Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 18-OCI-057

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave (y compris une allégation d’agression sexuelle).

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur une blessure grave subie par un homme de 39 ans lorsqu’il a été appréhendé par le Service de police régional de Halton en vertu de la Loi sur la santé mentale.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 23 février 2018, à 8 h 59, le plaignant a informé l’UES de la blessure grave qu’il avait subie huit jours auparavant à Milton, lors de son arrestation par des membres du Service de police régional de Halton (SPRH). Il a déclaré que le 14 février 2018, il avait délibérément fait une surdose en prenant des médicaments obtenus sur ordonnance parce qu’il était abattu par une situation familiale. Il avait appelé les Services médicaux d’urgence (SMU) quand il s’était rendu compte qu’il ne voulait plus se suicider et avait été transporté à l’hôpital du district de Milton (HDM), où il avait été soigné et gardé en vertu d’une formule no 1 aux termes de la Loi sur la santé mentale (LSM) en vue de son évaluation ultérieure. Le 15 février 2018, alors qu’il était toujours visé par le formulaire no 1, le plaignant avait quitté l’hôpital et avait commencé à retourner chez lui en marchant. La police l’avait rapidement intercepté et appréhendé. Une lutte avait suivi pendant l’appréhension et le plaignant avait été mis au sol. Son épaule gauche avait été disloquée pendant l’incident.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Plaignant :

Homme de 40 ans, a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés 

Témoins civils

TC A participé à une entrevue

Agents impliqués

AI no 1 N’a pas participé à une entrevue, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué. Ses notes ont été reçues et examinées.
AI no 2 A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.


Description de l’incident

Le 15 février 2018, une infirmière de l’HDM a appelé le SPRH pour signaler que le plaignant avait quitté l’hôpital pendant qu’il y était détenu en vertu d’une formule no 1. L’agent impliqué (AI) no 1 et l’AI no 2 ont été envoyés à l’adresse du plaignant.

L’AI no 2 a aperçu le plaignant marcher vers son domicile et les agents ont conduit vers le plaignant, qui a tenté de se cacher entre deux maisons. L’AI no 2 a quitté son véhicule et a informé le plaignant qu’il devait retourner à l’hôpital, mais le plaignant a refusé. L’AI no 2 a saisi le bras du plaignant et a essayé de le rassurer qu’il n’avait rien fait de mal. Le plaignant s’est éloigné et l’AI no 1 a couru vers l’AI no 2 pour l’aider. Ensemble, les agents ont mis le plaignant au sol. Le plaignant a réussi à se remettre debout et a été ramené au sol.

Le plaignant a fini par être menotté les mains derrière le dos. Il est allégué qu’il aurait dit aux agents pendant qu’ils le menottaient qu’il avait une blessure préexistante à l’épaule et que ses bras [traduction] « ne se pliaient pas de cette façon ». Les agents l’ont néanmoins menotté les mains derrière le dos, ce qui a causé la luxation de son épaule.

Après que le plaignant s’est plaint de douleur et a rassuré les agents qu’il ne résisterait plus, les agents ont retiré ses menottes et les lui ont remises avec les mains devant lui. Le plaignant a ensuite été ramené à l’HDM.

Éléments de preuve

Les lieux

Le plaignant a été appréhendé devant une résidence dans un secteur commercial et résidentiel mixte de Milton. On n’a découvert aucun dispositif de surveillance à proximité du lieu de l’arrestation.

Enregistrements de communications

Le 15 février 2018, vers 11 h, une infirmière a appelé le répartiteur du SPRH pour signaler un départ non autorisé de l’HDM.

L’infirmière a dit au répartiteur que le plaignant, qui avait été admis à l’HDM en vertu d’une formule no 1, avait quitté l’établissement par la porte de devant avant d’être évalué. Elle a fourni l’adresse du plaignant, sa description et a noté qu’il portait un pantalon noir, une veste noire et un chandail à capuche blanc.

Le répartiteur a ensuite diffusé l’information par la radio. L’AI no 1 a accepté l’appel et s’est rendu à l’adresse du plaignant pour attendre son arrivée s’il avait décidé de retourner chez lui. L’AI no 2 a accepté de seconder l’AI no 1. L’AI no 1 était quelque peu familier avec le plaignant puisque, quelques heures plus tôt, il avait recueilli la déclaration initiale de la petite amie du plaignant, la TC, qui avait expliqué que le plaignant avait causé des dommages à la résidence qu’ils partageaient. À ce moment-là, l’AI no 1 avait informé la témoin civile (TC) que le plaignant était à l’HDM parce qu’il avait fait une surdose en ingérant des médicaments obtenus sur ordonnance.

Vers 11 h 30, l’AI no 1 a signalé que lui et l’AI no 2 avaient appréhendé le plaignant près de son adresse et qu’ils le retournaient à l’HDM. L’AI no 1 a également signalé que le plaignant avait subi une blessure à l’épaule.

Éléments obtenus auprès du Service de police

Sur demande, l’UES a obtenu et examiné les documents et éléments suivants du SPRH :
  • Aperçu des données dans le système de répartition assistée par ordinateur (RAO);
  • Enregistrements de communications;
  • Tableau de service;
  • Correspondance par courriel;
  • Rapport général sur les statistiques provinciales (LSM);
  • Rapport général sur les suicides et les tentatives de suicide;
  • Rapport général sur la protection des locataires;
  • Notes de l’AI no 1;
  • Rapport d’incident supplémentaire.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel -- Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :
a) soit à titre de particulier
b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
d) soit en raison de ses fonctions
est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Article 17 de la Loi sur la santé mentale -- Intervention de l’agent de police

17 Si un agent de police a des motifs raisonnables et probables de croire qu’une personne agit ou a agi d’une façon désordonnée et qu’il a des motifs valables de croire que cette personne :
a) soit a menacé ou tenté de s’infliger des lésions corporelles ou menace ou tente de le faire
b) soit s’est comportée ou se comporte avec violence envers une autre personne ou de manière à lui faire craindre qu’elle lui causera des lésions corporelles
c) soit a fait ou fait preuve de son incapacité de prendre soin d’elle-même 
et qu’en plus, il est d’avis que cette personne souffre, selon toute apparence, d’un trouble mental d’une nature ou d’un caractère qui aura probablement l’une des conséquences suivantes :
a) elle s’infligera des lésions corporelles graves
b) elle infligera des lésions corporelles graves à une autre personne
c) elle subira un affaiblissement physique grave 
et qu’il serait dangereux d’agir selon les termes de l’article 16, il peut amener sous garde cette personne dans un lieu approprié afin qu’elle soit examinée par un médecin.

Analyse et décision du directeur

Le 15 février 2018, le plaignant a subi une blessure grave après avoir été appréhendé en vertu de la Loi sur la santé mentale (LSM). La veille, le plaignant avait été détenu à l’hôpital du district de Milton (HDM) en vertu de la LSM après avoir tenté de se suicider. Le plaignant a quitté l’hôpital sans avoir obtenu l’autorisation d’un médecin, et un membre du personnel de l’HDM a signalé son absence à la police. L’agent impliqué (AI) no 1 et l’AI no 2, du Service de police régional de Halton (SPRH), se sont rendus à la résidence du plaignant et ont tenté de l’appréhender pour le ramener à l’HDM. Il est allégué que les agents du SPRH auraient eu recours à une force excessive à l’endroit du plaignant en déplaçant avec force ses bras derrière le dos pour le menotter après avoir appris que le plaignant avait une blessure préexistante à l’épaule. Le plaignant a été menotté les mains derrière le dos, ce qui a causé une luxation de l’épaule gauche.

L’AI no 1 et l’AI no 2 ont tous deux été désignés comme agents impliqués durant l’enquête de l’UES, qui s’est entretenue avec le plaignant et un témoin civil. L’AI no 2 a accepté d’être interrogé et l’AI no 1 a fourni à l’UES une copie de ses notes ayant trait à l’incident. Les enquêteurs ont également obtenu et examiné les enregistrements des communications et les dossiers médicaux du plaignant. Bien qu’il y ait d’importantes contradictions entre les comptes rendus des agents et ceux du plaignant, après un examen attentif de la preuve, j’ai été en mesure de déterminer les circonstances importantes entourant l’appréhension du plaignant.

L’incident s’est produit après que le plaignant avait quitté l’HDM où il était gardé en vertu d’une formule no 1 émise aux termes de la LSM. Le plaignant a quitté l’HDM vers 10 h 30 le 15 février 2018 et est retourné chez lui. Il n’avait pas obtenu l’autorisation d’un psychiatre ni la permission de l’hôpital de quitter celui-ci.

Le 15 février 2018, les AI nos 1 et 2 ont été envoyés à la résidence du plaignant à Milton. L’AI no 1 a été envoyé vers 10 h 40 parce que la TC (qui habitait à la même adresse que le plaignant) était retournée chez elle et avait appelé la police pour signaler des problèmes avec le plaignant. Vers 11 h 08, l’AI no 2 a également été envoyé à la résidence en réponse à un appel de l’HDM. Une infirmière à l’HDM avait signalé à la police que le plaignant avait quitté l’hôpital sans qu’une évaluation aux termes de la LSM ne soit effectuée ou sans que le plaignant ait reçu son congé d’un médecin. L’AI no 2 craignait que le plaignant retourne chez lui alors que l’AI no 1 s’y trouvait seul.

Après l’arrivée de l’AI no 2 à la résidence, le service de répartition a diffusé une description du plaignant par la radio. L’AI no 2 a aperçu le plaignant marcher vers la maison. Les AI nos 1 et 2 ont tous deux conduit leur véhicule vers le plaignant. Le plaignant a repéré les véhicules de police et a tenté de se dissimuler entre deux maisons. L’AI no 2 est sorti de son véhicule et a hélé le plaignant et lui a dit qu’il devait retourner à l’hôpital. Le plaignant a refusé et l’AI no 2 a saisi le bras droit du plaignant en disant qu’il ne s’était pas attiré des ennuis, mais qu’il devait retourner à l’hôpital. Le plaignant s’est éloigné de lui, en protestant à voix haute, et l’AI no 1 a couru vers eux pour aider son collègue. L’AI no 2 soutient que le plaignant a continué de résister et que lui et son collègue l’ont amené au sol pour le menotter. Toutefois, le plaignant a réussi à se remettre debout, ce qui a amené les agents à faire de même [1]. Les agents l’ont ramené au sol et l’AI no 2 a menacé d’utiliser son arme à impulsions électriques (AIE) contre le plaignant, mais il n’a pas pu y accéder. Le plaignant a fini par être menotté les mains derrière le dos.

Il est allégué que le plaignant a dit aux agents pendant qu’ils le menottaient qu’il avait subi une intervention chirurgicale à l’épaule droite et que son bras ne bougeait pas de la manière dont les agents essayaient de le déplacer. Malgré cela, les agents ont forcé ses bras derrière le dos et, à ce moment-là, son épaule s’est disloquée. Les deux agents prétendent que le plaignant a mentionné sa blessure préexistante à l’épaule après avoir été menotté les mains derrière le dos. L’AI no 2 a dit que le plaignant s’était plaint que son épaule faisait mal après avoir été menotté et qu’il leur avait dit qu’il avait une plaque métallique dans le bras droit. Cela est conforme aux notes de l’AI no 1 qui indiquent que le plaignant avait dit que son bras était [traduction] « plein de métal » et qu’il s’était plaint de douleur à l’épaule après qu’ils lui avaient mis les menottes. Après que le plaignant s’est plaint de douleur et a rassuré les agents qu’il ne résisterait plus, les agents ont retiré ses menottes et l’ont remenotté les mains devant lui.

Le plaignant a ensuite été ramené à l’HDM, où l’on a découvert qu’il avait subi une luxation de l’épaule. Le plaignant a lui-même replacé l’épaule blessée dans la cavité articulaire.

Dans ce dossier, je ne peux conclure que l’un ou l’autre des agents en cause a commis une agression illégale relativement à la blessure du plaignant. Les voies de fait causant des lésions corporelles sont commises lorsqu’une personne exerce intentionnellement de la force sur une autre personne, sans son consentement, et que cette force cause des lésions corporelles. Le paragraphe 25(1) du Code criminel protège les agents de police qui usent d’une force raisonnablement nécessaire dans l’exécution légitime de leurs fonctions. Les actions des agents doivent donc être évaluées par rapport à cette norme.

Je commencerai par examiner la légalité de l’appréhension du plaignant. L’alinéa 17d) de la LSM permet à un agent de police d’appréhender une personne dont il a des motifs raisonnables de croire a) qu’elle a tenté de s’infliger des lésions corporelles et b) qu’elle souffre, selon toute apparence, d’un trouble mental qui risque de l’amener à s’infliger des lésions corporelles graves. Manifestement, l’AI no 2 avait des motifs raisonnables de croire que le plaignant avait tenté de se faire du tort. L’AI no 2 savait que le plaignant avait été transporté à l’hôpital à la suite d’une tentative de suicide et qu’il y avait été détenu en vertu d’une formule no 1 vers 3 h. À mon avis, il était également raisonnable pour l’AI no 2 de croire que le plaignant continuait de présenter une menace pour lui-même parce que sa tentative de suicide était très récente et qu’il n’avait pas été évalué par un psychiatre. Je garde à l’esprit que l’AI no 2 n’a pas précisé que c’était en raison de cela qu’il avait appréhendé le plaignant et qu’il a plutôt dit à l’UES qu’il était d’avis que le plaignant constituait un danger pour lui-même et pour autrui en raison de son comportement violent envers les agents. Le problème que pose cette explication est que le plaignant est devenu violent à l’endroit des agents seulement après que l’AI no 2 avait déjà entamé l’appréhension. Bien que l’AI no 2 n’ait pas abordé les raisons subjectives pour lesquelles il avait commencé à procéder à l’appréhension, je suis convaincu que je peux inférer de l’ordre qu’il a donné au plaignant qu’il devait retourner à l’hôpital que l’AI no 2 croyait qu’il avait des motifs d’appréhender le plaignant. On peut aussi déduire que le fondement de cette conviction était l’information dont disposait l’agent au moment des faits relatés ici.

Ayant conclu que les agents agissaient dans l'exercice de leurs fonctions légitimes, je me pencherai maintenant sur la question de savoir si le degré de force utilisé était excessif. Les deux AI, dans leur déclaration ou leurs notes, ont décrit le plaignant comme ayant violemment résisté à son arrestation. Malheureusement, il n’existe aucune preuve indépendante ou objective qui confirme ou infirme cette affirmation [2]. Je suis néanmoins convaincu que lorsque je me base sur l’un ou l’autre de ces témoignages, je n’ai pas suffisamment d’éléments de preuve pour croire que les agents impliqués ont illégalement agressé le plaignant. Selon les agents, le plaignant résistait activement tout au long de son appréhension et a fait preuve d’une force considérable en se levant pendant que deux agents tentaient de le garder au sol. Dans ces circonstances, il était raisonnablement nécessaire de menotter le plaignant avec ses mains derrière le dos pour le maîtriser. Même si le plaignant n’avait pas résisté violemment, je crois aussi que la force utilisée était raisonnablement nécessaire. Le plaignant a, à tout le moins, résisté passivement en ne coopérant pas et en ignorant les ordres de cesser de résister à l’arrestation. Bien qu’il soit préoccupant que les agents aient pu ignorer la déclaration du plaignant au sujet d’une blessure préexistante, le plaignant avait initialement la main droite dans sa poche et l’AI no 2 craignait que le plaignant ait une arme. Dans ces circonstances, je crois qu’il était raisonnablement nécessaire de menotter le plaignant avec les mains derrière le dos pour protéger les agents. Pour en arriver à cette conclusion, j’ai tenu compte de la jurisprudence sur la force raisonnable, qui établit clairement que la norme à laquelle doivent satisfaire les agents de police n’est pas celle de la perfection (R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206) et qu’on ne s’attend pas à ce qu’ils mesurent avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leurs interventions (R. c. Baxter (1975), 27 C.C.C. (2d) 96 (C.A. de l’Ont.)).

Enfin, j’ai également examiné s’il existe des motifs de croire que les agents impliqués ont commis l’infraction de négligence criminelle causant des lésions corporelles en contravention de l’article 221 du Code criminel. L’article 219 du Code criminel prévoit ceci : « Est coupable de négligence criminelle quiconque soit en faisant quelque chose, soit en omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui ». La décision rendue par la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. Sharp (1984), 12 C.C.C. 3d) 428 (C.A. de l’Ont.), établit le critère relatif à la négligence criminelle comme nécessitant « un écart marqué et important par rapport à la norme de conduite qu’on attend d’une personne raisonnablement prudente dans les circonstances ». Il s’agit d’un critère élevé auquel ne satisfait pas la conduite des agents impliqués. Les AI n’ont pas fait preuve d’un écart marqué et important par rapport à la conduite qu’on attendrait d’un agent de police raisonnable en menottant le plaignant, qui résistait au moment de l’appréhension. Les AI n’ont pas non plus fait preuve d’une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la sécurité du plaignant. En fait, la preuve fournit de solides indices que l’intention des agents était d’aider le plaignant en le ramenant à l’HDM. Une fois que le plaignant a accepté de coopérer et qu’il n’était plus une menace, ses menottes ont été enlevées et remises avec ses bras vers l’avant.

Je ne suis donc pas en mesure de trouver des motifs raisonnables de croire que l’un ou l’autre des agents impliqués a commis une infraction criminelle relativement à la blessure subie par le plaignant. Même si je pense que la blessure du plaignant a été causée lorsqu’il a été menotté les mains derrière le dos, cette action tombait dans les limites de la force que les agents impliqués étaient autorisés à utiliser en vertu de la loi et ne correspondait pas à de la négligence criminelle. Par conséquent, aucune accusation ne sera portée et le dossier sera fermé.



Date : 24 décembre 2018


Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Il en était question également dans les notes de l’AI no 1, qui indiquaient qu’il est pratiquement tombé par-dessus les épaules du plaignant lorsque ce dernier s’est levé. [Retour au texte]
  • 2) Le plaignant était vague quant aux détails de son propre comportement tout au long de l’appréhension, et je crois qu’il a peut-être préféré ne pas parler de sa propre résistance. Les agents impliqués, en revanche, ont fourni des détails cohérents au sujet du comportement du plaignant (et de leur propre comportement) et je crois que leur récit représente la version exacte de l’appréhension. Toutefois, comme je l’expliquerai, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de choisir entre les deux récits parce que même en supposant que le récit du plaignant est exact, je ne crois pas que les agents impliqués aient commis une infraction criminelle. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.