Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 19-TCI-258

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave (y compris une allégation d’agression sexuelle).

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Le rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur les blessures graves subies par un homme de 61 ans (plaignant).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 1er novembre 2019, à 15 h 20, le Service de police de Toronto a avisé que des agents de l’escouade antidrogue avaient vu le plaignant faire une vente de drogue dans le secteur de la rue Queen Est et de la rue Yonge à Toronto. Le Service de police de Toronto ne savait pas si le plaignant avait vendu son produit à un agent d’infiltration ou à un civil. Les agents se sont approchés pour arrêter le plaignant et une poursuite de courte durée s’est engagée et a pris fin au 69, rue Queen Est. Le plaignant a été arrêté et amené au poste de la Division 51 du Service de police de Toronto, et une fois là, il s’est plaint de douleur à la jambe. Il a alors été conduit à l’Hôpital St. Michael, où on a constaté une fracture du fémur. Il n’y avait pas de lieux bouclés, mais il se pouvait qu’il existe un enregistrement vidéo avec des images des événements pris par une caméra dans le secteur. Tous les agents concernés étaient déjà repartis chez eux lorsque la blessure a été signalée. Le plaignant devait subir une chirurgie à l’hôpital où il se trouvait et devait demeurer sous garde pendant son séjour à l’hôpital.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Le plaignant a été interrogé à l’Hôpital St. Michael, il a reçu son congé de l’hôpital et ses dossiers médicaux ont été obtenus.

Les lieux n’ont pas été bouclés.

Des enregistrements de caméra de surveillance ont été obtenus auprès d’une entreprise de la rue Queen Est et du centre de santé St. Michael au 61, rue Queen Est. Les vidéos ont été examinées et les rapports, présentés.

Les enregistrements des communications et les données du système de répartition assisté par ordinateur pour le Service de police de Toronto ont été obtenus et les rapports ont été soumis.

Cinq agents témoins ont été désignés et reçus en entrevue. Trois autres agents témoins ont été désignés pour leurs notes sur les événements parce qu’ils avaient transporté le témoin et avaient assuré sa garde à l’hôpital.

Plaignant :

Homme de 61 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés


Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 A participé à une entrevue
AT no 4 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées
AT no 5 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées
AT no 6 A participé à une entrevue
AT no 7 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées
AT no 8 A participé à une entrevue

Agent impliqué

AI A participé à une entrevue; notes reçues et examinées



Éléments de preuve

Les lieux

L’incident s’est produit sur le trottoir du côté sud de la rue Queen Est entre le centre de santé St. Michael, au 61, rue Queen Est, et le 69, rue Queen Est.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou photographiques


Enregistrements vidéos des caméras de l’Hôpital St. Michael et du centre de santé St. Michael du 1er novembre 2019


L’Hôpital St. Michael comportait cinq caméras extérieures. De ce nombre, trois (soit les nos 482, 483 et 492) se trouvaient du côté est de l’hôpital et donnaient sur la rue Bond. Leurs enregistrements n’ont été d’aucune utilité pour l’enquête.

Le centre de santé St. Michael se trouvait du côté sud de la rue Queen Est. La caméra 613 était dans une alcôve entre le 61, rue Queen Est et le 69, rue Queen Est. La caméra 621 était quant à elle à la porte d’entrée du centre de santé et était dirigée vers l’ouest sur la rue Queen Est.

Caméra 613

La vidéo, qui commence à 15 h 14 min 30 s, qui captait 0,63 image par seconde, a procuré un enregistrement saccadé. À 15 h 16 min 20 s, un homme de petite taille portant une veste de couleur pâle a été plaqué au sol sur le trottoir en face du 61, rue Queen Est par deux hommes vêtus de couleurs foncées [maintenant identifiés comme des agents de l’escouade antidrogue, soit les AT nos 2 et 3]. L’homme en question était le coaccusé du plaignant dans l’enquête du Service de police de Toronto.

À 15 h 16 min 22 s, l’AI, portant des vêtements sombres, se tenait sur le trottoir à l’est de l’endroit où le coaccusé du plaignant a été plaqué au sol et était tourné vers l’est. L’AI regardait en direction d’un homme vêtu de foncé avec de longs cheveux gris [maintenant identifié comme le plaignant]. L’AI avait les bras étendus et était sur le point d’attraper le plaignant. Une femme de petite taille aux cheveux pâles portant aussi des vêtements foncés [maintenant désignée comme l’AT no 8] se tenait sur le trottoir face vers l’est entre l’AI et l’endroit où le coaccusé du plaignant a été plaqué au sol.

À 15 h 16 min 33 s, l’AI a attrapé le bras gauche du plaignant de ses deux mains et l’a tiré vers le trottoir. Le plaignant est tombé sur le côté droit. L’AT no 8 a aidé l’AI après le placage au sol et le plaignant a été tourné sur le ventre et, après une lutte, il a été menotté à 15 h 17 min 23 s, les mains derrière le dos. L’AT no 8 a ramassé des articles sur le trottoir tandis que le plaignant était étendu sur le ventre, la tête en direction de l’immeuble. L’AI était dos à la caméra lorsqu’il s’est baissé pour poser les genoux sur le dos et l’épaule gauche du plaignant.

À 15 h 19 min 19 s, le plaignant a été remis debout pendant que la lutte avec le coaccusé se poursuivait sur le trottoir. À 15 h 27 min 5 s, le coaccusé était debout sur le trottoir, à l’ouest par rapport au plaignant, avec les mains menottées derrière le dos. Le coaccusé courait en direction ouest pour s’enfuir des policiers et il est sorti du champ de la caméra. À 15 h 57 min 23 s, le plaignant a été installé sur la banquette arrière d’une voiture de police identifiée.

Caméra 621

La vidéo commence à 15 h 26 min 56 s. À 15 h 27 min 5 s, le coaccusé du plaignant, du côté droit de l’écran, courait en direction nord-ouest en traversant la rue Queen Est, les mains menottées derrière le dos. 

Enregistrement de la caméra d’un commerce situé au 69, rue Queen Est


La caméra était fixée à l’extérieur de l’immeuble et braquée vers l’ouest. Elle enregistrait des images du trottoir du côté sud de la rue Queen Est.

À 15 h 11 min 44 s, le plaignant et le coaccusé se tenaient sur la partie sud du trottoir du côté sud de la rue Queen Est entre le centre de santé St. Michael, au 61, rue Queen Est, et le 69, rue Queen Est. La caméra était à une certaine distance et il n’était pas possible de distinguer les traits du visage. Le plaignant était grand et portait des vêtements sombres et un chapeau foncé. On pouvait voir ses longs cheveux gris dépasser du chapeau et il était instable sur ses jambes. Le coaccusé était plus petit et avait une veste de couleur pâle. La vue sur le plaignant était bloquée par un homme avec des vêtements foncés.

À 15 h 13 min 14 s, à la fois le plaignant et le coaccusé sont entrés dans une alcôve entre les immeubles et en sont ressortis.

À 15 h 14 min 45 s, le coaccusé a parlé à quelqu’un et il semble avoir vendu de la drogue.

À 15 h 15 min 23 s, on pouvait voir de façon très évidente que le plaignant était instable sur ses jambes.

À 15 h 16 min 0 s, le coaccusé a été poursuivi à pied, sur une très courte distance et en direction ouest, par deux hommes portant des vêtements sombres. À 15 h 16 min 32 s, le coaccusé du plaignant a été tiré au sol par les deux hommes, pendant que le plaignant était tiré au sol par un homme de grande taille portant des vêtements foncés [maintenant identifié comme l’AI] et une personne de petite taille avec des vêtements foncés [maintenant identifiée comme l’AT no 8]. La caméra était éloignée et on ne pouvait bien distinguer les visages. Le plaignant est tombé sur le côté droit et, après une courte lutte, il a été menotté les mains derrière le dos.

Vidéo de la salle d’enregistrement de la Division 51 du Service de police de Toronto le 1er novembre 2019


Le 1er novembre 2019, à 17 h 49 min 45 s, l’AT no 4 et l’AT no 5 ont amené le plaignant devant l’AT no 7. Le plaignant portait des vêtements foncés et avait des cheveux blancs couvrant son visage. L’AT no 7 a posé les questions d’enregistrement standards et une fouille de niveau 3 (soit une fouille à nu) a été autorisée, puis le plaignant a été placé dans une cellule.

À 20 h 30 à la même date, le plaignant a été amené dans la salle d’enregistrement par le responsable des enregistrements et confié aux AT nos 4 et 5. Le plaignant semblait en proie à une souffrance intense.

Enregistrements de communications

Les communications audio ont été analysées pour le présent dossier, et elles n’ont pas été jugées utiles pour l’enquête.

Éléments obtenus auprès du Service de police

Sur demande, l’UES a obtenu et examiné les documents et éléments suivants du Service de police de Toronto :
  • la vidéo de la salle d’enregistrement;
  • les communications audio;
  • le rapport d’incident général;
  • l’enregistrement vidéo de la caméra interne du véhicule;
  • le rapport du système de répartition assisté par ordinateur Intergraph;
  • les notes de tous les agents témoins et de l’AI;
  • procédure relative à l’arrestation et à la mise en liberté;
  • la procédure relative à l’utilisation de la force et de l’équipement (avec annexes);
  • le rapport de blessure du Service de police de Toronto.

Éléments obtenus d’autres sources

Les éléments suivants ont été obtenus auprès d’autres sources :
  • l’enregistrement de la caméra de surveillance du centre de santé St. Michael au 61, rue Queen Est;
  • l’enregistrement de la caméra de surveillance d’un commerce situé au 69, rue Queen Est;
  • les dossiers médicaux de l’Hôpital St. Michael.

Description de l’incident

Le déroulement des événements pertinents ressort du poids des éléments de preuve recueillis par l’UES, notamment les entrevues avec le plaignant, l’AI et plusieurs autres agents témoins présents au moment de l’arrestation. Les enregistrements de plusieurs caméras de surveillance se trouvant dans le secteur ont aussi été utiles pour l’enquête. Peu après 15 h le 1er novembre 2019, des membres de l’escouade antidrogue ont été dépêchés dans le secteur de la rue Church et de la rue Queen Est. L’AT no 1, habillé en civil comme agent d’infiltration, s’est approché du plaignant sur le trottoir du côté sud de la rue Queen Est et a demandé à acheter de la drogue, soit pour 40,00 $ de crack. Le plaignant s’est éloigné et est revenu, après quoi il semblerait avoir remis quelque chose à l’AT no 1. Celui-ci est parti et a fait un signe aux autres membres de l’équipe pour indiquer que le plaignant venait de lui vendre de la drogue.

L’AI et l’AT no 8 se sont approchés du lieu de la transaction et ont confronté le plaignant. L’agent a montré son insigne de police au plaignant et lui a signalé qu’il était en état d’arrestation. Le plaignant a reculé et s’est dégagé de l’agent, qui l’avait attrapé par les vêtements. L’AI a rattrapé le plaignant et l’a plaqué au sol et, avec l’aide de l’AT no 8, il l’a menotté. Le plaignant a immédiatement indiqué qu’il avait mal à la hanche droite.

Après son arrestation, le plaignant a été conduit au poste, puis à l’hôpital, où une fracture de la hanche a été diagnostiquée.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel -- Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :
a) soit à titre de particulier
b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
d) soit en raison de ses fonctions
est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du directeur

Dans l’après-midi du 1er novembre 2019, le plaignant a subi une fracture de la hanche droite au cours de son arrestation par des agents de l’escouade antidrogue du Service de police de Toronto. L’AI était parmi les agents ayant participé à l’arrestation et il a été désigné comme agent impliqué pour les besoins de l’enquête de l’UES. D’après mon évaluation des éléments de preuve, j’ai la conviction qu’il n’existe aucun motif raisonnable de croire que l’AI a commis une infraction criminelle en relation avec l’arrestation du plaignant et sa blessure.

En vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel, les agents ne peuvent être tenus responsables sur le plan criminel d’avoir employé la force dans l’exécution de leurs fonctions, à condition que l’usage de la force ait été raisonnablement nécessaire pour des actes qu’ils étaient obligés ou autorisés à poser en vertu de la loi. D’après l’interaction entre l’AT no 1 et le plaignant et les observations faites par l’AI et d’autres agents de l’escouade antidrogue, qui ont eu l’impression d’assister à une transaction de drogue entre les deux, j’ai la conviction que l’arrestation du plaignant était fondée. Par la suite, puisque le plaignant a résisté à son arrestation en se dégageant de la prise de l’AI, celui-ci avait le droit de recourir à la force pour le mettre sous garde. À mon avis, le placage au sol qui a suivi, et qui ne semble pas avoir été très violent, était une tactique raisonnable dans les circonstances. Une fois le plaignant au sol, il était plus facile pour l’agent de contrer plus de résistance de sa part. Et en fait, le plaignant a effectivement lutté contre l’AI et l’AT no 8 qui tentaient de lui attraper les bras, mais il a été rapidement maîtrisé et menotté. Les agents n’ont pas frappé le plaignant de quelque façon que ce soit.

En définitive, même si je conviens que le plaignant a été blessé durant le placage par l’AI, il n’existe pas de motifs suffisants de croire que l’arrestation ou la force employée pour l’effectuer était illégale. Par conséquent, il n’y a pas lieu de porter des accusations dans cette affaire, et le dossier est donc clos.


Date : 28 avril 2020

Signature électronique

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.