Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 19-OCI-030

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave (y compris une allégation d’agression sexuelle).

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Le rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur les blessures graves subies par un homme de 28 ans (plaignant).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 7 février 2019 à 5 h 40, le Service de police régional de Niagara a avisé l’UES de la blessure subie par le plaignant. Le Service de police a signalé que, durant l’exécution d’un mandat délivré en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances à une résidence située sur la rue Niagara, à St. Catharines, le plaignant avait été arrêté et détenu pour plusieurs accusations criminelles. Après l’arrestation, le plaignant a dit avoir mal aux côtes et de la difficulté à respirer. Il a alors été transporté à l’Hôpital général du grand Niagara, et une fracture de la 9e côte a été diagnostiquée. 

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1
 
Dans la matinée du 7 février 2019, deux enquêteurs de l’UES ont entrepris une enquête à Niagara Falls. Ils se sont rendus au quartier général du Service de police régional de Niagara pour rencontrer le plaignant et le témoin civil (TC) no 1. Ce dernier a fait une déclaration qui a fait l’objet d’un enregistrement audio.

Après les entrevues, l’enquêteur principal et un enquêteur spécialiste des sciences judiciaires se sont rendus sur les lieux et ont photographié le logement qui avait été occupé par le plaignant et le TC no 1 et qui comprenait une chambre avec un placard sans salle de bain ni cuisine.

Des entrevues avec trois agents témoins ont été réalisées le 21 février 2019. Pendant les entrevues, on a demandé aux agents témoins de dessiner un schéma de la pièce en question en indiquant où se trouvaient les parties en cause et les objets. Les photos prises par l’enquêteur spécialiste des sciences judiciaires et par les agents des scènes de crime du Service de police régional de Niagara ont été montrées à deux des agents. 

Plaignant :

Homme 28 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés


Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue
TC no 2 A participé à une entrevue 

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 A participé à une entrevue


Agent impliqué

AI   pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué


Éléments de preuve

Les lieux

Les lieux ont été visités par l’enquêteur principal et un enquêteur spécialiste des sciences judiciaires, qui ont constaté qu’il s’agissait d’une seule résidence avec de multiples locataires occupant des chambres à l’intérieur et partageant une cuisine et une salle de bain.

La chambre qu’occupaient le plaignant et le TC no 1 ne comportait pas de salle de bain ni de cuisine mais comprenait un placard, et il a été estimé qu’elle mesurait environ 5 mètres sur 3,5 mètres.

Il ne semblait pas y avoir de dommages apparents récents à la porte d’entrée de la chambre ni au cadre, d’après l’enquêteur spécialiste des sciences judiciaires. Des photos des lieux ont été prises durant la visite, mais des agents du Service de police régional de Niagara avaient déjà effectué des fouilles à leur entrée dans la résidence.

Des photos de la pièce prises par les agents des scènes de crime du Service de police régional de Niagara montrent la pièce peu après que le plaignant et le TC no 1 en ont été sortis. Il ressort des images que des objets ont été déplacés avant l’arrivée du personnel de l’UES. À signaler, que sur les deux séries de photos, on voit une boîte de métal argentée sur le sol entre le lit et un ensemble de tiroirs du côté est de la chambre. La distance entre les deux aurait été, d’après les évaluations, d’approximativement 0,5 m à 1 m.

Sur une photo du Service de police régional de Niagara, on voit la boîte de métal directement sur le sol, avec le couvercle, et un coin semble en partie renfoncé. Sur une autre photo, prise cette fois par l’enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES, la boîte est toujours sur le sol et semble aussi écrasée d’un côté. D’après les mots et les symboles figurant sur la boîte, on peut voir qu’il s’agissait d’une boîte contenant un couteau suisse. Il y avait aussi du verre sur le sol de la pièce et une fenêtre était cassée, ce qui concorde avec la déclaration d’un agent, qui disait qu’un appareil de diversion avait été utilisé.

Éléments obtenus auprès du Service de police

Sur demande, l’UES a obtenu et examiné les documents et éléments suivants du Service de police régional de Niagara :
  • le rapport narratif – sommaire de la plainte;
  • les notes de tous les agents témoins;
  • la politique relative au recours à la force;
  • la politique relative à la fouille et à la saisie;
  • le mandat de perquisition relatif à la résidence située sur la rue Niagara à St. Catharines;
  • les copies des photos prises par les agents des scènes de crime du Service de police régional de Niagara pendant l’exécution du mandat.

L’UES a obtenu et examiné les documents et éléments suivants d’autres sources :

L’UES a obtenu les rapports médicaux du plaignant de l’Hôpital général du grand Niagara et du service d’ambulance de Niagara.

Description de l’incident

Le scénario qui suit est le plus plausible d’après le poids des éléments de preuve réunis par l’UES au cours de son enquête, notamment les déclarations du plaignant et de sa petite amie, soit le TC no 1, qui était présente au moment de l’arrestation du plaignant, de même que des agents témoins qui sont intervenus durant l’appréhension. L’AI s’est réuni avec ses collègues de l’équipe d’intervention en cas d’urgence du Service de police régional de Niagara en dehors de l’immeuble de la rue Niagara juste avant 18 h le 6 février 2019. L’immeuble était une maison de chambres et l’équipe d’intervention en cas d’urgence avait été mobilisée pour qu’elle entre dans l’immeuble et fasse le nécessaire pour assurer la sécurité avant que l’équipe de fouille n’y pénètre pour exécuter un mandat de perquisition visant à chercher des drogues. Des appareils de diversion produisant des éclairs lumineux et de fortes détonations ont été utilisés juste avant que les agents n’entrent dans l’immeuble. Les agents de l’équipe d’intervention en cas d’urgence sont ensuite entrés dans l’immeuble pour le sécuriser.

Les AT nos 1 et 2 ont été les premiers à entrer dans la chambre du plaignant. L’AT no 1 s’est occupé du TC no 1, qu’il a mise sous garde sans incident. L’AT no 2 a pris en charge le plaignant et a quitté la pièce lorsque l’AI est entré et a pris la relève. Le plaignant était étendu sur le ventre, entre le lit et une commode, tandis que l’AI lui attachant les bras derrière le dos à l’aide d’attaches autobloquantes.

Après son arrestation, le plaignant a dit avoir de la difficulté à respirer et il a été transporté en ambulance à l’hôpital, où sa blessure a été diagnostiquée.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel -- Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :
a) soit à titre de particulier
b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
d) soit en raison de ses fonctions
est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du directeur

Dans la soirée du 6 février 2019, le plaignant a été arrêté par des agents du Service de police régional de Niagara à sa résidence sur la rue Niagara à St. Catharines. Il a par la suite été conduit à l’hôpital où une fracture d’une côte a été constatée. L’AI faisait partie des agents ayant participé à l’arrestation du plaignant et c’est lui qui est le plus susceptible d’avoir causé la blessure du plaignant ou d’y avoir contribué. Pour les raisons qui suivent, j’ai la conviction qu’il n’existe aucun motif raisonnable de croire que l’AI ait commis une infraction criminelle en relation avec l’incident.

Certains éléments de preuve indiquent que le plaignant a reçu des coups de genou ou de pied d’un agent pendant qu’il était étendu sur le sol, même s’il n’opposait pas de résistance aux agents. Ils sont néanmoins contredits par l’AT no 1, qui a dit ne pas avoir vu l’AI, soit le seul agent ayant eu affaire au plaignant pendant qu’il était au sol, donner des coups de genou ni des coups de pied. Il aurait plutôt entendu le plaignant dire qu’il était étendu sur quelque chose de dur avant que ses mains soient attachées.

S’il y avait des accusations déposées dans cette affaire, elles dépendraient des sources incriminant l’AI. Cependant, bien que je reconnaisse qu’une entité chargée de déposer des accusations doive limiter son évaluation des éléments de preuve contradictoires à des considérations relatives aux seuils de manière à éviter d’usurper le rôle des tribunaux de rendre les décisions ultimes sur les faits, j’ai la conviction qu’il serait malavisé et dangereux de déposer des accusations sur cette base. Par exemple, les sources des éléments de preuve incriminants se contredisent sur des points importants en ce qui concerne le comportement du plaignant dans la chambre. Même si la blessure du plaignant aurait pu, dans d’autres circonstances, corroborer les éléments de preuve incriminants, ce n’est pas le cas dans la présente affaire puisqu’il y a des signes qui indiquent qu’il était étendu sur un objet de métal dur et qu’il existe une réelle possibilité que cet objet, plus que toute autre chose, soit ce qui a causé la fracture d’une côte.

En vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel, les agents ne peuvent être tenus responsables sur le plan criminel d’avoir employé la force dans l’exécution de leurs fonctions, à condition que cette force ne dépasse pas ce qui est raisonnablement nécessaire pour accomplir quelque chose que la loi les oblige ou les autorise à faire. Les agents de l’équipe d’intervention en cas d’urgence sont entrés dans la résidence après avoir annoncé leur présence avec un mandat de perquisition ayant toutes les apparences d’un document valide en leur possession. Ils ont fait irruption dans les lieux pour que les lieux de la fouille soient envahis par un nombre impressionnant d’agents de manière à neutraliser instantanément toute menace potentielle. Même si cette tactique n’est pas toujours celle qui convient, elle était justifiée dans ce cas, compte tenu des renseignements qu’avait déjà la police, c’est à-dire que le plaignant avait accès à des armes, comme une arme à feu et une arme à impulsions. Dans les circonstances, j’estime que l’arrestation du plaignant, au cours de laquelle il a été blessé, était légitime et qu’il s’agit d’un incident survenu au cours d’une intervention policière autrement légale.

Ce qu’il faut se demander, c’est si en arrêtant le plaignant, l’AI a fait usage d’une force excessive. Comme il m’est impossible de me fier aux éléments de preuve qui portent à croire que c’est le cas, je n’ai d’autres renseignements que ceux qui indiquent que l’AI a utilisé une force minime pour maîtriser le plaignant sur le sol et attacher ses bras à l’aide d’attaches autobloquantes. Selon ces éléments de preuve, il ne semble pas que le plaignant ait été frappé de quelque façon que ce soit et c’est donc dire que la force employée était négligeable. Au vu du dossier, je n’ai pas de motifs suffisants pour conclure que la force employée par l’AI pour procéder à ce qui était alors une arrestation légale a dépassé les limites de ce qui était raisonnablement nécessaire dans les circonstances.

Par conséquent, je ne peux accorder de crédibilité aux éléments de preuve indiquant qu’une force excessive a été employée, et les éléments de preuve restants donnent l’impression que la blessure du plaignant a résulté de l’exercice d’une force raisonnable. Je n’ai donc pas de motifs suffisants pour déposer des accusations dans cette affaire et le dossier est donc clos.


Date : 7 octobre 2019

Original signé par

Joseph Martino
Directeur intérimaire,
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.