que, dans l’ensemble, j’estime que le dossier de preuve tend à favoriser la version des faits donnée par l’AI, je suis prêt à poursuivre mon analyse sur la base du récit le plus incriminant des événements. Selon ce récit, le plaignant tentait d’échapper à l’AI et de fuir les lieux d’une agression lorsque l’AI l’a fait tomber de son vélo. Compte tenu de la dynamique de la situation, impliquant des parties en mouvement, je ne peux pas conclure raisonnablement de cet élément de preuve que la conduite de l’AI était excessive ou déraisonnable. En effet, comme le plaignant, par ses actes, avait clairement montré qu’il n’avait pas l’intention d’obtempérer, il est difficile d’imaginer comment l’AI aurait pu adopter une force moindre que celle d’intervenir physiquement pour empêcher le plaignant de s’enfuir et l’arrêter.

En conséquence, bien que j’accepte que la fracture d’une côte du plaignant se soit produite lorsqu’il est tombé de son vélo et a heurté le sol, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuves pour conclure raisonnablement que l’AI a agi autrement que légalement tout au long de l’incident. Il n’y a donc pas lieu de déposer des accusations criminelles dans cette affaire, et le dossier est clos.


Date : 28 septembre 2020

Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.